29 octobre 2012 In Témoignages By Administrateur
Missions spéciales en Corse, par M. Toussaint Griffi
Au souvenir ému que j’adressais ces jours-ci au commandant L’Herminier se mêlait je ne sais combien d’autres souvenirs de l’héroïque épopée du sous-marin Casabianca.
Les visages de mes camarades déjà un peu estompés, tous les épisodes de la résistance corse que j’ai vécue dans ses moments les plus dramatiques et exaltants à la fois, reviennent et se précisent dans ma mémoire. Onze ans après, tout un passé revit.
Je songeais à l’arrivée de notre sous-marin à Alger, déjà paré d’une auréole d’audace peu commune !
Qui n’a pas en mémoire cette période de trouble de notre histoire nationale ?
Le 8 novembre 1942, les troupes alliées débarquaient tout le long de la côte africaine depuis Casablanca jusqu’à Tunis. Ce débarquement constituait un fait sans précédent dans les annales de la guerre des hommes, il marquait un tournant décisif de la guerre mondiale. Anglais et Américains venaient nous apporter leur concours actif pour la libération de notre patrie enchaînée.
Et cependant, beaucoup de Français s’interrogeaient encore devant la succession rapide des événements. Nous étions en effet à cette époque en pleine confusion et il fallait beaucoup de clairvoyance et d’audace pour réaliser pleinement quels étaient nos devoirs. Mais pendant que les uns palabraient, d’autres, fermement décidés à vaincre ou à mourir, agissaient.
Pour ma part, je guettais l’occasion, elle ne se fit pas attendre.
J’avais appris par quelques camarades de combat que l’état-major allié était en quête de volontaires pour les envoyer organiser en Corse, des réseaux de renseignements et d’action. Je fis à tout hasard acte de volontariat, mais je dois avouer que je n’étais nullement préparé pour ce genre de mission… un peu spéciale.
Que ce soit du côté allié ou du côté français, tout le monde était persuadé que pour de multiples raisons, la Corse serait la première étape vers la France. C’est donc avec cette mentalité qu’un soir, je me trouvais avec mes camarades : Laurent Prezziosi, Pierre Griffi et le commandant de Saule, chef de mission, devant un aréopage « d’étoilés » qui nous firent un bref exposé sur le but de notre mission. Nous ne savions pas quel serait notre point de chute, nous ignorions absolument tout de l’occupant : c’était l’aventure !
En quarante-huit heures les dispositions de départ sont arrêtées.
L’équipe ainsi formée embarque à la nuit, le plus discrètement possible. Dans le submersible la prise de contact se fait rapidement et les terriens – si je puis m’exprimer ainsi – forment, avec les marins, un groupe d’hommes décidés à mener cette mission à bien. Vingt-quatre heures plus tard le sous-marin Casabianca quitte Alger pour sa première mission « spéciale » au service de la France Libre.
En Corse, les Italiens débarquaient et entreprenaient sans coup férir, l’occupation de l’île. Leurs troupes continuaient d’arriver et s’installaient hâtivement sur tous les points sensibles de la côte. Nous n’avions en fait aucun renseignement précis sur l’occupant, aucun moyen de déterminer un point de débarquement à l’abri de toute surprise : nous allions vers l’inconnu.
Le commandant L’Herminier s’adressant à ses officiers et aux quatre « clandestins », dit d’un air grave mais confiant : la France renaît, j’ai pleine confiance en la mission que nous allons accomplir.
L’appareillage a lieu à 19 h 30. La mer est calme, le ciel légèrement brumeux, la nuit est glaciale. Le Casabianca, magnifique de forme, franchit lentement la passe, fait ses essais de plongée, puis remonte en surface. Un escorteur britannique nous convoie jusqu’à dix mille au nord du cap Caxine.
Pendant que l’équipe s’affaire : « Dudule » – pseudonyme du chef de mission – Pierre le radio, Laurent et moi, sommes réunis au carré des officiers et discutons à bâtons rompus sur la situation militaire du moment.
– Si nous examinions la carte afin de choisir notre point de débarquement, dit le commandant L’Herminier, intervenant tout à coup, une carte sous-marine à la main ?
Chacun donne alors son modeste avis sur la question. Notre choix se porte sur plusieurs points, mais finalement nous nous mettons d’accord pour tenter l’opération dans la baie de Chioni.
