La bataille de Bir-Hakeim

La bataille de Bir-Hakeim

La bataille de Bir-Hakeim

Elle a duré 15 jours, du 27 mai au matin au 11 juin, aux premières lueurs de l’aube. Elle peut se diviser en quatre phases :
Du 27 au 31 mai : l’ennemi attaque Bir-Hakeim avec une division blindée.
Du 31 mai au 2 juin : la brigade se prépare à poursuivre l’ennemi en retraite et certains de ses éléments amorcent cette poursuite.
Du 2 au 10 juin : l’ennemi, avec deux divisions, encercle Bir-Hakeim et par des assauts répétés et poussés à fond cherche vainement à s’emparer de la position.
Dans la nuit du 10 au 11 juin : la brigade évacue Bir-Hakeim en effectuant une sortie de vive force au travers des lignes ennemies et, brisant l’encerclement, rejoint le gros de l’armée alliée.

Mardi 26 mai

Depuis quelques jours on s’attend à une offensive ennemie. À Bir-Hakeim cette offensive est attendue de pied ferme, et le moral est excellent. Depuis que la brigade est entrée en campagne, un calme relatif règne sur le front de Libye. À Halfaya, la reddition de la garnison allemande a privé les forces françaises d’une occasion de combattre. Trois mois durant, les diverses unités à tour de rôle ont participé à des opérations de colonnes au cours desquelles certes plusieurs ont eu l’occasion de se distinguer, mais les engagements sont restés de petite envergure ; ce qu’on veut c’est le grand choc. À Bir-Hakeim ces désirs ont des chances d’être satisfaits. La position se trouve à l’extrémité sud des lignes de défense alliées qui sont établies perpendiculairement à la côte à hauteur de Gazala. Elles sont constituées en gros par un système de points forts couverts et reliés par des champs de mines qui viennent aboutir sur Bir-Hakeim. De Bir-Hakeim un second champ de mines a été posé sur une ligne qui se dirige vers le Nord-Est. La position se trouve donc à la pointe d’une sorte de « V » dessiné par deux lignes de champs de mines.

general-koenig
Le général Koenig (RFL).
Bir-Hakeim est la charnière autour de laquelle peut s’exécuter un mouvement tournant par le Sud. Tant que Bir-Hakeim tiendra, il sera difficile pour l’ennemi d’effectuer un mouvement de ce genre et surtout d’exploiter un succès. En outre, en cas de contre-offensive britannique, Bir-Hakeim est considéré comme la plaque tournante de toute la manœuvre des unités blindées. Les Français sont à une place d’honneur.
On a dit que Bir-Hakeim était une oasis, un endroit planté de palmiers, un emplacement de sources.
C’est inexact. Le désert libyque, de la côte à quelques centaines de kilomètres à l’intérieur, est une plaine désertique de terre et de cailloux à peine ondulée ; par endroits, cette plaine est recouverte de buissons ras ; au printemps il y pousse quelques graminées sauvages et des fleurs ; dès le mois d’avril tout est déjà séché par le soleil, et les plantes ont pris la couleur ocré clair qui est celle de la terre ; à Bir-Hakeim le sol, légèrement sablonneux, est incapable de nourrir même cette maigre végétation. Le point où nous sommes n’aurait pas de nom sur la carte s’il n’y existait un puits fournissant une eau qui pouvait paraître abondante à une tribu de bédouins pour quelques semaines. Il a suffi de quelques jours de présence de plusieurs milliers d’hommes pour que ce puits soit définitivement à sec. Dans un désert qui est un des points du globe les plus déshérités, Bir-Hakeim est particulièrement inhospitalier. Dans une région balayée par les vents de sable, Bir-Hakeim est spécialement pénible, le sol étant entièrement dépourvu de cette végétation qui contribue à fixer dans une certaine mesure la poussière. Par brise légère et alors que l’atmosphère est claire aux alentours, Bir-Hakeim disparaît dans des tourbillons de sable.
Depuis le mois de février, la brigade est installée sur les lieux, et un travail de tous les instants perfectionne de jour en jour le dispositif de défense. Cette défense a été prévue principalement en vue d’une attaque par des éléments blindés. Elle consiste en un réseau de champs de mines dont les abords seront défendus par des tirs d’artillerie. Ces champs de mines délimitent un pentagone d’environ 4 kilomètres sur 4. Cette surface de plaine, c’est Bir-Hakeim.
En se tenant au centre, on voit s’étendre autour de soi l’immensité plate du désert dont quelques ondulations délimitent à l’horizon des crêtes distantes en moyenne de 5 à 6 kilomètres. Dans la plaine, on distingue les piquets sur lesquels sont tendus les fils de fer qui indiquent les pourtours des champs de mines. Ceux-ci représentent une surface de terrain sur laquelle des mines sont posées à une distance n’excédant généralement pas 1 mètre l’une de l’autre.
Ces mines sont constituées par une charge d’explosifs contenue dans une boîte de métal de la grandeur d’une assiette ; cette boîte est placée dans un trou et recouverte de terre ; au bout de quelques semaines, le sol s’est nivelé à nouveau et rien ne décèle l’emplacement de la mine. Les mines sont destinées à arrêter les camions, automitrailleuses ou chars d’assaut et explosent quand un véhicule de plus de 200 kilos passe dessus. Elles sont donc inoffensives contre un homme à pied. Les champs de mines autour de Bir-Hakeim ont été disposés suivant un plan soigneusement mis au point qui comporte des saillants et des redents, dont l’objet est de canaliser les véhicules ennemis le long de certains itinéraires.
Les fils de fer qui entourent les champs de mines n’offrent aucun obstacle à une attaque d’infanterie ; ils servent seulement à indiquer l’emplacement des terrains minés afin que les conducteurs de nos propres véhicules puissent les éviter.
Quant à l’intérieur du périmètre de Bir-Hakeim, c’est une superficie de terrain presque plat sur laquelle les différentes unités sont réparties. Pendant près de quatre mois, les hommes ont travaillé à creuser des trous et la plupart des véhicules sont à demi enfoncés dans le sol. À côté des tentes individuelles chacun s’est aménagé une tranchée étroite et profonde qui sera un excellent abri contre les bombardements. Certaines unités habitent entièrement sous terre, ayant creusé et installé des sapes qui ont l’avantage d’être plus étanches que les tentes quand des tourbillons de sable volent dans l’air, ce qui arrive en moyenne trois jours par semaine.
La garnison comprend quatre bataillons d’infanterie, dont deux de Légion étrangère ; un troisième bataillon colonial blanc est formé avec des unités d’infanterie de marine et d’autres venues de Nouvelle-Calédonie et des îles du Pacifique ; le quatrième est un bataillon colonial noir de tirailleurs de l’Afrique équatoriale française. Un régiment d’artillerie dispose de quatre batteries de six pièces de 75. D’autres 75 sont répartis entre les diverses unités et servent de pièces antichars, ainsi que des canons de 47. Un bataillon de fusiliers marins qui assure la défense contre avions a touché il y a quelques jours des canons Bofor pour remplacer ses armes démodées. Les marins ont travaillé dur pour s’entraîner au maniement de leurs nouveaux canons. L’officier anglais qui fait un cours sur leur emploi doit leur faire passer un examen demain.
En plus de ces éléments, la brigade comprend des unités du génie, des transmissions, un groupe sanitaire, une ambulance chirurgicale légère et divers services.
Au cours de l’après-midi, nos colonnes légères qui patrouillent le désert de l’Ouest ont observé une activité inaccoutumée de la part de l’ennemi. Vers 16 heures on signalait deux fortes colonnes adverses qui viennent du Nord-Ouest et semblent se diriger vers Bir-Hakeim. Nos propres éléments avancés se replient en combattant et sont ramenés, sous la pression ennemie, aux abords de la position.
Est-ce l’attaque ? À Bir-Hakeim on l’attend sans forfanterie mais avec un calme réfléchi ; les hommes de la 1re brigade française seront heureux si elle vient ; on est impatient de se battre. Chacun sait que la brigade est à une place d’honneur et que le commandement allié lui fait confiance. De cette confiance on fera tout pour se montrer digne.

