Comment ils vinrent du Maroc, par le lieutenant-colonel de Saint-Péreuse
Les premiers Français libres, morts pour la France, 30 juin 1940
Le 17 juin, 12 officiers aviateurs d’active, venant de Meknès, arrivaient à Casablanca, pour rejoindre la France par bateaux. À notre arrivée, nous avions entendu le discours de Pétain annonçant la demande d’armistice. L’effet en fut d’autant plus grand au Maroc que, à travers les mensonges de la presse et de la radio, on ne se rendait absolument pas compte de la situation réelle. Dès lors, il n’est plus question évidemment de départ pour la France. Les journées se passent sur le terrain de Casablanca où les nouvelles les plus contradictoires circulent : c’est l’annonce que la Syrie continue la guerre ; ce sont des rumeurs plus ou moins exactes sur la réunion tenue à Alger par les gouverneurs d’Afrique du Nord ; c’est une proclamation grandiloquente du général Noguès qui est absolument vide de sens. À ces bruits, s’ajoutent les commentaires des équipages qui, continuellement, se replient de la métropole au Maroc.
Vers le 25 juin, l’un de nous rencontre sur le terrain le colonel commandant l’aviation du Maroc qui termine l’entretien par ces mots : « Ici, on va se faire crever la peau jusqu’au dernier ! je vais vous faire affecter dans des formations combattantes ».
Toutefois, la situation était assez trouble et déjà un groupe comprenant les capitaines Vandeuvre (sic), Lager, Meyran, les lieutenants Aubertin et de Saint-Péreuse, le sous-lieutenant Weill, était décidé à se battre en Afrique ou ailleurs. À tout hasard, Vandeuvre, le chef du détachement, avait pris contact avec le Group Captain S. de la R.A.F. qui effectuait une mission d’information et aussi avec le colonel I., chef d’état-major de l’aviation polonaise en France, qui venait d’arriver au Maroc.
Tous les soirs, dans le salon de l’hôtel, nous écoutions la T.S.F. et spécialement les postes anglais, c’est là que nous avions entendu l’appel du général de Gaulle. À cette époque, l’élément civil d’Algérie semblait plein d’ardeur pour continuer la lutte.
Le 29 juin, un samedi, nous apprenons deux nouvelles importantes : tout d’abord, les Italiens suspects, détenus jusqu’alors dans des camps ont été relâchés ; en second lieu, à partir du 1er juillet, certaines pièces d’avions telles que les magnétos doivent être démontées. Dès lors, il devint évident pour tous que l’Afrique du Nord accepte l’armistice.
Le 29 après-midi, le petit groupe d’officiers dont j’ai mentionné les noms se réunit chez Vandeuvre pour décider de la conduite à tenir.
Pour faciliter la compréhension de ce qui va suivre, il faut préciser que, depuis le 23 juin, par suite de certains départs isolés vers Gibraltar, le commandement de l’aviation avait donné l’ordre que, sur chaque terrain, le poste de garde soit commandé par un officier.
En particulier, le commandant de la base de Casablanca avait décidé que, ce serait à notre détachement de 12 officiers de fournir le chef de poste du terrain de Berechid, situé à 30 kilomètres de Casablanca. Par un heureux concours de circonstances, Berechid était un terrain absolument isolé sur lequel ne stationnait aucune formation de l’armée de l’air. Il y avait sur ce terrain environ 50 Glenn Martin et une vingtaine de Douglas ayant fait leurs essais en vol.
D’autre part, nous avions mis à profit ces dix jours d’inaction forcée à Casablanca pour nous faire « lâcher » sur Glenn Martin, c’est-à-dire que nous avions effectué un décollage et un atterrissage.
J’en reviens à la réunion du 29, chez Vandeuvre, elle dura assez longtemps. Un point toutefois fut assez rapidement acquis : la nécessité de partir dans le plus bref délai pour le territoire britannique. Restait à décider comment ? Deux solutions s’offraient :
– ou bien essayer de s’incorporer, d’accord avec le colonel I. de l’aviation polonaise, dont le concours nous était acquis, aux convois de Polonais qui devaient rejoindre Gibraltar par bateaux dans les premiers jours de juillet ;
– ou bien partir pour Gibraltar sur les Glenn de Berechid, dans ce cas le départ devait s’effectuer dans les prochaines 24 heures.
Ce fut à cette dernière solution toute hasardeuse qu’elle fût, mais qui avait l’avantage, si elle échouait, de réserver la première, que nous nous sommes ralliés. Hasardeuse, cette solution l’était en effet car les Glenn nous étaient mal connus et nous n’avions jamais procédé à la mise en route assez compliquée de cet appareil. De plus, d’après les renseignements recueillis, il n’y avait à Gibraltar qu’un terrain de fortune, petit et mauvais.
