Le débarquement de Provence vu par un sous-officier de la 1re DFL

Le débarquement de Provence vu par un sous-officier de la 1re DFL

17 août 1944. Enfin en France ! Je suis bien fatigué. Malgré cela, je veux écrire mes impressions. Demain, elles ne seront plus les mêmes. Nous avons dû attendre notre tour d’embarquement dans le chaland. Ce n’est que vers 3 heures du matin qu’il est venu nous chercher.
Très chargés comme nous l’étions, la descente des échelles de fer des bateaux devenait une véritable acrobatie. Débarqués, nous avons été obligés de rentrer dans l’eau jusqu’au ventre pour atteindre la plage. Ce n’est qu’après trois kilomètres très pénibles et coupés par de fréquentes pauses, tant nous étions fourbus, que le capitaine a arrêté la compagnie pour nous faire prendre quelques heures de sommeil. Réveil en trompette, nous avons dormi dans une pinède près d’une vigne.
Les deux premières Françaises rencontrées, une vieille femme toute ridée et une jeune très grosse et assez vulgaire, avaient déclaré à l’un des nôtres qu’elles étaient moins malheureuses avant que nous ayons abîmé leur village… Une autre nous disait aimablement bonjour.
L’attitude générale et la méfiance de ces gens, dont l’idéal se borne à leur lopin de terre, prouvent qu’ils n’ont jamais fait preuve d’un patriotisme éclatant.
Dans le village, l’une des villas a joué de malchance, une automitrailleuse boche était camouflée contre ses murs. La redoute qui interdisait l’accès de la baie fut annihilée par des vagues de bombardiers.
Les commandos ont surpris l’ennemi. Le combat n’a duré que deux heures. Deux mille Allemands défendaient le secteur. Les boches avaient miné la région avec des obus de 105 et de 155 reliés à des fils qui déclenchaient leur détonateur.
Le Génie travaille à l’épuration des champs et des bois. Tout autour de nous, des pins ; entre ces arbres, nous apercevons la baie, une jolie petite chapelle toute blanche.
Nous étions trop fatigués pour ressentir une quelconque émotion en mettant le pied dans notre Patrie… L’aviation alliée tient l’air sans arrêt. Les convois débarquent du matériel. Très bientôt, nous allons reprendre le chemin du baroud et de la gloire pour notre France.
En attendant, nous campons au bord d’un bosquet […].

Ouvrage

Jacques Bardet, Français Libre… à en mourir, éditions italiques, 2010.

Auteur

Jacques Bardet (1919-1944) est caporal au bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique. Engagé dans la France Libre en 1940, c’est un ancien de Bir Hakeim. Il est tué le 23 août 1944, dans les environs de Toulon, la veille de ses vingt-cinq ans.