Mercredi 27 mai

Toute la nuit on a entendu des bruits de moteur. De tous côtés on signale que des colonnes ennemies sont en mouvement. Par précaution les portes qui donnent accès à la position sont minées. Ces portes sont plutôt des chicanes, passages étroits et tortueux aménagés dans les champs de mines. Il y en a trois : la première à l’Est s’ouvre sur la piste qui se dirige vers El Adem et Tobrouk, là où se trouvent les échelons arrière de la brigade : train, intendance, services de ravitaillement. La seconde conduit à une piste qui tourne plein Ouest et se dirige vers Mechili et Msous. La troisième au Nord-Ouest, conduit à une crête sur laquelle a été établi un poste d’observation pour les tirs d’artillerie. Cette nuit, une quatrième porte a été aménagée au Nord. Elle donne accès à la région dite du « V » comprise entre les deux grands champs de mines qui viennent aboutir à Bir-Hakeim. Cette nouvelle porte facilitera la sortie de nos patrouilles qui ont reçu mission de surveiller le « V » et d’interdire à l’ennemi les opérations de déminage et le passage de ses colonnes à travers les champs et les marais de mines.
Un officier de liaison d’une brigade indienne vient se réfugier dans Bir-Hakeim. Il n’a pu retrouver son unité qui a été attaquée violemment par des forces adverses. Il confirme que, sur l’ensemble du front, l’ennemi a pris l’offensive. Ses colonnes ont traversé en un point les champs de mines et avancent en direction d’El-Adem. À Bir-Hakeim, on sent que l’attaque est imminente. Chacun est à son poste. À 8 heures on signale au Sud une forte concentration de chars. On ignore encore s’il s’agit d’amis ou d’ennemis et les ordres sont de ne pas tirer. Mais voici que les chars se mettent en mouvement, points noirs qui avancent sur la plaine, soulevant derrière eux un panache de poussière. Le doute n’est plus permis.
Il est 9 heures et on voit nettement 70 tanks qui progressent le long du champ de mines à l’Est du camp, en formation de combat. De toutes leurs pièces les chars tirent sur la position ; arrivés en face de la porte Est, ils font un quart de tour vers la gauche et foncent droit en avant vers les défenses.

bataille-bir-hakeim-1
Les champs de mines autour de Bir-Hakeim (RFL).
À ce moment les pièces antichars ouvrirent le feu. Dix-huit des lourds engins blindés sautèrent sur des mines et plus ou moins endommagés furent achevés à coup de 75. Le combat se déroula, furieux, pendant plus d’une heure. Les attaquants étaient des chars italiens M 13. Plusieurs portaient des canons de 75. Les uns après les autres, les chars s’immobilisaient, atteints par les obus qui perforaient les cuirasses et éclataient à l’intérieur. Des tourbillons de fumée se dégageaient des chars cloués sur place. Une épaisse poussière couvrait la zone où se déroulait la bataille. À un moment donné, 30 chars s’avancèrent simultanément ; les premiers coups des antichars furent tirés alors qu’ils étaient encore à 400 mètres, les derniers alors que certains chars n’étaient plus qu’à quelques mètres. Les légionnaires effectuant des sorties faisaient prisonniers les soldats ennemis qui abandonnaient les chars en flammes ; il y en avait qui se roulaient par terre pour éteindre le feu qui prenait à leurs vêtements.
Six chars réussirent à entrer dans les défenses intérieures de la position. L’un est à 15 mètres du poste de combat d’un officier commandant une compagnie de Légion étrangère. Un obus de 47 tiré par le char traverse l’abri de cet officier sans le toucher. Il brûle son fanion, craignant qu’il ne tombe aux mains de l’ennemi, tandis que ses hommes s’élancent en avant, attaquant les chars dans un furieux corps à corps. Les légionnaires lancent des grenades incendiaires, grimpent sur les chars, tirant au revolver sur les occupants au travers des fentes de visée. En quelques minutes les six chars sont hors de combat. Le colonel italien qui les commandait est fait prisonnier. Cet officier qui se battit très courageusement avait, quoique blessé, changé trois fois de tank au cours du combat. Il nous apprit que la veille des éléments avancés, avaient en se repliant, détruit trois chars de son régiment. Ayant perdu 32 chars, l’ennemi se retira vers 11 h 30. Un sergent-chef de la Légion avait à lui seul sept tanks à son actif avec la pièce de 75 qu’il commandait. Une autre pièce servie par le bataillon d’infanterie de marine en avait détruit cinq. À un moment, un obus s’était enrayé dans le canon. Sans tenir compte du danger, un des servants l’avait extrait en introduisant le refouloir dans le tube et en frappant dessus à coups de marteau.
Les prisonniers sont interrogés. On apprend que l’assaut a été mené par la division italienne « Ariete ». Plusieurs des soldats tombés entre nos mains sont blessés. Ils sont dirigés sur l’infirmerie où des soins leur sont prodigués.
Cet après-midi, un convoi de véhicules italiens est venu se présenter à la chicane de la piste de Mechili. Grand étonnement des conducteurs de tomber sur des sentinelles françaises. D’après les plans du matin, l’offensive Bir-Hakeim devait tomber ce matin. Plusieurs des officiers italiens prisonniers ont exprimé leur admiration devant la défense de la position. Ils ne pouvaient en croire leurs oreilles quand ils ont appris que les effectifs à Bir-Hakeim se montaient à une seule brigade.

Jeudi 28 mai

On se rend compte au matin que Bir-Hakeim est encerclé de trois côtés et que les communications avec le gros des forces britanniques sont coupées. Pourtant l’ennemi ne renouvellera pas sa coûteuse attaque d’hier, il s’en tiendra à des incursions isolées au moyen de quelques petits groupes d’engins blindés mais sans réussir à surprendre la vigilance des défenseurs de la place. Les combats de la veille n’ont en rien entamé leur mordant et leur esprit d’offensive, bien au contraire. Passant à l’attaque, ce sont eux qui effectuèrent aujourd’hui des sorties au cours desquelles ils incendièrent tous les chars mis la veille hors de combat ; de plus ils réussirent des coups de main qui permirent de faire plusieurs prisonniers.

Vendredi 29 mai

La situation pareille à celle d’hier, s’est prolongée pendant toute la journée. Effectuant une sortie, un détachement mit le feu à huit automitrailleuses. Un autre détachement de la Légion étrangère attaqua un groupe de 17 chars et en incendia cinq. Les 12 autres s’enfuirent en direction du Nord.
Dans l’après-midi une troupe d’hommes s’est présentée à la chicane Sud-Ouest. Ils étaient 600 environ, soldats indiens que les Allemands avaient fait prisonniers deux jours plus tôt. Ne pouvant leur donner de l’eau ni des vivres, leur propre ravitaillement étant difficile, les Allemands les avaient libérés et abandonnés en plein désert. Les malheureux étaient épuisés par une longue marche. Ils furent accueillis à bras ouverts et reçurent aussitôt des rations d’eau et de vivres et des couvertures. Il est à signaler que les prisonniers ennemis sont traités sur la même base que les hommes de la brigade pour l’eau et la nourriture. Pourtant la place est en fait assiégée et nos réserves ne sont pas particulièrement abondantes. Très courtoisement le général a fait expliquer aux officiers ennemis prisonniers qu’il regrettait, en raison des circonstances, de ne pouvoir leur assurer qu’un confort relatif.

Samedi 30 mai

L’ennemi a battu en retraite. Son attaque s’est brisée contre la défense opposée par la 1re brigade française. Il laisse sur le terrain 43 chars dont les carcasses calcinées forment autour de la porte Est un véritable cimetière, certains à quelques mètres de la bouche du canon qui les a détruits et qui est resté en position ; de plus l’ennemi a perdu huit automitrailleuses, de nombreux véhicules et il laisse entre nos mains 180 prisonniers. L’échec subi devant Bir-Hakeim a contribué à rendre momentanément impossible la réalisation de son plan d’attaque qui visait à tourner par le Sud la ligne de défense britannique. Du côté de la brigade les pertes sont si légères qu’elles paraissent à peine croyables : elles se montent à trois blessés légers.

Dimanche 31 mai

Il semble que le général Rommel accentue le mouvement de repli amorcé hier. Ses forces ont été ramenées à l’Ouest de la ligne des champs de mines entre Bir-Hakeim et Gazala.

aspect-position-bir-hakeim
Un aspect de la position (RFL).
Le commandement allié prend ses dispositions pour poursuivre l’ennemi et la 1re brigade a reçu l’ordre de se porter en avant dès l’arrivée de ses échelons arrières. Ceux-ci sont déjà revenus près d’El-Adem, sur leur ancien emplacement qu’ils avaient quitté le 27 mai au matin sous le feu ennemi.
Des troupes britanniques doivent venir relever la brigade dont la mission est d’aller occuper Rotunda Segnali à 80 kilomètres à l’Ouest en direction de Mechili. Quelques officiers anglais sont venus prendre connaissance des lieux. À déjeuner, au mess, ils font part de l’admiration qu’a suscitée la brillante défense de Bir-Hakeim par les Français. Ce soir est arrivé le convoi de ravitaillement qui avait quitté l’avant-veille l’emplacement où se trouvaient les échelons arrières. Ce jour-là Bir-Hakeim était encore encerclé et le passage de ce convoi aurait pu être une opération difficile et hasardeuse. Par suite de la retraite de l’ennemi, la file de camions qui apportait des munitions, des vivres et de l’eau, arriva sans encombre. Le convoi repartira dans la nuit, emmenant les blessés et les prisonniers.

