Le sauvetage
Agent de la section R (renseignement) du BCRA parachuté en France en mars 1944 dans le cadre de la mission « Greco » (le pseudonyme qu’il a choisi), Stéphane Hessel est arrêté par les Allemands à Paris le 10 juillet suivant et déporté le 8 août en Allemagne avec 36 autres agents britanniques, français et belges, tous condamnés à mort (1).
Ils arrivent à Buchenwald le 16 août. Le 8 septembre, 16 d’entre eux « sont appelés à la tour ». Trois jours plus tard, Hessel apprend qu’ils ont été exécutés de la bouche de Serge Balachowsky. Ce dernier est un chercheur de l’Institut Pasteur déporté à Dora comme simple travailleur et transféré à Buchenwald par le médecin SS Erwin Ding-Schuler, chef de l’Hygiene Institut du camp, afin de l’assister dans la recherche d’un vaccin contre le typhus exanthématique. Les seize hommes « ont été suspendus par le cou à des crochets enfoncés dans le mur du four crématoire et sont morts étranglés lentement par leur propre poids. Puis on les a brûlés » (2). 11 autres subissent le même sort le 5 octobre.
Comprenant que les 37 agents sont condamnés à mort, l’un des compagnons de Hessel, Forest Yeo-Thomas s’adresse à la direction clandestine du camp, tenue par les communistes allemands, en vain ; celle-ci limite ses interventions aux membres du Parti. Finalement, Serge Balachowsky, d’accord avec Eugen Kogon, qui travaille avec lui au block 50, consacré aux expériences médicales, convainc le médecin SS Erwin Ding-Schuler, responsable de ce block, – « contre la promesse d’attestations revêtues de signatures prestigieuses, qu’il pourra faire valoir auprès des Alliés » – de permettre un échange d’identité entre les officiers alliés et des morts du typhus.
Les agents doivent être admis au block 46, « où vivent et meurent les déportés atteints du typhus », grâce à la complicité du kapo (3), Arthur Dietzsch, une brute détenue à Buchenwald depuis onze ans, après six ans de prison sous la République de Weimar ; mis dans la confidence par Kogon, trop catholique et trop intellectuel aux yeux de Dietzsch, le social-démocrate Heinz Baumeister parvient à le convaincre.
A la fin de septembre, Yeo-Thomas choisit les agents qui bénéficieront de ce sauvetage. Leur nombre est limité à trois ; il s’agit de Yeo-Thomas, Henry Peulevé et Hessel. Quinze français atteints du typhus dans un camp de travail forcé près de Cologne sont couchés au rez-de-chaussée du block 46. Hessel et ses compagnons doivent prendre l’identité des trois premiers qui mourront, les corps de ces derniers étant envoyés au crématoire avec leur nom et leur matricule. On leur fait des piqûres sous-cutanées, afin de provoquer une fièvre artificielle.
Peulevé prend ainsi la place de l’ébéniste Marcel Seigneur, Yeo-Thomas celle du policier Maurice Chouquet, enfin, Hessel celle de l’étudiant Michel Boitel. Après un léger mieux, celui-ci finit par mourir le 20 octobre 1944.
Pour plus de sécurité, les trois hommes sont ensuite dirigés vers des kommandos extérieurs, au début de novembre : Peulevé est transféré à Schönebeck (4), Yeo-Thomas à Gleina ; Hessel, lui, part pour Rottleberode le 2 novembre.
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Envoyé sous le nom de Boitel en kommando dans ce second camp, Hessel doit se lever chaque jour à cinq heures du matin et faire une marche de trois quarts d’heure pour rejoindre une usine souterraine de trains d’atterrissage de Junker 52.
En décembre, son corps « donne pour la première fois des signes de faiblesse ». Grâce à la bienveillance de deux politiques qui ont obtenu le statut de Prominenten (« détenus de fonction »), le kapo Walter et le schreiber (secrétaire) Ulbricht, qui se sont pris d’affection pour lui grâce à sa pratique de l’allemand, il obtient d’être porté pâle et peut travailler avec eux jusqu’à son rétablissement, en janvier 1945.
(1) Six seulement ont survécu : 4 Anglais (Forest Yeo-Thomas, Henry Peulevé, Maurice Southgate, George Wilkinson) et deux Français (Stéphane Hessel et Pierre Culioli).
(2) Olga Wormser-Migot, Tragédie de la déportation 1940-1945 : Témoignages de survivants des camps de concentration allemands, Hachette, 1954, p. 363.
(3) Kapo est l’acronyme de « KAmaraden POlizei » (camarade policier). Ce terme désigne, dans le vocabulaire des camps, le détenu responsable d’un kommando de travail ou qui dirige un service.
(4) Michel Reynaud, Livre-mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution, 1940-1945, tome 3, Fondation pour la Mémoire de la Déportation/Editions Tirésias, 2004, p. 52.
(2) Olga Wormser-Migot, Tragédie de la déportation 1940-1945 : Témoignages de survivants des camps de concentration allemands, Hachette, 1954, p. 363.
(3) Kapo est l’acronyme de « KAmaraden POlizei » (camarade policier). Ce terme désigne, dans le vocabulaire des camps, le détenu responsable d’un kommando de travail ou qui dirige un service.
(4) Michel Reynaud, Livre-mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution, 1940-1945, tome 3, Fondation pour la Mémoire de la Déportation/Editions Tirésias, 2004, p. 52.
Bibliographie
• Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Hessel, Stéphane (né en 1917) », dans le Dictionnaire de la France libre, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010, p. 738-739.
• Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997.
• Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Hessel, Stéphane (né en 1917) », dans le Dictionnaire de la France libre, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010, p. 738-739.
• Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997.