Notre voyage dure trois jours, agrémenté comme il se doit de quelques alertes. Au matin du quatrième jour, le submersible, semblable à un énorme squale, se pose délicatement par 40 mètres de fond. Puis l’attente commence, la gaieté règne à bord comme d’habitude.
Un commandement bref : l’équipage est rappelé aux postes de combat. Un craquement sourd ; la quille racle le fond ; la pesée est rectifiée ; le submersible remonte sans saccade et fait surface. Il est 0 h 30 exactement…
Autour de l’officier de quart quelques marins s’affairent.
Il faut mettre le « youyou » à la mer, mais la manœuvre s’avère difficile. Il ne faudra pas moins d’une heure pour en venir à bout.
Sitôt l’opération terminée, la mission embarque au complet. Au loin on entend les chiens aboyer ; la nuit est d’encre.
Au passage, les officiers du Casabianca, alignés sur la passerelle, nous disent, à voix basse : bonne chance ! Avec d’infinies précautions notre embarcation se dirige vers la côte. Minute pathétique… l’angoisse nous étreint. Mitraillette au poing, le regard dirigé vers cette masse informe qui est la côte, nous tentons vainement à travers les ténèbres d’observer le rivage. Un bruit sourd suivi d’une secousse, le fond du « youyou » touche un rocher, puis racle le gravier… nous sommes sur la terre ferme.
C’est ainsi que dans la nuit du 14 ou 15 décembre 1942, vers 2 heures du matin, la première mission française envoyée en Corse, débarque dans l’anse immédiatement au sud du port d’Arone, sur la côte occidentale de l’île.
La mission proprement dite, moins le radio laissé avec un poste sur la plage, s’engage sans tarder à travers le maquis riche en ronces et lentisques pour tenter de rejoindre le hameau de Révenda qui doit, d’après nos observations faites sur la carte, se trouver à quelques kilomètres du lieu de débarquement. Mais à peine venons-nous de gravir une petite colline, que nous apercevons tout à coup, à quelque distance, une lampe électrique qui s’éclaire dans notre direction. Halte, crie faiblement « Dudule ». Nous nous dissimulons rapidement derrière un gros lentisque, tandis que la lumière se rapproche de plus en plus. Nous attendons : « C’est probablement un garde italien, me dit Dudule, à l’oreille ! Ne bougeons pas, il n’osera pas venir jusqu’à nous ! » Effectivement, après avoir fait décrire un demi-cercle à son faisceau lumineux, le garde s’éloigne tranquillement : nous avions eu chaud…
Ce que fut cette nuit, dans une région inconnue de tous, à quelques centaines de mètres des sentinelles italiennes, serait vraiment trop long à narrer dans cet exposé.
Vers 10 heures du matin, nous parvenions péniblement à Révenda où le premier contact était pris avec le curé de Cargèse, venu, avec quelques jours de retard… célébrer la fête de Sainte Lucie.
Ce bon curé, cet excellent Français, à qui nous demandons de l’aide n’hésite pas, malgré le danger réel auquel il s’expose, à mettre à notre disposition des hommes sûrs et des mulets. Le soir même, en compagnie de mon camarade Laurent, de Dominique Antonini – un brave parmi les braves – montés sur nos mulets, nous partons vers le lieu de rendez-vous, le Casabianca qui avait repris le large devait revenir la nuit suivante. Tout le monde fut exact, mais la mer était démontée. Le « youyou », que le sous-marin détacha à la côte pour débarquer un deuxième poste radio, les vivres de réserve et les bagages de la mission, chavira et se brisa sur un rocher. Ses occupants : un enseigne de vaisseau et deux quartiers-maîtres, furent contraints de rester en Corse… jusqu’au prochain voyage du sous-marin.
Dès le lendemain, avant le lever du soleil, sous la conduite de Dominique Antonini, la mission se remet en route. Après une heure de marche, la petite colonne rencontre les frères Nesa, de Marignana. Éclairée par ces jeunes patriotes qui la précèdent, leurs chiens en avant, le fusil de chasse au côté, elle gravit péniblement les défilés pittoresques, à la sauvage et captivante beauté. Pendant de longues heures, le long d’un sentier muletier, elle chemine au milieu des arbousiers aux fruits doux, des genêts touffus, des rochers glissants. Puis c’est l’arrivée le soir à Marignana, dans ce foyer si réconfortant de la famille Nesa, où la mère, avec sa touchante sollicitude s’affaire, s’occupe de tout le monde, aidée, de Marie Versini, une jeune fille à l’âme fière. Le père Nesa, lui, monte la garde… dehors.