Lundi 1er juin

À l’aube une colonne a pris la route de l’Ouest. Elle se dirige vers Rotunda Segnali.
Nous avons eu aujourd’hui la visite du général de Larminat qui a félicité la garnison pour la brillante résistance opposée à l’ennemi. Le général connaît bien Bir-Hakeim où il est resté plusieurs semaines alors que la division organisait la défense de la place et que certains éléments effectuaient des opérations de colonne en direction de Mechili sous le commandement du général Kœnig. Il a dû avoir plaisir à constater l’excellence du dispositif, à la conception duquel il a pris une part personnelle.
Pendant la journée, Bir-Hakeim a servi de cible aux bombardiers allemands qui cherchent sans doute à venger la défaite subie par la division « Ariete » et les 43 tanks dont les carcasses calcinées jonchent la plaine à l’Est du camp. Ce furent surtout des Stuka qui vinrent rendre visite à la brigade, lançant des bombes de 500 kilos qui faisaient dans le sol d’énormes entonnoirs de 5 à 6 mètres de diamètre. Deux de ces bombes ont encadré à 10 mètres un camion dont la carrosserie et tout ce qui était à l’intérieur a été tordu et lacéré par la déflagration. Le châssis et le moteur, qui étaient au-dessous du niveau du sol, car le véhicule était garé dans un trou, n’ont subi aucun dégât. Fait curieux, le moteur a été mis en route par le déplacement d’air.
Les fusiliers marins, au lieu de passer un examen de fin de cours, ont eu une chance de montrer que les leçons leur avaient profité. Quatre de leurs Bofor accompagnent la colonne et ici, à Bir-Hakeim, les autres, par leur feu nourri et bien ajusté, interdisent aux avions ennemis de descendre assez bas pour choisir les objectifs avec précision.
À 18 heures, alors qu’un bombardement était effectué par 24 Stuka, l’un piqua droit sur une pièce de D.C.A. ; quoique directement attaqués, les sept fusiliers marins qui servaient la pièce continuèrent à tirer. Le Stuka n’était plus qu’à 200 mètres et lâcha sa bombe ; les servants auraient dû se jeter à plat ventre mais comme des marins habitués à combattre sur le pont de leur navire où il n’y a pas d’abri possible, ils continuaient debout à tirer sur l’avion qui remontait en chandelle. La bombe tomba à 2 mètres de l’emplacement de la pièce ; l’explosion faucha les servants, tordit le tube ; l’affût qui était au-dessous du niveau du sol et les quatre roues qui le portaient étaient intacts.

fusiliers-marins-dca
Équipe de fusiliers marins à une pièce de D.C.A. (RFL).
Sans relâche les détachements légers ont patrouillé dans les environs de Bir-Hakeim ; le désert était calme mais ce calme avait un côté étrange. Le désert n’avait pas son aspect habituel. Était-ce le matériel abandonné ? Les automobiles allemandes et italiennes à peine endommagées et laissées sur place ? ou bien le réseau que dessinaient sur le sol les traces toutes fraîches des chenilles des tanks ? Le silence et le calme du désert paraissaient, le 1er juin, chargés de menace et trompeurs. On sentait confusément des présences proches ; les marques de la bataille n’étaient pas encore entrées dans le passé ; l’atmosphère était celle d’un entracte.
La colonne est arrivée dans la soirée à Rotunda Segnali où ne se trouvait qu’un léger détachement ennemi. Attaqué, il a battu en retraite. Au cours de l’engagement, un char adverse a été détruit. Quelques semaines auparavant, le plateau de Segnali était occupé par des forces considérables, défendu par des batteries d’artillerie lourde ; le 1er juin, il était pratiquement abandonné ; la mobilité et les déplacements fréquents sont une des caractéristiques de la guerre dans le désert. La colonne traversa, sans perdre un seul véhicule, les champs de mines qui entouraient la position de Segnali.
Dans la nuit l’ordre donné à la brigade de se porter en avant fut annulé par un contre ordre : demeurer à Bir-Hakeim et résister sur place.

Mardi 2 juin

Vers 9 h 30, une très forte colonne ennemie de plus de 1.000 véhicules avec des chars et des automitrailleuses fut signalée, venant du Nord-Est.
Pour la seconde fois le général Rommel avait pris l’offensive. L’ordre venait à peine d’être donné de fermer les portes que les premières automobiles blindées allemandes apparaissaient sur la crête à l’Est du camp. À proximité, un convoi britannique était arrêté depuis le matin ; quelques-uns des camions anglais se dirigèrent à toute vitesse vers la porte Est ; six purent passer à temps et trouver refuge dans le camp ; le reste du convoi fut capturé par les automitrailleuses ennemies dont les projectiles commençaient déjà à tomber dans la position, soulevant à leurs points de chute un petit nuage gris jaunâtre. Dans Bir-Hakeim chacun était à son poste de combat ; l’ennemi allait-il renouveler une attaque par les chars ? Avec le souvenir tout frais du succès de la semaine précédente, les hommes de la brigade étaient parfaitement confiants dans l’issue d’un nouveau combat. En fait aucun char n’apparut, mais une automobile qui portait un drapeau blanc. Deux officiers italiens en descendirent et demandèrent à être reçus par le commandant de la place. Ils furent conduits au quartier général. Le général Kœnig sortit de sa tente, une canne en jonc à la main. Raidi dans un garde-à-vous impeccable, l’un des officiers lui tint un discours en italien, langue inconnue du général qui ne comprit que quelques mots : « Rommel… circumdati… exterminati… capitulare ». Il n’en fallait pas davantage pour saisir de quoi il s’agissait. Au nom du général Rommel et d’un général italien, dont le général Kœnig ne put pas comprendre le nom, les parlementaires sommaient la garnison de Bir-Hakeim, qui était encerclée, de capituler. En cas de résistance, la garnison serait exterminée. Le général Kœnig répondit, d’un ton courtois, mais ferme, qu’il n’était pas question pour la brigade de se rendre sans combattre. « Vous êtes de grands soldats », répondit toujours en italien l’un des deux parlementaires, qui furent reconduits à la porte du camp où ils remontèrent dans leur voiture.

plan-bir-hakeim
(Source RFL).

Une heure après, les premiers obus de 105 tombaient dans Bir-Hakeim, et au bruit sourd de leur éclatement se mêlait le claquement sec des 75 qui tiraient sur les concentrations de véhicules qui s’installaient vers l’Est en direction de Bir-Scerrara et d’El-Igela la plupart à une distance suffisante pour demeurer hors de la portée des canons français. En quelques points de la crête, des colonnes de fumée montaient dans le ciel et témoignaient de la précision du tir de l’artillerie qui attaquait sans relâche tous véhicules ennemis qui s’aventuraient trop près.

Vers 1 heure de l’après-midi, un vent du sud assez fort commença à souffler et Bir-Hakeim disparut sous des nuages de sable. Il devenait impossible de régler les tirs d’artillerie par suite du manque de visibilité et la journée se passa lourde d’attente, jusque vers 7 heures du soir où l’on entendit le bruit des moteurs d’avion. Ils étaient 30 qui tournoyaient dans le ciel, ne parvenant pas à repérer leur objectif perdu dans les tourbillons de poussière. Ils finirent par le trouver après 20 minutes de recherches et ce fut le vacarme des grosses bombes. Sans doute mise en appétit, l’artillerie ennemie se réveilla et arrosa jusqu’à la nuit.

