Le Comité de la France Libre du Canada, par Marthe Simard-Reid
Il y a vingt ans… Juin 1940 à Québec dans notre salon de la rue d’Auteuil, mon mari et moi entendions, bouleversés, les dernières nouvelles aux écoutes de notre poste de radio, où la voix étranglée de larmes du regretté journaliste ami, Louis Francœur ne peut finir : « la France dépose les armes sans conditions. »
Je ne pouvais me résoudre à comprendre ; le chagrin touche souvent à la révolte et j’étais encore sous l’influence calmante du fameux : « Je crois au miracle… », de M. Paul Reynaud. Mon chagrin était fait de honte et de colère, mes larmes étaient brûlantes. C’est alors que mon mari, Canadien français, incomparable compagnon, a pressenti l’Appel du 18-Juin. Oui, pour me consoler il me dit : «Tu vas voir, rien n’est fini, l’armée française ne se rend pas comme ça, c’est impossible, crois-moi… » Il avait raison ! Un colonel français se refusait à déposer les armes : Charles de Gaulle ! Dans les ondes perçues à travers le monde, sa voix répondait au sang des ancêtres charentais de mon mari ; la France avait perdu une bataille, mais non la guerre.
Fini, mon sentiment de culpabilité fraternelle, la dignité me replaçait dans la gravité de l’heure, j’étais, nous étions déjà, rivés à la grande aventure de la France Libre. Ce fut aussi simple que cela et le temps a prouvé que dans toute ma famille française, cet élan vers la vérité fut instructif.
En quelques semaines, le Comité de la France Libre de Québec affronte le grand jour et s’étend lentement – mais sûrement – en ramifications plus ou moins considérables au travers de ce vaste Canada.
En quelques semaines, le Comité de la France Libre de Québec affronte le grand jour et s’étend lentement – mais sûrement – en ramifications plus ou moins considérables au travers de ce vaste Canada.
«Tout ne fut pas rose… » : Les « cas de conscience » se faisaient un « devoir » d’éclairer notre lanterne. Vichy faisait tache d’huile : « Cet officier mercenaire vendu à l’Angleterre refusait l’épuration de la France, dans un Ordre Nouveau, sans juifs, francs-maçons et communistes », et nous, nous objections à un si bel avenir pour notre pays!…
Nos croix de Lorraine par douzaines, puis par centaines, répondaient éloquemment du lac Saint-Jean à Victoria, à l’Ordre Nouveau.
Quel souvenir ému je conserve de mes rencontres avec les membres de tous ces comités éloignés dans ces vastes provinces canadiennes ! Chacun de ces hommes, de ces femmes, probes et généreux, Français ou Canadiens, a donné le meilleur de son cœur et de son travail à l’Appel du 18-Juin. Qu’aurais-je pu faire sans eux, sans tous ces visages amis que je n’oublie pas.
À Québec, notre maison était évidemment devenue la tanière « du mieux ou du pire ». Je me souviens de ce gris matin d’automne 1941, sortant très tôt pour prendre mon service dans un hôpital de Québec où j’étais infirmière bénévole, je m’aperçus que la brique rouge de notre maison s’ornait de nombreuses croix gammées noires entrelacées de : « Vive Pétain ! Vive Laval ! Vive Darlan ! ». Pour qui était-ce injurieux ? Je me souviens aussi de cette « baronne » qui m’honore de sa visite pour me féliciter « de mon intelligente influence française au Canada, utile à la fine politique du Maréchal… et qu’évidemment si de Gaulle n’existait pas, il aurait fallu l’inventer. » Discours cousu de fil blanc que je connaissais déjà.
Puis les mois passaient. La France Libre était de plus en plus une réalité militaire dans des combats historiques. Près du Canada, les îles Saint-Pierre-et-Miquelon prenaient place dans la famille croix de Lorraine. Québec et tous ses comités se sont particulièrement dévoués à secourir rapidement ces îles libérées. De plus en plus, les événements imposaient l’autorité du quartier général des Forces Françaises Libres à Londres à nos Alliés. Les gens prudents de 1940 se « renseignaient » et nos membres augmentaient. Le consulat de la France Libre à Québec recevait beaucoup de visites, les dévouées secrétaires Solange Briggs et Paule Langlois peuvent en témoigner ; les jours fériés étaient rares, les heures de travail longues…
Nous étions de braves gens, sans titre, sans gloire mais un cœur à la bonne place. Très peu d’entre nous sortions des sciences politiques et, pourtant quels beaux dossiers d’honneur diplomatique, ces comités de la France Libre déposent dans les mains de nos ambassadeurs.
En 1945, à la fin de mon mandat à l’Assemblée consultative, de retour au Canada, j’étais peinée du peu d’importance attachée à cette somme de bonne volonté de quatre ans des comités de la France Libre.
– Vous avez mauvais caractère, me disait-on.
– Tant mieux, je suis fière de ce point commun avec le général de Gaulle.
Et puis, qu’importe pour nous tous, amis, compagnons, camarades, de cette France Libre où tout était si beau, si pur dans nos cœurs, si nous restons des Français qui s’aiment tout simplement. Refaisons la chaîne, voulez-vous, comblons les places des disparus, refraternisons mains serrées autour de la France, notre patrie.
En ce début d’année 1960, la presse annonce pour le printemps prochain, la visite officielle au Canada, du général de Gaulle, président de la République française : qui l’eût cru, il y a vingt ans !
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.