Sans tarder, le curé de Marignana, le fougueux abbé Ceccaldi, saute nerveusement en selle, parcourt la montagne à la recherche de patriotes sûrs et d’un endroit propice d’où le radio pourra s’installer, parler et entendre. L’abbé paiera plus tard ce qui lui valut cet élan de patriotisme ardent.
Le temps presse, il faut aller vite. Sans désemparer, nous partons dès le lendemain à pied sur Corté. C’est d’abord Cristinaccé, Calacuccia, la Scala Sante Régina et enfin Corté que nous atteignons avant le couvre-feu, épuisés par la fatigue et la faim, à 21 h 30.
Corte : il n’est pas, j’imagine, un patriote Corse qui ne se sente plein d’orgueil et de fierté en arrivant dans cette ville. Perchée sur un rocher, elle se dresse, inaccessible, au confluent de la Restonica et du Tavignano, semblant marquer l’indomptable énergie de la résistance cortenaise contre l’envahisseur.
Les Cortenais sont fiers de leur ville, fiers du Rotondo aux cimes neigeuses, fiers de ses fias. Corte n’est-elle pas la patrie de Jean-Pierre Gaffory qui fut, avant Paoli, l’organisateur de l’indépendance corse ? La statue de Paoli ne se dresse-t-elle pas sur la place qui forme le centre de la ville et porte le nom du père de la patrie ?
C’est donc à Corte, au cœur de l’île, que nous établissons les premiers contacts sérieux avec un noyau de résistance organisée. Mais connue on peut l’imaginer, ce ne fut pas sans de grosses difficultés que notre mission put accomplir ce premier tour de force. Si le chef de mission et le radio, avec son précieux matériel, mirent trois jours pour arriver, utilisant autobus et train, nous parcourûmes, avec un ami Laurent 65 km dans la journée. Dès notre radio en sûreté, le contact est établi avec Alger. De sa chambre – la maison est habitée par M. Lhœrsch, un Alsacien, ancien légionnaire – Pierre peut parler enfin librement. Il télégraphie, chiffre, déchiffre, manipule deux fois, trois fois par jour. C’est une véritable débauche de messages qui partent vers le commandement.
Entre temps que d’alertes ? Des indiscrétions son commises ; notre poste de radio est sérieusement menacé. Mais quel magnifique sang-froid, quelle splendide maîtrise de soi chez notre radio. Voulez-vous un exemple ?
« C’est au cours d’un après-midi. Une voiture « gonio » passe à quelques mètres en contrebas de la maison, obligeant le radio à suspendre son émission. Dix minutes passent. Pourtant les messages sont urgents et le correspondant d’Alger est à l’écoute. Tranquillement, la cigarette aux lèvres, Pierre reprend son travail.
« Tout à coup, brusquement, on frappe à la porte d’entrée. Lhœrsch accourt, annonce qu’il s’agit d’un capitaine de carabiniers, puis lentement, très lentement va ouvrir. Pierre, sans manifester la moindre émotion, ferme calmement sa valise-radio, la fait glisser dans sa cachette aménagée dans le plancher et, tandis que dans la pièce à côté on entend l’Alsacien discuter avec le visiteur, il arme tranquillement son « colt », puis, rallumant sa cigarette, attend. Pas le moindre énervement, pas un geste, de panique chez cet homme à un doigt de la mort. Le capitaine, seul, eut-il une hésitation ? Eut-il peur ? Il parla de ravitaillement, de logement… puis, après quelques minutes, qui parurent un siècle, s’en alla. Quelques jours plus tard, une perquisition, en nombre cette fois, eut lieu. L’Alsacien fut arrêté, mais Pierre était loin ».
Dès lors, plus de répit. Les alertes se succèdent, ce sont les déplacements pénibles et si dangereux. L’O.V.R.A. – cette Gestapo italienne, renforcée par des éléments de la Gestapo allemande – est très active. Une grave indiscrétion, suivie d’une dénonciation, provoque l’arrestation de patriotes ardents : à Saint-Florent, celle de Casalé Pierre, chef de réseau ; à Bastia, celle du jeune avocat de Montéra, de Simon Paoli et de Dominique Casanova. Sur le point d’être arrêté, l’avocat de Casalta, chef du réseau de Bastia, réussit par un tour de force prodigieux, à s’évader et à rejoindre l’organisation du maquis – cet exploit lui valut d’ailleurs d’être condamné à mort par contumace par le tribunal italien.