Mercredi 3 juin

L’aube commençait à peine à poindre que, trompant la surveillance des postes ennemis, la colonne envoyée à Segnali est rentrée à Bir-Hakeim sans avoir reçu un coup de feu. La journée de la veille n’avait pas été aussi facile. On apprend que c’est par un temps épouvantable, le vent de sable empêchant de voir à plus de quelques mètres, que le colonel commandant la colonne avait reçu le télégramme lui enjoignant de regagner la position. Il fallut à la colonne plusieurs heures pour retraverser les champs de mines et elle se trouvait encore à 50 kilomètres de Bir-Hakeim au crépuscule quand le vent tomba, ce qui permit à l’aviation adverse de la découvrir et de l’attaquer violemment. Douze Messerschmitt 110 piquent sur nos véhicules et les mitraillent, mais une pièce de D.C.A. servie par des fusiliers marins qui utilisent pour la première fois leur Bofor contre des avions ennemis, abat un des appareils. Les 11 reviennent, cette fois en rase-mottes, concentrant leur feu sur nos canons. Du premier coup un second appareil est touché. Il bascule et en s’abattant touche de son aile l’appareil qui était à côté de lui qui tombe en même temps ; l’un explose dans l’air. Les avions volaient si bas qu’un moteur frôle la tête des servants du canon ; ils sont aspergés d’huile chaude. À quelques mètres plus loin, l’aile de l’avion qui percute au sol coupe en deux un camion. Une troisième fois les Messerschmitt reviennent à la charge : un quatrième appareil est atteint et tombe en flammes. L’ennemi a compris : il s’éloigne, mais son attaque a coûté cher à la colonne qui a des tués et des blessés et dont plusieurs véhicules brûlent.
Vers 7 heures, le colonel qui commandait la colonne est venu rendre compte de sa mission au quartier général. Il passe dans son side-car sur lequel est peint l’insigne du bataillon qui est sous ses ordres : un cocotier et des montagnes qui évoquent les îles du Pacifique, dont lui et ses hommes sont partis, il y a un an. Les soldats qui le voient le saluent et manifestent leur joie. Ils savent qu’avec la colonne, il y avait 12 canons de 75, que ces canons sont rentrés et qu’ils seront une aide précieuse dans la bataille qui va venir.
À 8 heures, deux soldats britanniques se sont présentés à la porte Est. Faits prisonniers la veille, ils avaient été renvoyés par les Allemands à Bir-Hakeim pour y apporter un message du général Rommel. Afin d’être bien sûr qu’il parviendrait à destination, le général allemand avait fait deux copies respectivement remises à chacun des deux soldats.
Le message était écrit sur du papier pour télégrammes. Rédigé en allemand, il était signé de la propre main du général. Son texte était le suivant :
ultimatum_rommel
L’ultimatum de Rommel (RFL).

An die Truppen von Bir Acheim (sic)

« Weiterer Widerstand bedeutet nutzloses Blutvergiesen. Ihr werdet dasselbe Schicksal erleiden, wie die beiden englischen Brigaden in Got Ualed, die vorgestern vernichtet wurden.
« Wir stellen den Kampf ein, wenn ihr weisse Flaggen zeigt und ohne Waffen zu uns darüber kommt. (1)
« Rommel, General Oberst ».
« Aux troupes de Bir-Hakeim
« Toute nouvelle résistance n’amènerait qu’à verser le sang inutilement. Vous auriez le même sort que les deux (2) brigades anglaises qui se trouvaient à Got Ualeb et qui ont été exterminées avant-hier.
« Nous cesserons le combat dès que vous hisserez le drapeau blanc et viendrez vers nous sans armes. »
La réponse du général Kœnig ne s’est pas fait attendre. Les batteries françaises ont ouvert immédiatement un feu nourri sur tous les véhicules ennemis qui viennent à portée.
En même temps, le général a fait porter à tous les commandants d’unités un ordre général dont ils doivent communiquer la teneur à leurs hommes.
Voici le texte de cet ordre :
« 1) Nous devons nous attendre désormais à une attaque sérieuse, par tous moyens combinés (aviation, chars, artillerie, infanterie). Elle sera puissante.
« 2) Je renouvelle mes ordres et ma certitude que chacun fera son devoir sans faiblir, à sa place, coupé ou non des autres.
« 3) Notre mission est de tenir coûte que coûte, jusqu’à ce que notre victoire soit définitive.
« 4) Bien expliquer cela à tous, gradés et hommes.
« 5) Et bonne chance à tous.
« Quartier général, le 3 juin 1942, à 9 h 30.
« Kœnig »
Cette fois, chacun comprend que la situation est sérieuse. Le moment est venu de faire son devoir sans faiblir ; tous sont résolus à accomplir avec tout leur cœur et toutes leurs forces leur tâche de soldat. L’occasion avait été longuement attendue de pouvoir affronter le vrai ennemi, l’Allemand que ces hommes sont venus rencontrer, partant de tous les coins du globe après des voyages aux fortunes diverses, dont certains furent une véritable aventure. Nulle forfanterie, nulle nervosité ; mais une résolution calme et un courage tranquille. Commandée par un chef en qui elle a une confiance absolue, se battant sur un emplacement dont la défense a été soigneusement et judicieusement préparée, sans que, dans la mesure du possible, rien n’ait été laissé au hasard. – (les points faibles : manque d’artillerie lourde à longue portée, absence d’un réseau de barbelés contre une attaque d’infanterie, parce qu’en raison du manque de matériel, le commandement n’a pu y remédier) – la 1re brigade des Forces françaises libres sait que l’heure a sonné où elle va pouvoir donner sa mesure. Chacun est décidé à lutter jusqu’au bout plutôt que de reculer ou de se rendre.
La journée s’est passée en duel d’artillerie. Le nombre des batteries ennemies a augmenté et aussi la variété des calibres. Il y avait du 75, du 88, du 100 et du 105. Les avions ne manquèrent pas de rendre visite à Bir-Hakeim. Par cinq fois dans la journée les Stuka vinrent. On les reconnaît de loin au son de leurs moteurs plus grave que celui des avions britanniques et coupé d’interférences caractéristiques. Quelques minutes après on les distinguait volant en V, leurs ailes d’un blanc verdâtre se touchant presque. Ils faisaient un tour afin de se placer le soleil dans le dos. Alors c’était le bruit sec des canons de la D.C.A. dont les obus traçants faisaient dans le ciel des traits roses et soudain les avions ennemis piquaient dans un bruit grandissant de moteurs. À 200 mètres, on voyait les bombes se détacher comme des perles brillant dans le soleil. La trajectoire pouvait être repérée plus ou moins et, suivant l’endroit, on s’aplatissait dans la tranchée, ou on regardait quelques secondes après s’élever du sol des hautes colonnes de poussière et de fumée. Les oreilles étaient assourdies par le vacarme des éclatements qui faisaient une basse au concert des canons et des mitrailleuses tirant toujours sur les Stuka, qui reprenaient de la hauteur et s’éloignaient au plus vite.
Plusieurs fois aussi on entendit le bruit plus aigu des moteurs britanniques. Entre eux et les Stuka, c’était un perpétuel chassé-croisé. Mais, aujourd’hui, vers 5 heures du soir, 10 minutes après une visite d’avions amis, les Stuka sont venus bombarder au moment où les Britanniques repassaient sur Bir-Hakeim. Les bombardiers en piqué sont sans défense contre la chasse. Nous avons vu les 12 Stuka descendre et essayer d’échapper en volant en rase-mottes et en effectuant des glissades sur l’aile. Sept colonnes de fumée noire prouvèrent que les Kittyhawk avaient fait de la bonne besogne et que plus de la moitié des aviateurs allemands ne reverraient jamais l’aérodrome dont ils s’étaient envolés pour la dernière fois. Quelques-uns des chasseurs anglais revinrent en volant bas sur Bir-Hakeim ; brandissant leurs casques au bout de leurs bras tendus, les soldats français démontraient leur satisfaction et saluaient les aviateurs alliés.

Jeudi 4 juin

Après les Kittyhawk, notre D.C.A. a prouvé aux aviateurs ennemis que les raids à Bir-Hakeim ne sont pas de tout repos. Entre 6 heures et 8 heures, quatre vagues de Stuka sont venues successivement bombarder la position. À la quatrième visite et alors que les Stuka piquaient, l’un fut atteint par un obus et éclata en plein vol. On vit une immense flamme que prolongeaient deux longues traînées roses qui étaient des fusées de signalisation, et les débris de l’avion pulvérisé tombèrent en tournoyant comme des flammèches de suie. Seuls reconnaissables, les ailerons arrières qui brûlaient en lançant des flammes verdâtres arrivèrent au sol les premiers. Très haut, dans le ciel, un parachute ouvert par la force de l’explosion descendait lentement avec le siège du pilote. Celui-ci, avec son compagnon, s’était écrasé à terre au milieu des morceaux fumants de son avion.
Tous deux furent enterrés par un groupe de leurs compatriotes prisonniers. L’un d’eux s’évanouit pendant cette cérémonie.

brenn-carrier-patrouille
Brenn Carrier en patrouille (RFL).

