Marine marchande
L’article que vous allez lire a été écrit par Mme M. Guéna, la vaillante compagne du commandant Guéna, maintenant administrateur en chef de l’inscription maritime, qui fut un des collaborateurs de l’amiral Wietzel, puis de M. Smeyers, à la tête de la marine marchande française libre.
Nul plus qu’elle n’était qualifie pour rédiger ces souvenirs !
Je sais bien qu’il ne s’agit ici que de nos Amis d’Angleterre!
Qu’il me soit cependant permis de rendre un nouvel et bref hommage au cran, au dévouement souriant et infatigable avec lesquels notre chef du service social sut remplir sa difficile mission.
Il y a peu de dames en France qui font partie de l’ordre du Mérite maritime. Notre amie en est une et elle a particulièrement mérité cette distinction.
Mais avant de lui laisser la plume je tiens à écrire moi-même quelques mots de reconnaissance à l’adresse de, entre autres amis du British Conseil de Liverpool, MM. Pearson, Smith et Mougne, sans oublier Mrs Dat, qui furent si amicaux dans l’accueil qu’ils réservèrent à mes officiers, à mes hommes et à moi-même dans leur maison de Lord Street…
Jean Arnold
Nul plus qu’elle n’était qualifie pour rédiger ces souvenirs !
Je sais bien qu’il ne s’agit ici que de nos Amis d’Angleterre!
Qu’il me soit cependant permis de rendre un nouvel et bref hommage au cran, au dévouement souriant et infatigable avec lesquels notre chef du service social sut remplir sa difficile mission.
Il y a peu de dames en France qui font partie de l’ordre du Mérite maritime. Notre amie en est une et elle a particulièrement mérité cette distinction.
Mais avant de lui laisser la plume je tiens à écrire moi-même quelques mots de reconnaissance à l’adresse de, entre autres amis du British Conseil de Liverpool, MM. Pearson, Smith et Mougne, sans oublier Mrs Dat, qui furent si amicaux dans l’accueil qu’ils réservèrent à mes officiers, à mes hommes et à moi-même dans leur maison de Lord Street…
Jean Arnold
Les Français qui, fin juin 1940, ont rallié la France Libre en Grande-Bretagne, n’étaient pas sans avoir une certaine appréhension quant à l’accueil qui leur serait réservé.
Bien vite d’ailleurs cette appréhension fut dissipée car aucun d’entre nous ne saurait oublier qu’à ce moment pénible de la capitulation, nos amis Anglais voyant notre désarroi s’empressèrent de nous réconforter, disant : « Pauvre France, never mind ! Soyez sans inquiétude, votre pays souffre, mais nous continuons la lutte et un jour viendra où nous pourrons avec vous le délivrer ».
Souvenons-nous qu’il n’y avait pas que les « Free French » en Angleterre. Presque toutes les nations de l’Europe étaient représentées, il fallait à nos amis britanniques une grande générosité et une attitude aimable pour concilier autant d’éléments disparates venus pour les aider. C’est à cette attitude du peuple anglais tout entier que l’on reconnaît son libéralisme traditionnel.
Il n’est pas question dans ce court article de mentionner tout ce que nos amis Anglais ont fait pour notre armée, notre marine de guerre, notre aviation, ceci a déjà été fait et le sera encore par d’autres personnes plus qualifiées que moi.
Je parlerai seulement de l’attitude des Britanniques envers nos marins de la marine marchande française combattante.
Certes, dès le début, nos marins ont toujours trouvé près des organismes anglais toute l’aide désirable, mais ces efforts étaient dispersés, nos besoins plus pressants… Il fut donc reconnu utile de centraliser en un seul organisme ces efforts et les bonnes volontés des personnes charitables anglaises qui s’intéressaient à notre marine marchande.
Les œuvres sociales de la marine marchande française libre étaient créées.
Ces œuvres cependant n’auraient pu subsister efficacement sans le concours constant apporté par les organisations diverses déjà établies. Je les cite au hasard de mes souvenirs et sans aucun ordre de préférence car tous les concours, petits et grands, nous furent des plus précieux.
À ces combattants sans uniforme qu’étaient nos marins du commerce et de la pêche, à ces hommes, dont beaucoup avaient laissé derrière eux femme, enfants, vieux parents, nos amis Anglais apportèrent soutien matériel et moral.
Je citerai tout d’abord le « Merchant Navy Comfort Service » qui, malgré les charges écrasantes d’approvisionnement de sa marine, la plus grande de l’époque, partageait de grand cœur avec tous les nôtres les dons qu’elle recevait de tous les coins d’Angleterre : quel est le marin français qui ne se souvient d’avoir reçu, qui le « rescue bag » après son naufrage, qui les chauds lainages tricotés dans un ouvroir ou parfois dans un modeste foyer ?
Le « Board of Trade » de son côté, nous a toujours aimablement accueillis. Cet organisme, pourtant rigide, était d’une extrême bienveillance devant la détresse de nos marins évadés de France. Il octroyait à notre service les coupons nécessaires à l’achat d’un costume et ce dernier venait souvent remplacer l’humble vêtement de toile porté par nos pêcheurs.
Le «Women Volontary Comfort Service » pensait aussi à nos œuvres. De nombreux colis de laine nous furent gracieusement offerts par ce service. Nous pouvions ainsi faire tricoter de confortables lainages par nos marins malades dans les hôpitaux anglais ou au sanatorium français de Beaconsfield.
