Un héroïque exemple, Mme Vourc’h
Le vendredi 17 février s’éteignait au milieu des siens, à Plomodiern, en Finistère, Mme Vour’ch, née Le Doaré, décorée de la croix de guerre, de la médaille de la Résistance, de la King’s Medal for Courage et de la Medal of Freedom. Au docteur Vour’ch, sénateur et conseiller général du Finistère, et à leurs enfants, l’Association des Français Libres, présente ses condoléances émues et l’expression de sa profonde sympathie, dans ce deuil qui touche le coeur de tous les Français libres. Car si la famille Vour’ch, les parents et leurs neuf enfants, s’est enrôlée toute entière dans la France Libre dès 1940, et a mené l’âpre combat sans relâche, sur le front intérieur comme sur le front extérieur, c’est Mme Vour’ch qui a donné le plus magnifique exemple d’intrépidité et d’abnégation, c’est elle aussi qui donna le plus d’elle-même et saigna le plus cruellement dans ses affections. Son fils Jean tombait en août 1944 dans les combats menés par la2e D.B. pour libérer Paris. Elle le rejoint aujourd’hui dans l’au-delà, frappée en même temps que lui, morte au champ d’honneur comme lui. Son effort de guerre avait dépassé ses possibilités physiques. Depuis la Libération elle avait perdu le goût de vivre, le ressort moral nécessaire pour surmonter une infection en soi bénigne, qu’un organisme à réaction normale eut aisément surmontée.
Dès novembre 1940 elle se mettait au service de la France Libre et lui envoyait deux de ses fils qui partaient vers l’Angleterre en bateau avec un groupe de camarades. Deux autres de ses fils les rejoignirent ultérieurement. Son mari, traqué par la Gestapo, dut plus tard joindre à son tour les F.F.L. en Afrique du Nord. Deux de ses filles s’engagèrent dans les équipes qui convoyaient les aviateurs alliés abattus. Ses plus jeunes enfants l’aidèrent dans ses tâches de résistance.
En janvier 1941, pour avoir refusé de serrer la main d’un soldat allemand, elle était violemment frappée et traduite en conseil de guerre pour « outrages à l’armée allemande ».
Un mois plus tard débarquaient chez elle deux jeunes gens qu’elle avait fait partir pour l’Angleterre. Robert Alaterre et Jean Le Roux, et elle fondait avec eux le réseau Johnny. Sa maison en fut le lieu de rendez-vous, elle en fut l’animatrice, risquant sa vie chaque jour en hébergeant des hommes traqués, en cachant des armes et des postes de T.S.F., alors qu’un officier allemand était logé chez elle. Le réseau devait mourir dans cette même maison quand y fut arrêtée « tante vonne »».
Elle continuait alors ses activités clandestines dans les réseaux Bordeaux-Loupiac et Jade-Arnical. Tout un service de sauvetage d’aviateurs alliés s’agglomérait autour d’elle. C’est ainsi que la « Suzanne Renée » partait de Camaret, avec le concours du groupe Merrien, en octobre 1943, emportant 43 aviateurs alliés dont le gros du contingent avait vécu pendant huit jours au-dessus de Plomodiern, dans la chapelle de Sainte-Marie du Ménez-Homque que le « Breiz lzel » partait de Tréboul en janvier 1944, emportant 31 aviateurs et jeunes volontaires réunis par ses soins ; qu’elle dirigeait de nombreux isolés et petits groupes sur les vedettes rapides qui accostaient de nuit sur la côte nord de Bretagne. Elle eut la plus lourde responsabilité dans ces actions, surtout après la mort de l’initiateur du réseau d’évasions, Jean Camors, un ami de ses fils venu d’Angleterre à cet effet, tué à Rennes par un milicien.
Grâce à la complicité de toute la population de son village, Mme Vour’ch put échapper d’extrême justesse à la Gestapo en février 1944. Elle se réfugia à Paris. L’amirauté britannique lui offrit de la faire passer en Angleterre. Elle refusa, préférant continuer à servir à Paris, avec ses deux filles aînées, jusqu’à l’arrivée victorieuse des troupes alliées.
La Libération devait lui apporter une grande joie, et en même temps une profonde douleur dont elle ne se releva jamais. Deux de ses fils, l’aîné et le plus jeune, débarquèrent en Normandie avec les commandos qui prirent Ouistreham. Le troisième était en Italie et devait débarquer en Provence où il entra le premier dans Hyères. Le second, Jean, qui avait été de la colonne du Tchad et qui appartenait à l’armée Leclerc, elle l’attendit vainement près de l’arc de triomphe de l’Étoile où défilaient ses camarades. Il avait été mortellement blessé en enlevant Voisins-Le-Bretonneux à des forces supérieures en nombre. Cela, elle ne le sut que plus tard.
Mère plus douloureuse de cette absence que glorieuse du destin de ses enfants, elle parcourut à pied la Vallée de Chevreuse pour retrouver les traces de son enfant blessé. En vain. Elle ne devait apprendre que quelques mois plus tard la mort de Jean, à l’hôpital du Mans, quatre jours après sa blessure.
Tant d’angoisses morales, de privations physiques, de sacrifices héroïquement consentis avaient gravement altéré sa santé. Son mari, avec la terrible lucidité du médecin, suivait les progrès du mal et confiait sa femme à des spécialistes réputés.
Après l’heure de la France, l’heure de Dieu était venue. M. Vour’ch souhaitait que sa femme pût s’éteindre au pays de ses pères auquel l’attachaient des liens si puissants. La providence lui accorda cette suprême consolation. Elle s’en est allée, modeste et discrète comme elle le fut toujours. Nous nous inclinons respectueusement devant cette vie de devoir et d’héroïsme que la France se fût honorée de récompenser comme elle le méritait.
Ainsi se clôt en ce monde la vie d’une Bretonne au grand cœur qui jamais ne désespéra de sa patrie, qui jamais ne pensa lui avoir assez donné avant d’avoir tout donné, son époux, ses enfants, sa vie même. Mais ici-bas même elle se survit par le rayonnement de l’héroïque exemple donné avec tant de générosité, de simplicité, de foi, par la vigoureuse souche jaillie d’elle, formée par elle, forgée au feu qui la consuma, par le pieux souvenir de ceux qui connurent et connaîtront son histoire.
Nous savons à quelle profondeur ce deuil atteint le docteur Vour’ch, là où les paroles ne sont plus rien. Qu’il sache que nos cœurs amis sont auprès de lui dans son épreuve.
À ses enfants, nos camarades, à ceux et celles surtout qui, résidant en pays lointain, n’ont pas eu la consolation de l’ultime adieu, nous adressons le témoignage de notre profonde et affectueuse sympathie.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 27, avril 1950.