À 9 heures, nouvelle visite : ce sont 12 Stuka ; la D.C.A. en abat un, qui va s’écraser en dehors du camp. Dans l’après-midi ce furent des avions italiens qui vinrent. Un fut touché et prit feu. Le pilote fit un effort désespéré pour redresser son appareil qui, brûlant comme une torche, piqua verticalement après une courte et inutile chandelle et explosa au sol.

La journée, comme la précédente, se passe en duels d’artillerie. Le général Kœnig, très calme, a dit à l’un de ses officiers : « Si le général Rommel espère nous acculer à la capitulation par des moyens de ce genre, il devra attendre longtemps. »
Le général anglais, commandant le 30e corps, a adressé à la brigade le télégramme suivant :
« Excellent travail, tenez bon, toutes mes félicitations, tout ira bien. »
Après l’inquiétude ressentie aux premiers jours, due pour une part aux menaces de l’ennemi mais surtout à la sensation pénible de l’encerclement, le moral est redevenu excellent. Les bombardements par les avions et l’artillerie causent des pertes relativement minimes ; une brigade anglaise forme plusieurs colonnes légères quelque part dans le Sud-Ouest de Bir-Hakeim. Le sentiment général est nettement optimiste.
Cependant, il s’avère de plus en plus clairement que le commandement adverse presse ses préparatifs pour attaquer avec tous les moyens dont il peut disposer.
Le général Rommel est sur place. On le sait, d’abord parce que, l’ultimatum était signé de sa main, ensuite parce que l’un des Anglais qui a apporté cet ultimatum a vu un officier britannique prisonnier qui allait comparaître devant lui. Il est possible qu’il commande en personne l’attaque contre Bir-Hakeim.
Au nord de la position, la région comprise dans le V entre les champs de mines devient de plus en plus difficile à parcourir pour nos patrouilles. L’une d’entre elles qui avait pu parvenir jusqu’en un point où les Allemands avaient déminé et établi un passage a observé un trafic intense. L’officier qui commandait la patrouille a rendu compte au général qu’il avait vu deux canons de 155 sur tracteur allant vers l’Est.
Nous entendrons certainement leur voix demain et peut-être la voix de quelques autres aussi. En même temps l’infanterie ennemie appuyée tantôt par des chars, tantôt par des canons portés, effectue des reconnaissances dont l’objet doit être de tâter les défenses de la position et de découvrir le point vulnérable.

Vendredi 5 juin

Plusieurs événements à signaler cette nuit. D’abord un convoi britannique a réussi à traverser les lignes ennemies. Des camions ont apporté des munitions dont nous avons besoin, car les réserves s’usent vite à la cadence à laquelle travaillent nos batteries qui doivent exécuter sans interruption des tirs d’interdiction et de harcèlement sur tout le pourtour de la position.
Ensuite, vers 3 heures, le ciel, vers le Nord, s’est embrasé de grandes lueurs et le sol s’est mis à trembler à tel point que certains ont cru à une attaque massive de chars contre la place. Une grande bataille d’unités blindées se déroulait qui a duré jusqu’à l’aube.
Enfin, à 4 heures, le général Rommel a fait, une fois de plus, une tentative d’intimidation. Comme le remarqua plaisamment un officier, la cote de la brigade montait. Après de simples parlementaires chargés de « signifier » une sommation, l’ennemi avait chargé des « émissaires » d’apporter une missive signée de la main du général Rommel. Il envoyait maintenant un « plénipotentiaire » avec mission de traiter de la reddition de la place. Ce plénipotentiaire était un officier allemand qui se présenta à la porte Est. Un légionnaire originaire d’Allemagne y était de garde. Il commença par demander assez rudement et en allemand à l’officier ennemi ce qu’il voulait « Is there somebody who speaks english here ? » demanda dignement le plénipotentiaire. « Moi, répondit l’officier qui commandait le poste, et les ordres du général sont de ne recevoir aucun envoyé ennemi. Veuillez vous retirer ». Assez nerveusement l’officier allemand sortit un papier de sa poche dont il lut rapidement le texte qui était en anglais. Peut-être, le général Rommel craignait-il que ses premières sommations, l’une exprimée en italien, l’autre rédigée en allemand, n’eussent pas été comprise par le commandant de cette garnison de Bir-Hakeim qui faisait preuve d’un entêtement vraiment incompréhensible. Ayant lu son message, l’officier remonta dans l’automobile avec laquelle il était venu ; effectuant un malencontreux demi-tour il passe sur une mine qui saute. Dans la fumée de l’explosion qui se dissipe on voit sortir de la voiture fortement endommagée l’officier qui semble indemne et repart vers ses lignes sans demander son reste : « Tu as 4 kilomètres à marcher, lui crie en allemand la sentinelle ; ça t’apprendra à venir réveiller les gens à pareille heure ».

pc-brigade-bir-hakeim
Le P.C. de la brigade à Bir-Hakeim (RFL).

À 7 heures, le bombardement d’artillerie recommence et aujourd’hui, aux pièces de petits calibres se mêlent les batteries de 155. Des officiers d’un bataillon de Légion sortaient du mess après avoir pris leur breakfast : « Encore une bombe à retardement », dit l’un d’eux. Quelques minutes après, même scène, mais cette fois la détonation avait été précédée d’un bruit rappelant celui d’un train passant dans le lointain. Les bombes à retardement étaient des obus de 220.

apres-la-sortie
Après la sortie (RFL).
L’artillerie de Bir-Hakeim qui ne comportait que des 75 était incapable de répondre. Mais elle n’était pas pour cela inactive, bien au contraire. Les salves de nos batteries se suivaient l’une après l’autre.
On entendait les coups de départ et quelques instants après les coups d’arrivée qui éclataient sur les crêtes à l’entour. Tous les véhicules ennemis qui tentaient de s’approcher étaient instantanément pris à partie. Nos batteries faisaient place nette dans un rayon de 5 kilomètres à l’extérieur des champs de mines. À distance respectueuse on pouvait observer une circulation intense et des concentrations de véhicules ennemis dont le nombre allait, sans cesse grandissant. Méthodiquement les artilleurs adverses qui disposaient d’excellents postes d’observation avaient repéré nos batteries et ajusté leurs tirs. Nos pièces étaient continuellement prises à partie.
Dans ce duel inégal les artilleurs français se battent avec un magnifique sang-froid et un total mépris du danger. Debout derrière les canons, les officiers chefs des batteries donnent tranquillement leurs ordres qu’ils crient dans un porte-voix aux servants qui manœuvrent leurs pièces inlassablement malgré les éclatements incessants des obus ennemis de gros calibre. Souvent les Allemands emploient des fusants et le projectile éclate dans un nuage de fumée noirâtre au-dessus des batteries qui sont aspergées de Schrapnell. Mais les 75 français tirent, tirent toujours.
L’ennemi a effectué des reconnaissances nombreuses vers l’Est et le Sud. Appuyée par quelques chars, son infanterie est venue s’établir à environ 1.500 mètres de la limite du champ de mines en face du « fort ».
Ce « fort » est marqué sur les cartes italiennes qui le qualifient pompeusement de « Ridotto ». En fait ce n’est qu’une bâtisse en ruine, un bâtiment de quelques pièces qui abritait avant la guerre le peloton d’Askaris, commandé sans doute par un sergent européen dont la mission était d’assurer la police de ce coin du désert. Quelques créneaux au haut de la tour de guet et quelques rouleaux de fil de fer barbelé pouvaient peut-être servir à déjouer les intentions hostiles de quelques nomades ; dans des opérations de guerre moderne, ces défenses ne sont d’aucune utilité.
Les avions ennemis ne se sont point montrés aujourd’hui à l’exception d’un seul appareil d’observation qui volait extrêmement haut et qui travaillait probablement en liaison avec l’artillerie adverse pour le réglage de ses tirs.