La « Bristish Red Cross », cette grande et magnifique organisation nous a, non seulement, facilité l’envoi de colis de vivres aux familles en France chaque fois que l’occasion s’est présentée, mais également a pu faire retransmettre les très nombreux messages collectés par notre service à bord de nos navires et ainsi nos équipages repartaient en mer, libérés d’un souci qui leur tenait à cœur : celui de rassurer leurs familles. Ils emportaient en même temps l’espoir qu’au retour d’un voyage un mot des leurs, pourrait enfin les attendre au port.
Je pourrais aussi vous dire combien d’initiatives privées (ouvroirs, braves demoiselles, amis anglais) ont tricoté ou ont apporté, livres, vêtements, pour nos hommes attendant dans les foyers leur prochain embarquement. Plusieurs commerçants, dans le quartier de Victoria entre autres Kinch, Lake et Gorrings, recevaient avec beaucoup de cœur ceux qui s’évadaient de France et consentaient avec bonne grâce d’importants rabais, nous permettant ainsi de mieux vêtir nos hommes.
De nombreuses familles anglaises invitaient nos marins et officiers pendant leur escale dans un port ou pendant leur convalescence.
Dans les hôpitaux, nos gars recevaient fréquemment des cigarettes et friandises de la part des Britanniques venus rendre visite à l’un des leurs. Un petit fait entre beaucoup d’autres j’ai vu une vieille dame qui, pendant plusieurs semaines, a fait chaque jour plus de 10 kilomètres à bicyclette pour venir apporter des « Buns » et un thermos de café à trois de nos matelots malades qui lui avaient dit ne pas aimer le thé.
Combien de nos hommes dans ces hôpitaux, avant de mourir loin des êtres chers, ont vu rester près de leurs lits ces vieilles dames anglaises ! Elles leur apportaient un peu de réconfort et la douceur d’une présence féminine.
Grâce aussi à la générosité et aux facilités accordées par les autorités britanniques, nous avons pu obtenir des immeubles pour y installer nos foyers de marins (Cardiff, Liverpool, Fleetwood, Londres). Dans ces foyers nos officiers et marins recevaient une nourriture française, ils pouvaient se reposer parmi leurs camarades, en attendant de repartir en mer pour lutter à côté des Alliés dans la bataille de l’Atlantique. Quelques rares marins avaient eu la grande chance d’avoir avec eux leur femme en Angleterre. Ici encore, la sollicitude, le bon cœur de nos amis anglais se sont manifestés.
La femme d’un matelot hospitalisé pour de longs mois était sur le point d’accoucher et ne pouvait se procurer une voiture d’enfant. Elle nous en fait part. Nous recevons après notre appel non pas une, mais six voitures d’enfants plus deux chèques destinés à l’achat d’une voiture neuve.
D’autres sont dépannés pour des logements et ne paieront qu’un prix modique comparé aux prix demandés aux Britanniques.
La jeune veuve d’un de nos officiers disparu dans un torpillage, et mère d’un tout petit bébé né quelques semaines après dut subir une très grave opération qui l’obligea à rester allongée dans un plâtre. Un ménage anglais qui l’avait connue à son arrivée en Angleterre, recueillit la maman et l’enfant. Pendant plus de trois ans ces deux êtres furent dans ce foyer ami, entourés d’affection et de soins les plus dévoués.
Après les années de guerre, nous arrivons à la libération de notre sol de France. Les Britanniques continuent de nous secourir. Nos marins venus de France, pour permettre à leurs camarades de rentrer dans leurs foyers, recevront eux aussi du « British Welfare » tout ce dont ils auront besoin ainsi que leurs familles.
Notre France est libérée, mais que de misères à soulager. Nos amis, toujours généreux, nous procurent des centaines et des centaines de layettes complètes, de nombreuses caisses de vêtements divers pour enfants jusqu’à 12 ans. Ces caisses furent expédiées dans plusieurs petits ports ou villes françaises particulièrement sinistrés.
Avant de terminer, je ne veux pas oublier une très grande dame, Lady T. Elle fut très souvent notre providence, particulièrement lors des ventes de charité où figurait notre comptoir des œuvres marine marchande. À l’une de ces ventes au « Grosvenor House », Lady Tarrington vint spécialement avec des amies à notre comptoir pour y faire monter les enchères et ainsi faire doubler notre recette. Afin de nous permettre de nous rendre à Paris, rue Berryer, pour une autre fête de charité, Lady Tarrington fit une collecte parmi ses amis, collecte qui, jointe à ses nombreux dons personnels, nous permit d’avoir un des comptoirs les mieux achalandés pour le plus grand bonheur des Parisiens venus en grand nombre nous rendre visite. La recette, là encore, dépassa toutes nos espérances.
Depuis la fin de la guerre, huit années se sont écoulées. La marine marchande française a repris son œuvre de paix. Nos anciens marins Français libres ont recommencé leur dur métier. Plusieurs d’entre eux hélas ne sont plus, d’autres ont pris leur mouillage et jouissent d’un repos bien gagné. J’ai eu l’avantage de revoir quelques-uns de ces marins connus en Grande-Bretagne, aussi de recevoir plusieurs lettres. Tous se souviennent, non sans une certaine émotion parfois, des années de lutte commune et gardent au fond de leur cœur une amitié reconnaissante pour ce grand peuple qui, au moment des heures pénibles de notre histoire, sut se montrer envers eux aussi noble que généreux.
Marie Guéna
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 64, janvier 1954.