Le colonel Joseph Gastaldo
Chef du 2e bureau de l’état-major national
Ce fut une affreuse nouvelle pour les F.F.L. de l’Ain d’apprendre dans la matinée du 20 octobre que celui qui était encore parmi eux, quatre jours plus tôt, à leur Assemblée générale du 16 octobre, qu’ils avaient élu comme président d’honneur de la section de l’Ain, le colonel Joseph Gastaldo, commandeur de la Légion d’honneur, ancien chef et liquidateur du réseau Delestraint, était mort subitement à son domicile, à Besançon (où il commandait la subdivision militaire) des suites d’une longue maladie contractée dans les camps de la mort.
Il n’avait pas encore 56 ans, né à Moutiers (Savoie) le 30 décembre 1899, breveté d’état-major, il entrait en service le 18 avril 1918 et se battit à la fin de la guerre 1914 assez brillamment pour obtenir sa première citation. Cavalier remarquable il est envoyé en Syrie de 1927 à 1931, mais ne tarde pas à trouver sa véritable voie dans le renseignement.
À Prague, en 1938 il demande à servir dans l’armée tchèque, travailleur infatigable il parlait aussi bien le tchèque et l’allemand que le français.
En 1939-1940, commandant le groupement tchécoslovaque, il combat avec les Tchèques, et il réussit ce tour de force de sauver un grand nombre de ses compagnons et de les faire embarquer pour l’Angleterre, lui seul, restant le dernier en France, ne peut aussi les accompagner… Qu’importe, dès la première heure Gastaldo se classe parmi les résistants ; il organise des groupes francs et un réseau d’évasion dans la région de Saint-Affrique, dénoncé suspect de « gaullisme » il est muté à Bourg-en-Bresse comme chef du 2e bureau départemental. Le hasard y a conduit un autre homme, le général Delestraint, le futur chef de l’armée secrète… Gastaldo prend aussi contact à Lyon avec Frenay et le mouvement « Combat » dès sa formation… puis, rencontre André Lassagne, son futur adjoint, et enfin Max, notre cher « Jean Moulin ».
À Bourg, il organise chaînes d’évasions et réseaux ; et, avec son génie prévoyant, comprend la nécessité de grouper les mouvements sous un commandement unique, zone Sud d’abord, puis Nord ensuite.
Il obtient la nomination du général Delestraint comme chef de l’armée secrète (câble à Jean Moulin du 4 août 1942) puis, rencontre les chefs des mouvements et obtient d’eux un essai de fusion de tous les groupes francs ou paramilitaires, créant ainsi une organisation témoin qui bientôt fonctionnera dans toute la France, cela dès 1942. Il est alors « Galibier » chef du 2e bureau de l’état-major de l’armée secrète.
Gastaldo garde dès lors un contact incessant avec Londres et le B.C.R.A. son « réseau de contrôle de l’armée secrète » est rattaché le 1er février 1945 au réseau « Gallia » et Gastaldo prenait Lassagne pour adjoint. Une affection étroite et profonde naissait alors entre ces deux hommes d’action et ne devait se terminer, hélas, que par la mort qui ne doit certainement pas pourtant les empêcher de se retrouver aujourd’hui réunis dans l’au-delà.
Dès cette époque, le danger se fait plus pressant, la Gestapo recherchait déjà l’officier de renseignements, Gastaldo, et celui-ci échappe de justesse, grâce à son magnifique sang-froid et au courage de sa femme, à une arrestation imminente. Désormais, il ne connaît plus de domicile fixe, son signalement est diffusé aussi bien par la police de Vichy que par l’allemande… Il est traqué sans merci.
Malgré cela Gastaldo continue de prendre contact avec les services américains du général Leegg, services situés en Suisse. Il franchit plus de 20 fois, clandestinement la frontière, s’arrêtant parfois à Journans, petite propriété perdue dans la montagne, que nous avions mis à sa disposition.
Les menaces se précisant, il abandonne tout refuge fixe, vit en proscrit, allant de Lille à Marseille, parfois caché dans des trains de charbon. Il repère les terrains d’aviation et faisait fonction, dans ces conditions invraisemblables, de chef d’état-major du général Delestraint.
Convoqué à Paris par Delestraint, pour prendre le commandement de la zone nord, il est arrêté au métro « Pompe » avec un de ses adjoints, Théobald. L’interrogatoire dure soixante heures, Gastaldo ne parla pas mais dut admettre et reconnaître sa véritable identité. Il est jeté en cellule à Fresnes, cherche à s’évader, ne réussit pas, mais garde malgré tout une sérénité profonde qui en fait le réconfort moral de ses compagnons d’infortune… On l’appelait alors « Jerôme » ou « Jean-Louis » et beaucoup de ceux qui partirent au Mont Valérien lui doivent un ultime salut fraternel.
Neuf mois de cellule à Fresnes, puis 11 mois de camp de concentration. Arrêté le 9 juin 1943, il part le 9 mars 1944, accompagné de Delestraint, Lassagne et tant d’autres pour le terrible camp de Struthof… Gastaldo descendra alors jusqu’au fond de l’abîme et verra toute l’horreur des camps dont il reviendra touché physiquement comme son ami Lassagne, ayant vu disparaître la plupart de ses compagnons.
L’arrivée des troupes américaines le fait transférer à la prison de Brieg puis de Gross-Rosen, à la faveur d’un transfert il réussit à s’évader marche la nuit à travers les monts sudètes, se dirige sur les étoiles… Mais se fait reprendre et subit de dures représailles auxquelles la débâcle allemande devenue plus précise enlève, heureusement, son caractère meurtrier, car au lieu d’être pendu, il est remis au camp de Reichenau où peu de temps après les troupes alliées ouvrent les portes.
Libéré, malgré son état physique qui nécessiterait un repos prolongé, il n’a de cesse qu’il ait formé des groupes de déportés français pour continuer la lutte… jusqu’à la libération totale de la Tchécoslovaquie.
Enfin, hâve, épuisé il revient à Bourg juste le jour de la pose de la plaque commémorative sur la maison du général Delestraint.
Nous eûmes du mal à le reconnaître et je me souviens encore que de grosses larmes coulaient sur ses joues tandis qu’auprès du général Desmazes, de Mme Delestraint, il retrouvait ses amis de la Résistance, les vrais, les purs.
La perte de Gastaldo, alors qu’il était commandant militaire de la subdivision de Besançon et qu’il n’avait pas encore donné toute la mesure de ses possibilités, est une perte irréparable pour les anciens de la Résistance et notamment ceux du mouvement Delestraint…
Il laisse une épouse et trois enfants auxquels, en présentant nos ultimes condoléances nous avons tenu à affirmer la grande solidarité des F.F.L. Notre grande famille reste unie et fidèle au souvenir du président d’honneur de la section de l’Ain, Joseph Gastaldo, dont nous redirons ces vers qu’il composa jadis à Fresnes:
Si nos poings sont liés nos cœurs vont à DE GAULLE
Lui seul est invaincu, lui seul est resté Grand
Et devant l’ennemi c’est un drapeau vivant
Aucun autre que lui n’eût mieux rempli ce rôle.
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Peut-être suivrons-nous une voie parallèle
Prépare-nous bientôt une place en ton nid
Qu’importe le trépas quand la cause est si belle
Allons, sans défaillir, mourir pour le Pays.
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Ainsi est mort, pour la France, comme il le voulait, notre grand camarade et chef, le colonel Gastaldo.
Marcelle Appleton,
Vice-présidente de la section de l’Ain, médaillée militaire de la Résistance.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 90, juillet-août 1956