Toute l’organisation est alors menacée, le réseau de Saint-Florent nous donne de très sérieuses inquiétudes. Nous tentons, avec mon camarade Laurent de rétablir la situation, mais, nous sommes dénoncés à notre tour. L’O.V.R.A. est lancée sur nos talons, nous n’avons que le temps de nous réfugier au maquis (1).
Pour pouvoir continuer à mener à bien la mission entreprise, il faut pendant des semaines vivre dans la montagne glacée.
Pour assurer les liaisons, recueillir les renseignements, il faut faire à pied de longues et épuisantes randonnées par les sentiers boueux et glissants. Que ces nuits noires passées consécutivement, pendant trois et quatre jours sur les plages balayées par la pluie et le vent, étaient longues dans l’attente du Casabianca qui venait apporter armes et munitions. Que d’efforts et de ténacité, pour dégager ce matériel, sous la menace constante d’être surpris en pleine action. Et à quelle reconnaissance ont droit tous ces braves et courageux bergers, ces camarades résistants qui apportaient si simplement à notre mission, une aide précieuse et si généreuse aussi ?
Puis, les mois passent. Malgré les souffrances toujours accrues, l’espoir et la confiance demeurent solidement ancrés. J’ai déjà parcouru, pour ma part, presque toute l’île : en train, à cheval, à bicyclette ou à pied. Nous avons recueilli à peu près tous les renseignements sur l’organisation ennemie en Corse. Mais ça n’a pas été sans peine, car l’O.V.R.A. veillait. Notre présence dans l’île devenait dangereuse pour le succès complet de notre mission. Le commandement décida alors de nous faire rentrer à Alger. Pour notre part, on ne prit pas la chose de gaîté de cœur, car nous voulions être là le jour « J » pour nous battre aux côtés de nos maquisards. Rien n’y fit. Il fallut rentrer. Mais avant de quitter cette terre corse à laquelle nous étions définitivement liés, nous conçûmes le projet d’enlever le général italien qui commandait le secteur d’Ajaccio. Hélas notre plan ne put être mis à exécution, un câble parvenu d’Alger le jour même nous ordonnait expressément d’avoir à nous trouver au rendez-vous avec le sous-marin sur la côte orientale, dans la région de Solenzara.
C’est du petit port de Favone, situé au sud de Solenzara, que la mission embarqua. L’opération ne fut pas facile. Il fallut quatre nuits avant de pouvoir atteindre le sous-marin. La mer déchaînée empêchait de mettre toute embarcation à l’eau. Et chaque nuit, cependant, nous prenions contact avec le sous-marin pour lui signaler notre présence et lui demander d’attendre. Une pluie torrentielle nous inondait chaque fois et nous avions toutes les peines du monde à faire sécher nos vêtements le jour dans un petit hôtel où nous logions à Solenzara. Au bout d’un cinquième jour d’attente, un hardi pêcheur nous embarqua à Favone pour nous conduire à quelques mille au large, où le sous-marin se profilait dans l’ombre de la nuit. L’accostage fut pathétique. Le commandant L’Herminier nous attendait à la coupée. L’équipe, sauf le chef de mission et le radio repartait après avoir accompli sa tâche. D’autres missions se trouvaient à bord, elles devaient être déposées au environs du cap Lardier.
Le commandant L’Herminier, visiblement heureux de ramener sains et saufs les hommes de la première mission, ne paraissait cependant pas entièrement satisfait du rôle obscur qu’on faisait jouer à son sous-marin. Il décida, sur-le-champ, qu’il attaquerait le premier convoi ennemi qui se présenterait. Son désir fut vite exaucé. Nous savions qu’un convoi italien, composé notamment du Francesco Crispi et du Tagliamento devait toucher Bastia, venant de Livourne, quelques heures plus tard. La rencontre fut facile et le Casabianca envoya ses torpilles malheureusement sans succès. La riposte fut terrible. Une pluie de grenades s’abattit sur nous et l’alerte fut donnée par les Italiens dans tout le secteur.