Samedi 6 juin

L’ennemi a déclenché aujourd’hui sa première attaque. Elle a débuté à 11 h 30 par une intense préparation d’artillerie. Après avoir copieusement arrosé d’obus de tous calibres toute la position, les batteries adverses ont concentré leurs tirs sur le secteur Sud, et vers 13 heures, l’infanterie a attaqué en direction du fort. On entend maintenant le crépitement des armes automatiques se mêler aux sifflements des obus qui pleuvent sans arrêt de tous côtés. Pour les 105 et les 88, il est impossible de distinguer le coup de départ du coup d’arrivée, mais pour les gros calibres on entend nettement la détonation sourde du canon puis un long sifflement et l’éclatement de l’obus quelques secondes après. Le bruit de la bataille continue sans interruption ; les groupes de fantassins tentent vainement de progresser dans la plaine au Sud sous le barrage des 75 et des mortiers qui doivent infliger de lourdes pertes à des assaillants qui avancent en terrain plat et découvert.
Exceptionnellement, le ciel est gris, et il fait très frais ; c’est une chance pour les attaquants.
À 17 heures, le tonnerre de l’artillerie s’est subitement interrompu et un silence de plomb s’est étendu sur Bir-Hakeim ; un silence impressionnant et qui paraît irréel. Dix minutes plus tard, le vacarme reprend aussi soudainement qu’il avait cessé et le bruit de la bataille se déchaîne à nouveau avec violence. Les assaillants avaient montré des drapeaux blancs et, à la faveur de cette trêve de 10 minutes, leurs ambulanciers étaient venus ramasser les blessés dans la plaine. Vers 8 heures du soir, les attaquants firent un nouvel et inutile effort pour prendre pied dans la position. Ils avaient partout été repoussés.

positions-de-combat
Positions de combat (RFL).

Dans la fin de l’après-midi, la présence de colonnes ennemies a été signalée sur les crêtes du Sud-Ouest. L’étreinte se resserre.

Après une telle journée, le calme de la nuit paraît merveilleux. L’artillerie se tait et l’on n’entend que de loin en loin quelques rafales d’armes automatiques. Tout autour de Bir-Hakeim, un feu d’artifice de fusées vertes, blanches, rouges, montent continuellement dans le ciel sans lune qui fourmille d’étoiles. Pourtant, ce calme de la nuit n’était qu’apparent. Dans l’obscurité le combat continuait, plus silencieux, mais aussi âpre. Des patrouilles devaient surveiller constamment les abords extérieurs des champs de mines dont des détachements ennemis tentaient de s’approcher pour déminer et préparer un passage pour faciliter l’assaut. Pendant la nuit également se faisaient les distributions d’eau, de vivres et de munitions aux diverses unités et leur répartition parmi les hommes. Ainsi après une journée de combats, la nuit n’apportait pas le repos qui eût été nécessaire et alors que, l’ennemi pouvait à chaque moment mettre en lignes des troupes fraîches, les défenseurs de Bir-Hakeim ne pouvaient jamais se reposer de leurs fatigues.

Dimanche 7 juin

Alors qu’on pouvait s’attendre à une nouvelle attaque, cette journée dominicale a été relativement très calme à part un retour des Stuka après deux jours d’absence et quelques tirs d’artillerie. Des concentrations ennemies de plus en plus nombreuses s’installent sur les crêtes au Sud-Ouest. Dans l’après-midi 20 automitrailleuses et ensuite 20 chars se sont livrés à une sorte de carrousel dans l’Ouest, fonçant soudainement vers le camp, s’arrêtant à 2 kilomètres de distance, revenant en arrière puis défilant à toute vitesse le long de la face Ouest en tirant de toutes leurs pièces sur la position. Il s’agissait clairement d’une ruse : les Allemands espéraient que nos pièces antichars ouvriraient le feu sur les voitures blindées, dévoilant ainsi le dispositif de défense. L’ennemi en a été pour ses frais ; ses démonstrations et ses tirs n’ont amené aucune réaction des canons de Bir-Hakeim.
Au cours de la journée, les patrouilles qui opéraient encore dans la région du « V », au Nord, ont dû rentrer dans la position. L’investissement est devenu complet. La 90e division d’infanterie de l’Afrika-Korps et la division « Trieste » encerclent Bir-Hakeim de tous côtés. Aux quatre points cardinaux des batteries sont installées.
Sur la carte du 3e bureau de l’état-major où les positions ennemies sont marquées en rouge et les positions alliées en bleu, Bir-Hakeim paraît, en bleu, être le centre tout petit d’un grand halo rouge qui s’étend circulaire tout autour ; à l’extérieur du second cercle rouge, un troisième demi-cercle bleu indique que la VIIIe armée contient du Sud au Nord, en passant par l’Est, la poussée ennemie qui semble concentrer ses efforts à broyer le noyau bleu en son centre ; les efforts du commandement allié pour passer le halo rouge ont échoué ; avec chaque jour qui passe on sent, à Bir-Hakeim, que l’étau se resserre. Cette sensation d’encerclement est désagréable mais néanmoins, malgré la fatigue des combats qui durent depuis 12 jours, chacun garde intactes son énergie et sa volonté de résistance. L’assaut final ne peut plus tarder ; l’ennemi a pris ses dispositions, installé ses batteries, et au cours de ses attaques précédentes il a reconnu le secteur d’approche le plus facile, la face Nord-Ouest.
Cinq soldats allemands qui conduisaient des ambulances ont été faits prisonniers dans l’après-midi. Ils ont été interrogés par un officier d’état-major. Leur moral n’est guère brillant. Ce sont des garçons très jeunes. Arrivés en Libye au mois de mai, ils souffrent du climat. L’un se met à pleurer. L’autre dit avec une évidente satisfaction : « Pour nous, la guerre, c’est fini ». Leur attitude contraste avec celle des prisonniers faits précédemment, celle des officiers surtout qui sont volontiers arrogants et affectent de ne pas douter de la victoire finale de l’Allemagne. En général tous sont surpris de trouver des Français et encore plus, d’être traités avec une parfaite correction.

Lundi 8 juin

Un convoi est arrivé ce matin à 4 heures. Les camions étaient conduits par des chauffeurs français d’une unité de train ; tous volontaires pour cette mission. Le convoi a apporté des munitions ; il y avait aussi deux camions-citernes qui permettront d’aligner la brigade en eau jusqu’au 11 juin sur la base de deux litres par homme et par jour. C’est peu quand il faut combattre toute la journée en plein soleil, dans la chaleur du désert en été. Le rationnement de l’eau est particulièrement pénible pour les tirailleurs noirs qui sont habitués à boire beaucoup. Chacun doit donner à la cuisine un litre sur les deux qui lui sont alloués. Il reste un litre, – quatre quarts d’eau, – pour étancher la soif pendant douze longues heures. Le manque d’eau commence aussi à se faire sentir au groupe sanitaire où une grande consommation est faite pour le lavage des blessures. Bientôt il deviendra impossible de refaire les pansements aussi fréquemment qu’il le faudrait.
Ce n’est pas seulement l’eau qui devient rare ; il va falloir aussi économiser les munitions ; on comptait sur 70 camions ; 30 seulement ont pu passer et au prix de mille difficultés après avoir été mitraillés au passage des postes ennemis. Le convoi de cette nuit sera sans doute le dernier. Une brume assez épaisse recouvre Bir-Hakeim. C’est une vision réconfortante que celle de ces grands véhicules qui passent un peu fantomatiques dans le brouillard.
7 h 30 – La brume s’est dissipée et l’attaque commence. Un bombardement massif par 60 Junker 88 en a donné le signal en même temps que se déchaînaient les tirs d’artillerie qui ne vont pas cesser jusqu’au soir. Tout le camp est soumis méthodiquement à une préparation intensive. À 10 heures du matin, l’infanterie appuyée par des chars attaque sur le Nord-Ouest. Cet assaut est contenu, et deux chars sont détruits. Des groupes de chasseurs de la R.A.F. ont assailli à plusieurs reprises à la bombe et à la mitrailleuse les forces ennemies, déclenchant de violents tirs de canons antiaériens. Le bruit des bombes qui explosent dans les lignes adverses est doux aux oreilles des hommes de la brigade soumis à une avalanche de mitraille qu’ils doivent supporter sans pouvoir répondre, par suite de la portée insuffisante de l’artillerie. À 13 heures nouveau bombardement par 60 Junker 88 ; le bombardement est le signal de la reprise de l’attaque ; des chars arrivent jusqu’au bord du champ de mines ; deux, touchés, se mettent à brûler, les autres se retirent. Simultanément, une attaque était déclenchée au Sud contre le fort ; elle fut contenue. À 18 heures, les 60 Junker 88 reviennent pour la troisième fois ; l’ennemi lance une dernière attaque d’une extrême violence, mais cette fois encore sans résultat. Bilan de la journée les assaillants se sont emparés de notre observatoire d’artillerie au Nord-Ouest. Ses défenseurs se sont battus jusqu’au bout et se sont fait tuer sur place. Un char a été détruit au cours du combat. Les douze dernières heures ont coûté cher en munitions et plusieurs de nos canons ont été endommagés, mais l’artillerie s’est couverte de gloire. Un officier d’infanterie coloniale commandant les unités en position sur la face Nord-Ouest, qui comprend notamment des tirailleurs noirs de l’Afrique équatoriale française, après un assaut ininterrompu de l’ennemi pendant treize heures et qui arrivait au poste de commandement du général, la figure grise de poussière dans laquelle les yeux bleu clair brillaient étrangement, a déclaré en entrant : « Je ne dirai jamais plus de mal des artilleurs ». La journée a été très dure. Le sol de Bir-Hakeim est parsemé de trous et de cratères de toutes dimensions entourés des marques noirâtres laissées par la fumée de la poudre ; la terre est jonchée de morceaux de ferraille déchiquetés. Plusieurs véhicules ont les tôles des carrosseries ou des capots trouées par les éclats d’obus ; par endroits des carcasses noircies et tordues de camions incendiés fument encore.

