Dénoncer par le dessin lʼidéologie nazie : Diran Ajemian

Dénoncer par le dessin lʼidéologie nazie : Diran Ajemian

Dénoncer par le dessin lʼidéologie nazie : Diran Ajemian

L’auteur

Diran Ajemian (1903-1991) est un caricaturiste libanais d’origine arménienne né à Istanbul, en Turquie. Après des études secondaires, il débute en 1920 dans l’hebdomadaire satirique d’Istanbul Gavroche, s’établit au Liban et collabore successivement aux journaux La Syrie, L’Orient, Le Soir, Al Amal, Al Jarida, Ayk, Ad Dabbour, As Sayad, Combat, mais aussi La Revue du Liban ou Magazine pour le Liban, L’Étape, Voici, Canard Libre pour l’étranger. Pendant la guerre, il illustre l’actualité dans « la quinzaine de Diran », publiée sauf exception en page 2 de la revue mensuelle française libre En Route.

Il illustre plusieurs livres et expose ses œuvres au Liban, en Arménie en Iran et en Syrie. En 1959, il adhère en qualité dʼami à la section de Beyrouth de lʼAssociation des Français Libres.

En route

En route… est une revue française bimensuelle publiée à Beyrouth par le service de propagandes des Forces françaises libres en Moyen-Orient à partir de décembre 1941 et jusqu’en 1944. Elle est vendue en Syrie-Liban, Palestine et Égypte. Le numéro 36 du 15 juin 1943 est tiré à 10 066 exemplaires, dont 7 142 sont livrés aux Messageries.

La race aryenne

Parmi les différents éléments de l’idéologie nazie, le concept de « race aryenne » est l’un de ceux qui a suscité le plus de plaisanteries, l’image commune de l’Aryen grand, blond, aux yeux bleus s’opposant à la réalité des caractéristiques physiques non seulement d’une large partie de la population allemande, mais aussi de l’essentiel des dirigeants nazis. Diran consacre deux dessins de sa quinzaine à ce sujet :

1) « Institut de race à Paris » est paru dans la quinzaine du n° 26, le 15 janvier 1943, p. 21. Un Laval aux traits et au corps simiesque – rappel de la théorie darwinienne de l’évolution – et au costume civil agrémenté d’un brassard nazi agite une cloche pour attirer la foule à une exposition sur les « modèles-types » de la race aryenne représentés par Hitler, Goering, Goebbels et Laval lui-même, assimilé ainsi aux chefs nazis.

En route 15-01-1943

Coll. Fondation de la France Libre

Cet « institut de race » évoque l’Institut d’étude des questions juives, fondé à Paris le 11 mai 1941 avec le soutien de la Propagandastaffel, le bureau de propagande allemande, d’abord sous le nom de « Bureau d’information et d’étude des questions juives », puis absorbé à la fin de 1942 par la direction de la propagande du Commissariat général aux questions juives qui le rebaptise en mars 1943 « Institut d’études des questions juives et ethnoraciales ». Il a notamment patronné l’exposition « Le Juif et la France », présentée du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942 au palais Berlitz.

2) « Les bons Aryens… Toute la gamme… » est un dessin tiré de « La vie d’un surhomme… », quinzaine du n° 32 parue le 1er avril 1943, p. 23, et consacrée entièrement à la biographie ironique de Hitler.

En route gamme aryens

Coll. Fondation de la France Libre

Le titre joue sur l’homophonie entre « bons Aryens » et « bons à rien » et le dessin sur le double sens de « gamme ». Ce mot peut être entendu dans son sens musical, c’est-à-dire comme l’ensemble des sept notes principales disposées dans l’intervalle d’une octave, remplacées ici par la tête de huit des principaux dirigeants de l’Allemagne nazie : Adolf Hitler, Hermann Goering, Rudolf Hess, Joseph Goebbels, Joachim von Ribbentrop, Heinrich Himmler, mais aussi Hjalmar Schacht et Franz von Papen, tous deux non nazis. On peut le comprendre également dans le sens figuré d’une série d’éléments de même nature, mais présentant divers aspects, degrés ou nuances. Il s’agit alors de montrer la variété des types physiques allemands, représentés ici par une partie de leurs responsables politiques, dont aucun ne correspond au type supposé de l’Aryen.

Le complot juif

Ces deux dessins, consacrés à l’exploitation, par Hitler, du thème du complot juif sont issus de la quinzaine du n° 27, paru le 1er février 1943. À cette époque, les forces allemandes ont subi leurs premières défaites à Stalingrad et El Alamein.

complot juif En route

Coll. Fondation de la France Libre

Dans le premier dessin, Hitler désigne du doigt une carte de l’Empire allemand, dans ses frontières de 1918, enserrée entre les bras d’une pieuvre, symbole d’un réseau tentaculaire et occulte. La tête de cette pieuvre reprend les stéréotypes antisémites du juif : un grand nez crochu, une lèvre inférieure lippue et pendante, de grandes oreilles décollées, des yeux globuleux avec des poches, des sourcils épais, des cheveux noirs, avec des papillotes, une barbichette longue et un Judenhut (chapeau juif).

En 1918, l’Allemagne est au bord de la défaite. Le commandement militaire allemand abandonne aux politiques les négociations d’un armistice. Un mouvement insurrectionnel, lancé par les marins de Kiel, aboutit à l’abdication de Guillaume II et à la proclamation de la République. À son retour en Allemagne, l’armée est accueillie comme si elle était invaincue, afin d’asseoir l’unité du peuple allemand autour du nouveau régime. Ce choix va permettre le développement, dans les milieux nationalistes, du mythe du « coup de poignard dans le dos », attribué aux révolutionnaires juifs.

Cette idée est reprise ici dans le premier dessin, dans lequel Hitler affirme : « Si l’Allemagne a perdu la dernière guerre, cela a été la faute des juifs… ». Toutefois, si l’on fait bien attention au visage d’Hitler, on constate qu’il cligne de l’œil (l’œil droit est clos) et que sa bouche est déformée par un sourire, tous signes qui nous indiquent qu’il ne faut pas le prendre au sérieux.

Le second dessin montre Mussolini assis à terre, recroquevillé sur lui-même et les mains plaquées contre les tempes pour manifester son affliction. À ses pieds est attaché un boulet sur lequel est inscrit « le coupable ». Une main accusatrice, frappée de la croix gammée nazie, semble descendre du ciel pour le désigner à la vindicte : « Si l’Allemagne perd cette guerre, ce sera la faute des Italiens ». L’Italie de Mussolini sert donc, comme les juifs pour la Première Guerre mondiale, de bouc émissaire à des Allemands qui refusent d’admettre qu’ils puissent être vaincus.

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