La portée de l’Appel
En France…
L’ignorance mutuelle
Les Français libres et les résistants de l’intérieur ont fondamentalement les mêmes objectifs mais les circonstances ou les choix qui ont déterminé leurs engagements sur des fronts ou sur des formes de combats différents les conduisent dans un premier temps à s’ignorer ou à se sous-estimer, voire à manifester de la méfiance et de l’incompréhension les uns envers les autres.
En effet, ceux qui, depuis l’Appel, poursuivent le combat contre l’ennemi, sur terre, sur mer, dans les airs, sur tous les fronts, ne s’intéressent pas aux évolutions politiques, qui sont de la responsabilité du général de Gaulle, auquel ils font une totale confiance. L’ayant rejoint parce qu’il refusait la défaite, il est leur unique référence. Livrant de dures batailles en terres lointaines, ils n’ont qu’une vision partielle du développement de la Résistance en France et de Gaulle n’est pas en mesure d’estimer son importance militaire ou politique. Les liaisons entre la France et l’Angleterre sont difficiles car les côtes françaises font l’objet d’une stricte surveillance et les moyens de communication sont interrompus ou étroitement surveillés (courrier, téléphone, télégraphe). Les nouvelles de France qui parviennent malgré tout à Londres révèlent, de l’été à l’automne 1941, la multiplication des actes de résistance et l’intensification de la répression. Radio
Londres s’en fait l’écho, en répondant aux discours de Pétain ou en dénonçant les exécutions d’otages.
L’écho en France
Progressivement, les voix françaises de la BBC, en premier lieu celle du général de Gaulle, acquièrent une audience et une influence auprès d’un nombre toujours plus grand de Français. La manifestation parisienne du 11 novembre 1940, en partie suscitée par la France Libre, comme la campagne des «V» qui invite les Français à tracer la première lettre du mot victoire associée à la croix de Lorraine sont des succès qui inquiètent l’occupant allemand comme l’État français. En réponse, ces derniers interdisent ou brouillent l’écoute de la BBC, saisissent des postes de radio, répriment sévèrement les auditeurs imprudents qui sont pris sur le fait et tentent de développer un fort sentiment anti-anglais dans la population française, notamment après le bombardement de la flotte française par la marine britannique à Mers-el-Kébir au début juillet 1940 ou après l’échec de la tentative de débarquement anglo-gaulliste à Dakar en septembre. Paradoxalement, en présentant de Gaulle comme le valet de l’ennemi anglais, les services de propagande allemands ou vichystes contribuent à la notoriété de De Gaulle.
La méfiance initiale
Contrairement aux volontaires de la France Libre qui, refusant la défaite, répondent à l’appel du général de Gaulle et s’engagent dans son armée, sans se poser de questions concernant la personnalité de leur chef qui les appelle au combat, nombreux sont les résistants de l’intérieur qui s’interrogent sur les intentions et les opinions politiques du général de Gaulle. Dépourvus de moyens et d’expérience pour la plupart, ils ont dû inventer ou improviser les formes et les outils de leur combat clandestin et ne sont pas prêts à se rallier à un militaire quasiment inconnu, suspecté de vouloir leur donner des ordres et tirer les profits de leurs engagements et de leurs sacrifices sans contreparties. D’ailleurs certains se qualifient immédiatement de Français libres dans leurs publications clandestines, sans pour autant se réclamer de De Gaulle.
Les premiers contacts
L’arrivée clandestine en France, dès juillet 1940, d’agents secrets de la France Libre, venant d’Angleterre, permet de faire évoluer les relations entre résistants de l’intérieur et de l’extérieur. C’est ainsi que Maurice Duclos, alias Saint-Jacques, Gilbert Renault, alias Rémy, ou Honoré d’Estienne d’Orves créent ou soutiennent les premiers réseaux de la France Libre et produisent des rapports, précieux parce que rares, sur l’émergence d’une résistance organisée en France.
La mission Jean Moulin
Le premier tournant est l’arrivée de Jean Moulin à Londres en octobre 1941. L’ancien préfet rencontre rapidement le général de Gaulle et lui expose qu’en zone sud des mouvements de résistance importants se sont constitués et qu’ils peuvent se rallier à lui. La convergence envisageable à ce moment est devenue indispensable. Face aux gouvernements alliés, de Gaulle doit être davantage que ce général qui déclare représenter seul la France, il doit montrer qu’il a un soutien réel dans le pays; le rapprochement avec les mouvements de résistance peut lui apporter cette crédibilité. Les résistants de l’intérieur, quant à eux, ont besoin de moyens et d’appuis pour continuer à se développer qui ne peuvent venir que de l’extérieur; de Gaulle peut les aider en se faisant leur porte parole auprès des Alliés.
La création du Comité national français en septembre 1941, les missions en France de Yvon Morandat, alias Léo, en novembre 1941 puis de Jean Moulin en janvier 1942 montrent la volonté de la France Libre de se présenter comme le dépositaire du pouvoir étatique de la France face aux Alliés (notamment les États-Unis qui n’ont pas encore totalement rompu avec le régime de Vichy) et d’obtenir le soutien de la nation française incarnée par les mouvements de résistance (au moins en zone sud dans un premier temps).
De Gaulle reconnu chef de la Résistance
En février 1942, l’arrivée à Londres de Christian Pineau, membre fondateur de Libération-Nord, un des plus importants mouvements de zone nord, marque un nouveau tournant. C’est le premier grand responsable d’un mouvement à rencontrer de Gaulle. Les échanges entre les deux hommes aboutissent à la rédaction d’une «déclaration aux mouvements» que Pineau est chargé de ramener en France. Radio Londres et la presse clandestine diffusent le texte qui vise à rassurer les résistants de l’intérieur sur les objectifs politiques du général de Gaulle: les principes démocratiques et républicains sont réaffirmés, la nécessité de transformer politiquement, économiquement et socialement la France libérée également. De Gaulle, fort de la légitimité acquise le 18 juin 1940, est progressivement reconnu comme le chef de la Résistance en zone sud puis en zone nord, ou comme un partenaire incontournable par les résistants qui veulent garder une certaine indépendance.
Naissance de la France Combattante
En juillet 1942, la naissance de la France Combattante est l’aboutissement de ce processus engagé depuis deux années. Par ce changement de nom, la France Libre montre qu’elle n’est plus la seule à lutter contre l’ennemi, qu’elle reconnaît à la Résistance intérieure un rôle essentiel dans le combat pour la libération nationale. En France, les organisations de résistance s’approprient rapidement le nom et proclament les unes après les autres leur ralliement à la France Combattante et à son chef, le général de Gaulle, comme l’ont fait les Français libres à partir de l’été 1940. Le ralliement des syndicats puis des partis politiques clandestins contribuent à faire de De Gaulle le représentant d’une France en guerre aux côtés des Alliés.
< Les engagements dans la France Libre à la suite de l’Appel
< Les premiers réseaux
< D’Estienne d’Orves et les officiers français d’Alexandrie
> Gilbert Renault, dit Rémy (1904-1984)
> Christian Pineau (1904-1995)
> Fernand Grenier (1901-1978)
> Des morts de la Grande Guerre à ceux de la Résistance
> L’unification de la Résistance intérieure autour de l’homme du 18 juin
> La reconnaissance des puissances alliées
> Le combat de l’Appel à la Victoire
> Mémoires de l’appel du 18 juin 1940