Mardi 9 juin

Les tirs d’artillerie ont repris le matin et le bombardement habituel par les 60 avions a eu lieu à 8 h 30. À midi 30, reprise de la préparation d’artillerie ; les batteries de 75 sont plus particulièrement visées par les pièces de gros calibre. À 13 heures un bombardement par 60 Junker 88 donne le signal d’une attaque générale sur tous les fronts. Plusieurs chars appuient l’infanterie qui ne peut réussir à avancer, excepté vers le Nord où, par suite de la perte de l’observatoire, notre artillerie ne peut intervenir efficacement.

bombardement-bir-hakeim
Bombardement (RFL).

L’ennemi progresse soutenu par dix chars et arrive jusqu’au champ de mines. Par moments le combat devient du corps à corps. Une compagnie de la Légion doit intervenir avec ses Brenn Carrier ; une automitrailleuse et un camion portant un canon de 77 sont détruits et incendiés. Un jour de plus pendant lequel les défenseurs de Bir-Hakeim auront tenu sans faiblir.

Au coucher du soleil, retour des 60 Junker 88 dont les bombes tombent sur l’ambulance chirurgicale légère et le groupe sanitaire qui pourtant avaient été déplacés pour se trouver à l’écart et dans un endroit nettement visible et délimité par des drapeaux à Croix-Rouge. Une bombe tombe sur le camion installé en salle d’opération, qui est détruit. Une autre dans une tente où se trouvaient 20 grands blessés. Tous sont tués, déchiquetés au point qu’il est impossible d’identifier les corps.
Dans l’après-midi, le général a fait porter aux unités le message suivant :
« Nous remplissons notre mission depuis 14 nuits et 14 jours. Je demande que ni les cadres ni la troupe ne se laissent aller à la fatigue. Plus les jours passeront, plus ce sera dur : ceci n’est pas pour faire peur à la 1re brigade française libre.
« Que chacun bande ses énergies ! L’essentiel est de détruire l’ennemi chaque fois qu’il se présente à portée de tir ».
« Le général de brigade Kœnig,
Commandant la 1re brigade française indépendante.»
Au milieu de la bataille, il règne au poste de commandement du général une atmosphère de calme. De minute en minute les coups de téléphone se succèdent, donnant des renseignements sur l’évolution du combat. D’une voix mesurée, pleine d’énergie et de sérénité apparente même aux moments les plus critiques, le général donne ses ordres. Le commandement est difficile en raison des avaries constantes qui mettent les services de transmissions hors d’état de fonctionner. Les obus, les bombes coupent les fils des téléphones qui courent sur le sol ; inlassablement sous le bombardement intense, les hommes de la compagnie des transmissions circulent, réparant les lignes. Entre temps, des motocyclistes assurent les liaisons, portant les plis à travers le camp au milieu des obus qui éclatent.
Malgré le courage de tous, en cette fin de journée, les forces de résistance commencent à s’épuiser. Depuis quelques jours on ne s’alimente plus régulièrement. Quand ils le peuvent, les hommes ouvrent une boîte de corned-beef qu’ils mangent avec des biscuits. Les visages amaigris, aux traits tirés, portent les marques d’une fatigue grandissante. Les réserves d’eau seront épuisées dans quarante-huit heures, L’ambulance chirurgicale légère a été détruite et les blessés ne peuvent plus être opérés.
À 17 heures, le commandement allié a fait demander au général Kœnig dans quelles conditions il serait possible d’évacuer la garnison de Bir-Hakeim qui devait tenir en principe dix jours au maximum et tient en fait depuis 14, et dont la résistance n’est plus essentielle pour le développement général du plan de bataille. L’évacuation ce soir même aurait été souhaitable. Certaines raisons techniques la feront remettre à demain. Le général Kœnig, devant l’obligation de tenir vingt-quatre heures de plus, a demandé l’aide maximale de la Royal Air Force et des brigades établies au Sud-Ouest.

Mercredi 10 juin

Le général a décidé ce matin, sur l’ordre du commandement britannique, d’évacuer Bir-Hakeim la nuit suivante. Les Allemands lancèrent de violentes attaques avant midi. Une de ces attaques particulièrement dangereuse fut brisée par l’action des chasseurs de la Royal Air Force qui, volant en rase-mottes, mitraillèrent les assaillants. La résistance de Bir-Hakeim devait exaspérer l’ennemi. À 13 heures, 100 Stuka vinrent en un seul vol lâcher sur le secteur Nord de la position 50 tonnes de bombes. D’immenses colonnes de fumée et de poussière obscurcissaient le ciel tandis que l’infanterie attaquait sans relâche dans le Nord. Deux chars parvinrent à pénétrer dans la position. L’un fut détruit, l’autre battit en retraite. Les batteries ennemies à l’Est durent à un moment cesser de tirer sur Bir-Hakeim pour répondre aux batteries de la brigade anglaise qui les attaquaient. Mais du Nord, de l’Est et du Sud, le feu de l’artillerie restait aussi violent. Toutes les pièces disponibles, tous les calibres étaient utilisés jusqu’aux mitrailleuses qui effectuaient des tirs indirects et aux canons antichars de petits calibres dont les obus construits pour éclater en rencontrant un blindage ricochaient sur le sol sans exploser.
À 17 heures, l’ordre d’évacuation a été communiqué à la brigade. Les ordres du général Kœnig sont que la garnison, brisant l’encerclement, s’ouvrira au travers, des lignes ennemies et de vive force un chemin, les armes à la main. La nouvelle fut accueillie avec une satisfaction générale. Depuis huit jours les nerfs étaient soumis à une rude épreuve. Les effets des bombardements aériens et la fatigue des combats commençaient à se faire sentir et la sensation étouffante de l’encerclement était devenue insupportable. On savait que la sortie serait une opération risquée et difficile, mais ces risques, tous étaient prêts à les prendre avec joie plutôt que de tomber entre les mains de l’ennemi ou de succomber devant un assaut massif, qui trouverait la garnison privée de l’eau et des munitions indispensables pour continuer la défense de la place.

La nuit 10 au 11 juin

Encerclés de tous côtés par l’ennemi dont les lignes sont établies maintenant à une distance qui par endroits n’excède pas 300 mètres de la limite extérieure des champs de mines, la garnison de Bir-Hakeim ne peut pas quitter la place sans combat. Il lui faudra se frayer un chemin au travers des lignes ennemies après avoir traversé ses propres champs de mines dans lesquels un passage doit être aménagé. Les ordres du général Kœnig sont de déminer près de la porte Sud, un passage de 200 mètres de large. L’infanterie à pied devra se porter en avant pour ouvrir une brèche dans les lignes ennemies par laquelle passeront les véhicules qui doivent marcher sur cinq files de front. La sortie se fera à 11 heures du soir. En silence, car il ne faut pas donner l’éveil à l’ennemi, la brigade prépare son départ. À 18 heures, 120 Stuka ont effectué un dernier bombardement et l’infanterie a repris ses attaques jusqu’à la tombée de la nuit. Le crépuscule s’assombrit sur Bir-Hakeim. En plusieurs endroits, des incendies rougeoient. Ce sont des véhicules qui brûlent. Le dialogue dramatique entre notre artillerie et celle de l’ennemi reprend encore par moments. Plus des deux tiers des canons de 75 endommagés ne tirent plus et les munitions sont presque entièrement épuisées. Cependant de temps en temps on entend encore les claquements secs des canons français. Une batterie, dont trois canons sur quatre ont été réduits au silence, tire encore successivement dans trois directions avec le dernier canon en état de fonctionnement. Le 75 a mérité au cours de ce siège son surnom de « rageur ».

bombardement-stukas
Bombardement par Stukas (RFL).

