L’effort culturel des Comités de la France Libre
A. En Occident
(d’après Gustave Cohen, Professeur en Sorbonne)
Il est un terrain Sur lequel la France n’a jamais été vaincue, même au plus sombre de sa défaite matérielle: c’est celui de l’Esprit.
I. – Aux États-Unis, on s’organisa en bonne heure par l’initiative de deux vaillants pionniers de notre influence : Eugène Houdry, qui est un scientifique et Frédéric Hoffner, professeur à Columbia University. Ils ont à leurs côtés l’Américain Richard de Rochemont ; et l’Association « France for Ever » qu’ils vont fonder, gardera ce caractère d’être avant tout une association américaine pour défendre la cause de la France Libre.
Les 51 chapitres de « France for Ever », répartis de l’Est à l’Ouest, ont compté plus de 50.000 membres.
Le 16 février 1942, l’Université – car c’en était une malgré son nom modeste d’École Libre des Hautes Études – ouvrit ses portes dans les locaux de la New School au 66 West de la 11e Rue.
En une formule lapidaire, Henri Focillon, qui en fut le Premier Président, avait défini son programme:
« La parole est un glaive aussi ».
Deux cent cinquante personnes se pressaient devant la chaire de Jacques Maritain: il parlait de « Liberté et Déterminisme » et les étudiants et étudiantes étaient assis sur les marches de l’amphithéâtre, comme jadis au Collège de France au cours de Bergson. Dans une autre salle, Henri Grégoire parlait, avec sa flamme ordinaire et sa brillante érudition, des persécutions dans l’Empire romain et moi, je tentais de faire luire « la Grande Clarté du Moyen-Âge ».
Américains et Français se pressaient aux cours publics de la rive gauche de l’Hudson, comme jadis à la rive gauche de la Seine et à la sortie, on entendait dans la 112e Rue, avec des accents bien divers, retentir notre belle langue.
Les Facultés étaient constituées et avaient élu leurs Doyens: celle des Sciences fut dirigée d’abord par Jean Perrin, puis par le grand mathématicien Hadamard, qui a donné ses trois fils à la France.
Mes collègues de la Faculté des Lettres, au nombre de 60 (numériquement elle se classait entre Strasbourg et Paris) m’avaient élu Doyen. Nous avions à notre façon, résolu le problème laïc en acceptant sur pied d’égalité les professeurs des Facultés Catholiques, tel le R. P. Ducatillon.
II. – En dehors des États-Unis, la France Libre se manifeste surtout par la Revue et le Livre.
À Québec, Marthe Simard, qui devait siéger à l’Assemblée Consultative, lance avec Élisabeth de Miribel, la revue « France-Canada » tandis qu’Henri Laugier fondait à l’Université de Montréal, où il enseignait, une revue de biologie.
Au Mexique, Etiemble dirigeait la collection « Renaissance », Paul Rivet fondait l’Institut Français d’Amérique Latine. À Fort-de-France, le Gouverneur Général Ponton publiait la revue « Martinique », tandis qu’à Basse-Terre, le Gouverneur Bertaut éditait la Revue Guadeloupéenne.
Au Brésil, le romancier Georges Bernanos,de sa maison lointaine des bords de l’Amazone lançait ses vigoureuses « Lettres aux Anglais » et stigmatisait l’Armistice :« Tragique destin qui fait à vingt ans de distance, d’un vainqueur, un suppliant, de l’Achille de Verdun, le douloureux Priam de Bordeaux ».
Auguste et Magny Rendu, ainsi qu’Albert Ledoux, menaient le bon combat à Rio de Janeiro, où le 11 novembre 1942, l’avocat Maurice Blum fit une conférence retentissante : « Rassemblement sous l’Arc de Triomphe » ;
En Uruguay, Supervielle écrivait les « Poèmes de la France malheureuse » et à Buenos-Aires, Albert Guérin, Compagnon de la Libération, éditait « La Voix d’Argentine ».
Mais c’est à Alger, qui fut en 1943, la vraie capitale de la France, que les créations littéraires furent les plus nombreuses.
La Revue « Fontaine » de Max Fouchet avait, à travers la tyrannie de Vichy, maintenu sa liberté de pensée et bientôt à côté d’elle s’en ouvrent deux autres : « L’Arche », dirigée par André Gide et Jean Amrouche, admirable modèle de l’Arabe lettré à la française.
« La Marseillaise », de François Quilici, avait suivi le Général de Gaulle et rejoint à Alger l’hebdomadaire « Combats » que dirigeait Giron. On était aux écoutes de la Métropole qui déjà secouait ses chaînes.
B. En Orient
(d’après le Lieutenant de Vaisseau Robert Victor)
À New-Delhi, en février 1941, le Gouvernement désira fonder un organisme de propagande pour l’Inde et le Moyen-Orient. Le Lieutenant-Colonel Wheeles, Chef des Services d’Information Britanniques, qui cherchait un écrivain français pour diriger la section française vint à Bombay où le « Félix-Roussel » était en réparation et me proposa, par l’intermédiaire du Comité France Libre, de créer une Revue. Sous une couverture tricolore à Croix de Lorraine, la revue « France-Orient » publiait, en mai 1941, son premier numéro. En trois ans, son tirage passa de 2.000 à 8.000 exemplaires et le numéro grossit de 64 à 144 pages, dont 8 pages illustrées, celui de Noël en comportait 260.
Le contact était assuré avec toutes les populations de l’Inde qui ne lisaient pas le français. C’est Jacques Marcuse, représentant de l’Agence Française d’Information à New-York, qui dirigea avec un grand succès la section de presse.
Une édition abrégée de France-Orient fut aussi créée pour la Chine, d’un format plus modeste et d’un poids réduit, car il fallait l’envoyer par avion à Tchong-King via Calcutta.
Cinq mille revues partaient chaque mois vers le Moyen-Orient, les colonies françaises et les Comités de la France Libre proches de l’Océan Indien, Le Caire, l’A.E.F., Madagascar, l’Afrique du Sud, la Réunion, l’Arabie, Djibouti, l’Île Maurice, l’Australie, la Nouvelle-Calédonie.
Il fallait deux mois pour préparer chaque numéro, les pages illustrées venaient de Calcutta, les, couvertures en couleur étaient imprimées à Bombay, le travail d’édition se faisait à Delhi, l’été dans un bureau torride balayé par le vent du désert, l’impression à Simla, l’hiver sous un mètre de neige, l’expédition à Pondichéry avec un personnel lent et déprimé. Il fallut une fois, à l’époque de la mousson, ramener le papier par avion de Calcutta, et les routes entre Delhi et Simla étant coupées par les pluies, faire passer les colis de revues à dos d’hommes, dans la coulée de boue qui balayait la route.
Une activité parallèle s’établissait également à la radio.
En 1940, c’était le poste des Français Libres de Bombay auquel je collaborai dès mon arrivée aux Indes, dirigé par le Marquis de La Valette.
En 1941, une émission hebdomadaire était assurée à Delhi par Maurice Fevret et moi-même vers le Moyen-Orient. Cette émission fut bientôt dirigée vers l’Indochine et M. de La Valette vint à New-Delhi pour y organiser un programme quotidien dans le courant de l’année 1942.
Ainsi, pendant trois ans, le message français aux peuples d’Orient ne fut jamais interrompu. Pour le deuxième anniversaire de « France-Orient », le Général de Gaulle nous adressa le télégramme suivant :
« La Revue France-Orient est à l’avant-garde de la Pensée Française, qu’elle demeure à cette place d’honneur… »
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.