Les Comités de la France Libre et Georges Bernanos
Il n’est pas possible de clore l’histoire des Comités de la France Libre à l’étranger de 1940 à 1944, sans évoquer la mémoire de Georges Bernanos dont le nom reste attaché à l’esprit de révolte et de résistance qui anima ces Comités.
Georges Bernanos fut en étroit contact avec le Comité Central du Brésil, prenant, à certaines discussions, la part active qui convenait à son tempérament et à ses convictions.
Mais son influence s’étendit bien au delà des frontières du Brésil : le Comité de Rio de Janeiro assurait les liaisons entre Bernanos et les journaux de la F. L. dans le monde ou avec les Comités qui publiaient un peu partout ses articles retentissants.
À les relire, on revit le passé qui commençait à s’estomper, On revoit les chemins parcourus, on retrouve ces propos qui ont conservé tout leur sens, toute leur vérité :
« Ce désastre est unique dans notre histoire, écrivait-il en juin 1940, il faut que la réparation le soit aussi. Elle le sera. Nous allons reprendre notre tâche, recommencer par le commencement… puisque nous n’avons pu user la guerre allemande, nous userons la paix allemande, nous mettrons le temps qu’il faudra… ».
(Chemin de la Croix des Âmes, p. 25, article paru dans « O Jornal » à Rio de Janeiro).
Son ardeur, cependant, ne lui fait pas oublier les contingences humaines ; alors que tout est perdu, que la plupart des êtres s’abandonnent, s’il reste confiant dans la victoire finale, il sait aussi qu’à son approche beaucoup d’hésitants voleront à son secours. Et en juillet 1940, il écrit à un Ambassadeur de France :
« Je ne vous demande pas, Monsieur l’Ambassadeur, d’approuver mes campagnes. Ne les approuvez pas, désapprouvez-les même. En tolérant seulement, vous vous réservez la possibilité de les utiliser le moment venu. Le moment viendra. »
(Chemin de la Croix des Âmes, page 32).
Le secret de son attitude, il le dévoile lui-même en écrivant sa conviction.
« La France n’acceptera pas la honte…
« Mon pays ne se relèvera pas, ne se retrouvera pas après la victoire, il faut, qu’il se retrouve avant – il faut qu’il se sauve lui-même, alors qu’il en est temps encore. »
(Lettre aux Anglais, page 94).
« J’appartiens à une génération qui a donné « deux millions d’hommes à l’honneur et à la « patrie. Rien – rien – rien, ne nous empêchera « maintenant de remplir notre devoir non seulement envers la France, mais encore envers « toute une civilisation menacée, moins par la «force que par le mensonge – rien ne nous «empêchera de remonter, de responsables en « responsables, jusqu’aux premiers responsables, « ceux à qui nous pourrons demander :
« Qu’avez-vous fait de l’honneur de la Patrie ? »
(Chemin de la Croix des Âmes, page 55, article paru en octobre 1940).
En décembre 1940, dans son bulletin n° 5, le Comité de Buenos-Aires publiait un article où Georges Bernanos définissait ainsi le sens, la raison d’être des Comités de la France Libre à l’étranger.
« Ce bulletin n’est pas un journal comme les autres, ou plutôt ce n’est pas un journal du tout, c’est une entreprise commune, une maison ouverte à tous, comme n’importe quelle maison de nos villages et qui ne se distinguerait pas des autres s’il n’y flottait le drapeau tricolore.
« Y entre qui veut, pourvu qu’il ait au cœur le sens de l’honneur français, qu’il ait compris, une fois pour toutes, que l’honneur d’Un peuple est le capital des morts dont les vivants n’ont que l’usufruit…
« … Il n’y a qu’un seul honneur pour tout le monde et devant la politique du Comité de Vichy, le sentiment est le même qu’on l’exprime en style noble ou en langage vulgaire. Qu’on dise « C’est infâme» ou « C’est dégueulasse » qu’importe.