Au moment où le tir cessera, vers 22 heures, il reste en tout dans les caissons 22 obus. Or, l’on tirait en moyenne 3.000 coups par jour : Bir-Hakeim a résisté jusqu’à l’extrême limite.

Dans la nuit tombante, chacun s’affaire. Les ordres sont formels : rien ne doit tomber aux mains de l’ennemi ; tout ce qui ne peut pas être emporté doit être détruit. Les camions, les voitures endommagées sont brisées, écrasées à coup de masses. Les bidons d’essence sont percés à coup de pioche, car en les enflammant on risquerait de donner l’éveil à l’ennemi. Les tentes sont lacérées ainsi que les paquetages. Le matériel de cuisine, la vaisselle dans le mess, brisés en morceaux. Ceux qui étaient tombés glorieusement face à l’ennemi furent enterrés et une croix plantée sur les tombes. Vers 10 heures, les moteurs tournant au ralenti, les véhicules se forment en files et vont se placer près de la porte Sud par où doit s’effectuer la sortie.
Personne ne parle, personne ne fume. Dans le secteur Nord-Ouest où les avant-postes allemands sont établis au contact de nos propres tranchées, deux compagnies restent sur place, faisant croire que la résistance continue.
À côté des véhicules, formés en lignes, passe maintenant l’infanterie à pied qui va tailler le chemin au travers des lignes ennemies. À minuit, les premiers véhicules s’engagent dans le passage ouvert dans le champ de mines. Le génie n’a pas eu suffisamment de temps pour le faire de la largeur prévue et les véhicules ne peuvent passer qu’en file par un. Les postes de guet adverses ont maintenant entendu le bruit des moteurs. Une fusée verte monte, puis une fusée blanche éclairante et une fusée rouge. Des points lumineux rayent la nuit. C’est une rafale de mitrailleuses avec ses balles traceuses. On aperçoit à travers le terrain vaguement blanchâtre du champ de mines la ligne des véhicules qui dans la lueur blafarde des fusées a l’air d’une file de fourmis sur du sable. Sur cette ligne convergent des faisceaux de points lumineux qui semblent des feux follets multicolores. Les armes automatiques, les Breda, les canons à tir rapide tirent sur la colonne. Le silence du début a fait place au bruit du crépitement des mitrailleuses, de l’éclatement des obus, des détonations des mines qui sautent sous le poids des véhicules dont les conducteurs s’égarent ou essayent de se frayer un passage plus rapide en doublant la colonne.
Quelques camions avaient pris feu et la lumière rouge des flammes éclairait par places la file des véhicules. Les unités d’infanterie s’étaient ruées à l’attaque des postes ennemis. C’était une étrange mêlée où par endroits nos soldats se trouvaient côte à côte avec des soldats ennemis. On se reconnaissait par le couvre-chef : casque pour les Français, casquette pour les Allemands. Un officier a chargé successivement avec son Brenn Carrier trois Breda.
Il en a écrasé deux sous les chenilles du Brenn, achevant les servants à coups de grenade. À la troisième il a été tué d’un obus qui éclata en plein contre le côté du Brenn Carrier. Vers 3 heures du matin, l’ennemi occupait des lignes formant un triple barrage d’armes automatiques ; la colonne ne progressait que lentement. Il apparaît que la sortie ne pourra pas se dérouler suivant le plan prévu. Le général donne l’ordre aux Brenn de se jeter en avant et aux véhicules de s’élancer à leur suite dans une véritable charge. Lui-même fonce, le premier, montrant la route à suivre. Au volant de son automobile se trouve son chauffeur, une conductrice anglaise, la seule femme qui aura vécu le siège et la sortie de Bir-Hakeim. Un certain nombre de véhicules passent, le reste de la colonne suit plus lentement. Les camions roulaient l’un derrière l’autre. Par moment il fallait stationner sur place et les mitrailleuses ennemies tiraient toujours et leurs balles traceuses dessinaient sur le sol un réseau lumineux qui, joint aux fusées et au rougeoiement des incendies, faisait un extraordinaire spectacle. Autour des camions passaient des hommes à pied qui se plaquaient contre le sol quand une rafale de balles sifflait. Les conducteurs des voitures, eux, ne pouvant quitter leurs volants demeuraient stoïques à leur poste. Dans la nuit on entendait les appels des blessés qu’il fallait charger sur les camions, tout cela dans une obscurité profonde. Peu à peu la colonne avançait sous le feu intense vers la sortie du champ de mines. Là, la route devenait libre et il était possible de foncer à travers le dernier barrage ennemi. Quelques kilomètres plus loin était le lieu de rendez-vous avec un détachement de la brigade anglaise qui se trouvait au Sud-Ouest de Bir-Hakeim. Il était marqué par trois feux rouges.
Vers 3 heures du matin, les deux compagnies qui tenaient la position au Nord-Ouest se sont repliées, mais les Allemands ignorent encore qu’il n’y a plus personne en face d’eux et que la position a été évacuée. Ce n’est que le 11 au matin qu’ils pénétreront dans Bir-Hakeim, après un bombardement aérien massif, celui-là bien inutile car tout ce qu’ils bombardent ce sont des trous abandonnés et des carcasses de véhicules détruits ou à demi calcinés.
Le jour va se lever. Un brouillard assez épais recouvre le sol. Plusieurs ayant passé les lignes ennemies et ne pouvant trouver le point de rassemblement, craignant d’être faits prisonniers par des patrouilles allemandes, préfèrent faire route au Sud puis à l’Est, traversant des régions où il n’y a aucune force adverse. À 5 heures l’évacuation est terminée.

Jeudi 11 juin

À 50 kilomètres au Sud-Est de Bir-Hakeim, les éléments de la brigade se regroupent. L’air est si pur, le ciel si bleu, le désert si calme et plein de silence, qu’on se demande si ces derniers jours ont été véritablement vécus ou s’ils étaient un cauchemar.
Le général Kœnig a arraché à l’encerclement des forces germano-italiennes les deux tiers des effectifs de sa brigade qui ramène ses blessés et une partie de son matériel, et ceci par une opération pleine d’audace et qui a réussi, en partie, grâce au fait que l’ennemi fut complètement surpris. Et aussi on ne rendra jamais assez hommage au courage de ceux qui, beaucoup au sacrifice de leur vie, ont attaqué sans relâche les postes ennemis qui tiraient sur la colonne. Ils sont les héros des combats furieux qui se déroulèrent pendant cette nuit dramatique du 10 au 11 juin. On peut le dire : de vive force, la brigade du général Kœnig s’est ouvert, les armes à la main, un passage au travers des lignes ennemies serrées et profondes. Cette concentration des forces de l’adversaire, concentration qui fut réalisée dans l’après-midi du jeudi 10 juin semble indiquer que l’assaut final devait être donné contre Bir-Hakeim le 11 juin au matin. Cet assaut, la garnison n’aurait peut-être pas été en état de le contenir, faute de munitions et d’eau. La sortie fut faite au dernier moment où elle demeurait encore possible. Elle a été le couronnement de la brillante résistance que la 1re brigade des Forces françaises libres a opposée à Bir-Hakeim à un ennemi supérieur en nombre et en armement pendant 15 jours et 15 nuits.

Le bilan

Le haut commandement avait prévu que la place de Bir-Hakeim devait résister éventuellement un maximum de dix jours. La résistance se prolongea pendant 15. La garnison était de 3.600 hommes. Elle fut attaquée par une division blindée puis par deux divisions motorisées, la 90e division allemande et la division italienne motorisée « Trieste ». Il y avait à Bir-Hakeim un régiment de 75. L’ennemi disposait d’au moins 14 batteries avec des canons de 155 et de 210. Il n’y avait à Bir-Hakeim aucun engin blindé. La D.C.A. était assurée par 18 canons Bofor dont 12 servis par des fusiliers marins et six par des soldats britanniques.

cimetiere-bir-hakim
Vue aérienne du cimetière de Bir-Hakeim (RFL).

Les pertes infligées à l’ennemi furent les suivantes : 50 chars, 11 automitrailleuses, cinq canons portés, sept avions. La brigade fit 125 prisonniers allemands dont un officier et 154 prisonniers italiens dont neuf officiers. Les pertes du côté français furent les suivantes : 900 tués, blessés, disparus ou prisonniers, dont 600 au cours des combats de la nuit du 10 au 11 juin ; 40 canons de 75 détruits, huit canons Bofor, cinq canons de 47 et 250 véhicules.

(1) Le général Rommel n’avait pas encore, à cette date, été nommé Feld Marshall.
(2) Le général allemand exagère !
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 19, juin 1949.