Par des manœuvres habiles autant que magistrales, le sous-marin échappa à ses poursuivants qui le pourchassèrent jusque dans le golfe de Gênes.
La nuit suivante, le sous-marin était de nouveau sur les lieux, le commandant L’Herminier ayant décidé d’attaquer au canon et d’incendier le dépôt d’essence installé aux abords du cimetière de Bastia. Avarié, le canon avait été rendu inutilisable et la manœuvre fut ratée.
Après dix jours de navigation entre la Corse et la Côte d’Azur nous dûmes rejoindre Alger.
J’ai brièvement et modestement relaté ce que fut notre mission. J’ai omis à dessein un grand nombre de détails qui eussent alourdi le cadre étroit d’un article. Mais je ne puis pas cependant terminer sans rappeler avec émotion que notre mission fut périlleuse entre toutes et que son succès n’a été total que grâce à la participation effective de tous ceux qui nous ont approchés de près ou de loin. Ce n’est pas sans une certaine tristesse que je constate parfois la faculté d’oubli de ceux qui ont été les témoins à distance de la préparation de la résistance corse. Elle a représenté pour tous ceux qui l’ont vécue une somme incroyable d’efforts et de sacrifices de sang, qui n’ont pas toujours été appréciés à leur juste valeur.
Comment ne pas rappeler avec quel héroïsme se sont battus les Pierre Griffi, Jean Nicoli, André Gusti, Mondoloni, le capitaine Fred Scamaroni, Michel Bozzi, tous ces soldats de la première heure ? Dénoncés, puis arrêtés, soumis à des tortures raffinées comme l’O.V.R.A. en connaissait, ils n’ont pas parlé et sont tombés sous les balles ennemies, en vrais soldats du maquis, sans uniforme. C’est une page des plus pures de patriotisme français qu’ils ont écrite de leur sang.
Dire qu’ils sont morts en braves, serait les amoindrir, car ils eurent jusqu’au dernier moment, une attitude de héros, qui força l’admiration de tous ceux qui les approchèrent, jusqu’à leurs geôliers et leurs ennemis.
Griffi étonne son auditoire. Calme, très maître de lui, à une question que lui pose le président, il répond :
– Oui, c’est moi qui suis cause du torpillage du Francesco Crispi. Je sais que vous allez me fusiller. Je n’ai qu’un regret : celui de ne pouvoir plus vous faire de mal.
Refusant de se laisser bander les yeux, il dira :
– Je meurs en soldat français ! Vive la France !
Le procureur du Roi ira jusqu’à demander sa grâce et le citera en exemple aux jeunes Italiens.
– Dites à ma femme et à ma fille que je meurs en soldat français et que je n’ai trahi personne, disait Michel Bozzi devant le poteau d’exécution.
– Vous êtes trop lâches pour me regarder en face et vous me fusillez dans le dos, lançait Jean Nicoli à la face de l’officier italien qui commandait le peloton d’exécution.
– Vive la France ! Vive de Gaulle ! écrivait de son sang le capitaine Fred Scamaroni qui, soumis à des tortures effroyables, ne put survivre à ses souffrances et se donna la mort dans sa cellule.
Et quelle merveilleuse leçon de patriotisme ont donné les Nesa, Antonini, J.-P. Steffanaggi, Dominique Casanova, Sébastien de Casalta, Louis de Montera, Pierre Casale, pour appeler à la lutte tous les insulaires.
Qu’on me pardonne de dire qu’il est toujours facile d’épiloguer sur les événements et laisser s’accréditer dans l’opinion publique des faits qui n’ont jamais existé ! Les vrais résistants, en Corse comme partout ailleurs, sont ceux qui dès 1940 avaient conscience que la France était enchaînée, bâillonnée et vendue par quelques traîtres. Que sa résurrection ne pouvait se concevoir que par une action volontaire dépourvue de tout calcul sordide ou mesquin.
Il fallait au pays des hommes capables de galvaniser toutes les énergies et ajouter aux victoires des Alliés contre l’envahisseur, les forces morales nécessaires et indispensables à la Victoire.
(1) Après la conquête de la Corse, alors que j’appartenais aux services de la Sécurité militaire, j’ai pu relever dans les archives italiennes récupérées au tribunal de Bastia, le nom d’un traître, qui fut un des membres en vue du réseau de résistance de Saint-Florent.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 72, novembre 1954.