La date du départ fut fixée au lendemain dimanche 30 juin après midi.
La relève de Berechid s’effectuerait à 11 heures, comme prévu ; puis, utilisant la camionnette militaire ramenant la garde descendante, nous nous rendrions à Berechid. Vandeuvre avait désigné pour prendre la garde le 30 le capitaine Meyran.
Nous devions être six à partir, les six dont j’ai parlé, mais dans la soirée du 29 nous décidâmes de nous adjoindre deux officiers, le lieutenant du Plessis (sic) et le lieutenant Berge (sic) qui, les jours précédents, nous avaient demandé instamment de se joindre à nous si nous avions un moyen de rejoindre le territoire britannique.
Le lieutenant du Plessis, officier de réserve de l’aviation, était, avant-guerre, à l’ambassade de France à Varsovie ; mobilisé sur place, il avait pris part à la campagne de Pologne puis avait été affecté à la liaison auprès de l’aviation polonaise en France.
Le lieutenant Berge, officier de réserve de cavalerie, venait d’effectuer un stage d’observateur à Dinard et avait rejoint l’Afrique par ses propres moyens.
Il fut décidé que nous partirions sur trois Glenn pilotés par les officiers les plus anciens, les équipages furent constitués de la façon suivante :
capitaine de Vandeuvre, pilote,
lieutenant du Plessis,
lieutenant Berge ;
lieutenant du Plessis,
lieutenant Berge ;
capitaine Lager, pilote,
lieutenant Aubertin,
lieutenant de Saint-Péreuse ;
lieutenant Aubertin,
lieutenant de Saint-Péreuse ;
capitaine Meyran, pilote,
sous-lieutenant Weill.
sous-lieutenant Weill.
Ignorant les signaux de reconnaissance de Gibraltar et la D.C.A. ayant été signalée comme assez nerveuse, nous avions résolu d’éviter le survol du port et du Rocher ; en conséquence, l’approche s’exécuterait par le Sud, l’Est et puis le Nord, et enfin, après un dernier virage à 180° l’atterrissage se ferait face à l’Est.
En plus, pour bien montrer aux Britanniques que nos intentions n’étaient pas hostiles, le pilote manœuvrerait, à plusieurs reprises, pendant l’approche, son train d’atterrissage, tandis que les passagers arboreraient par l’arrière un drap blanc.
Tout se déroula comme prévu, au moment de quitter l’hôtel, je rencontrai un grand blessé de la guerre 1914 que je connaissais vaguement : « Qu’attendez-vous, me dit-il, pour prendre un avion et aller rejoindre le général de Gaulle ? C’est facile à dire, lui ai-je répondu, je voudrais bien vous y voir » et je le quittai…
À Berechid, cependant, la mise en route des avions dont les moteurs n’avaient pas tourné depuis longtemps s’avéra difficile. Sans l’aide de mécaniciens, nous nous conformions scrupuleusement, à la notice d’emploi. Au bout de deux heures d’effort, trois moteurs sur six tournaient mais appartenant chacun à des avions différents. Puis, brusquement, les trois récalcitrants se mirent en route et à 16 heures nous sommes prêts à décoller. Au dernier moment, Weill ne pouvant ouvrir la trappe de l’avion de Meyran, prend place dans celui de Vandeuvre.
Décollage et voyage sans histoire.
À Gibraltar, Meyran se pose le premier après avoir essuyé le feu des mitrailleuses espagnoles ; puis l’avion de Lager sur lequel, à deux reprises, les Espagnols ouvrent le feu sans résultat, atterrit.
Au moment où Vandeuvre, le dernier, fait sa prise de terrain alors qu’il effectue son dernier virage à 100 mètres d’altitude moteurs réduits, train et volets sortis, les mitrailleuses espagnoles tirent à nouveau, l’avion, touché, se cabre, amorce une vrille, tombe, dans les eaux anglaises et prend feu.
Ainsi sont morts pour la France les premiers Français libres : le capitaine de Vandeuvre, les lieutenants du Plessis et Berge, le sous-lieutenant Weill, lâchement assassinés par les Espagnols.
Ainsi sont morts pour la France les premiers Français libres : le capitaine de Vandeuvre, les lieutenants du Plessis et Berge, le sous-lieutenant Weill, lâchement assassinés par les Espagnols.
Le commandant Meyran trouvera la mort dans l’accident qui a coûté la vie au général Leclerc et le commandant Aubertin devait mourir des suites de la guerre.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.