« Je ne veux plus croire qu’à l’honneur français.
« L’honneur ne s’enseigne pas et tous les génies littéraires du monde ne réussiraient pas à le donner à qui en manque, à le retirer à qui le possède, à qui le porte dans sa chair et dans son sang. Je ne crois plus qu’à l’honneur français et – réellement – je ne vis plus que pour le venger. »
En mars 1943, peiné et déçu des difficultés anglo-américaines qu’il rencontre pour faire paraître un article, Georges Bernanos écrit :
« Voici mon article pour La Marseillaise.
« Le dernier avait été d’abord censuré, puis il a paru après quelques modifications. Je me décide à écrire celui-ci après avoir reçu deux câbles de Londres.
« Jamais je n’ai mieux et plus profondément senti l’humiliation de la France, et le tort immense fait à notre dignité et à notre honneur par les bien-pensants de Vichy. Jamais je n’ai mieux compris le service rendu par des gens comme vous. »
Mais en juin 1943, devant le déroulement des événements, Bernanos ne peut s’empêcher de clamer à nouveau la ferveur de son idéal.
« Français, on nous somme d’oublier. ce qui nous divise, il ne faudrait pas qu’au terme de cet effort, nous finissions par nous oublier nous-mêmes.
« Français, si nous voulons repartir vers l’avenir, il est indispensable de choisir dans le passé, un point de rassemblement. Eh bien, l’Histoire de France vous attend tous, au seuil du 18 Juin 1940. Voilà ce que je voulais vous dire. Pour l’Histoire, ce jour n’est pas celui de l’armistice, l’armistice est un fait énorme et sans valeur inutilisable pour elle, un gigantesque fœtus, gros comme une montagne. Le 18 Juin 1940 est ce jour où un homme prédestiné – que vous l’eussiez choisi ou non, qu’importe, l’Histoire vous le donne – où cet homme a, d’un mot qui annulait la déroute, maintenu la France dans la guerre.
« Français, ceux qui essaient de, vous faire croire que ce jour et cet homme n’appartiennent pas à tous les Français se trompent ou vous trompent. »
Malgré toute son ardeur, son enthousiasme, il ne cherche pas à se tromper, lui-même ou à tromper ses amis, et il s’exprime avec ce ton familier et désabusé qui marquait souvent ses propos :
« Réconciliation est un grand motet on en a « plein la bouche…
« Je sais parfaitement que la Réconciliation devra se faire. Je sais parfaitement qu’elle se fera aux dépens des hommes sincères, en faveur des attentistes et des combinards. Telle est la loi de l’Histoire, et nous n’y changerons rien. Mais notre rôle est précisément de retarder ce dénouement inévitable jusqu’au jour où, par notre effort et notre exemple, la France effondrée de l’armistice aura retrouvé assez d’honneur pour pouvoir en perdre sans grand dommage. »
Et en 1945, les hostilités étant terminées, c’est en ces termes que Bernanos rendait hommage à l’action des Comités :
« Vous avez bien servi la France.
« Je dis la France, celle d’hier et celle de demain, la France Immortelle. Car cette France d’aujourd’hui à laquelle nous appartenons, premièrement par la chair, puisque nous y sommes nés, que nous n’avons pas encore achevé d’y mourir, elle est la France, certes, mais une France où se trouvent étroitement mêlés le bon et le mauvais, le périssable et l’impérissable. De la France d’aujourd’hui, vous vous êtes efforcés de servir la part impérissable. Ce service ne va pas sans déception. Vous avez accepté ces déceptions par avance. La France périssable, celle des combinaisons politiques et des partis, destinée à disparaître, en même temps que les générations qui la constituent, vous aurait demandé beaucoup moins de sacrifices pour de considérables profits ; n’importe, les événements vous ont donné raison, ils ont donné raison à vous et à l’honneur. »
Cela devrait clore le débat.
J. H.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.