Le bataillon de marche Somali (BMS)
par Roger Lamy
ancien chef de section au BMS pendant quatre ans
Le bataillon de marche Somali a vu le jour le 1er janvier 1943, issu du détachement de marche Somali, créé par l’instruction n’ 621/CD/295811, du 25 juin 1941, du délégué de la France libre et commandant en chef des Forces françaises libres au Moyen-Orient et dans l’Est africain, M. le général d’armée Georges Catroux.
Ce détachement comprenait, à l’origine, un peloton méhariste et quelques petits détachements d’infanterie coloniale, le tout échelonné le long de la frontière du territoire de Djibouti: la CFS, avec son PC à Buramo (Somaliland).
Les gradés et hommes de troupe (Européens et autochtones) sont tous des volontaires déjà éprouvés, pour la plupart venus volontairement à la France libre, soit en s’échappant du Territoire de Djibouti (au péril de leur vie), soit venus des quatre coins du monde, animés du plus pur désintéressement et tous décidés à continuer la lutte jusqu’à la victoire, dans l’honneur et la liberté; tous ont foi dans leurs chefs et dans la destinée de la Patrie ; leur commandant, le chef de bataillon Appert, est lui-même échappé de Djibouti.
Ce détachement sera bientôt regroupé et formera deux compagnies de marche et un groupe de commandement.
Cette unité déjà opérationnelle, aguerrie par diverses opérations militaires ou de maintien de l’ordre, en Somali land et en Abyssinie, sera maintenue sur ces territoires, renforcée de jour en jour par de courageux évadés des confins de la CFS et même quelques-uns du camp retranché de Djibouti; d’autres, venus d’Angleterre ou de l’Afrique française libre, jusqu’au ralliement de la CFS à la France libre. Parvenu à l’effectif d’un bataillon de marche « type britannique », soit : trois compagnies de combat, une compagnie d’accompagnement, une compagnie de commandement, le 1er janvier 1943 ce détachement opérationnel deviendra:
Le bataillon de marche Somali
Hélas, cette nouvelle unité prête au combat, qui espérait reprendre la lutte aux côtés des camarades déjà engagés en Libye ou au Fezzan, sera maintenue de longs mois en territoire djiboutien et ce, pour deux raisons majeures:
– Le bataillon Somali, après le départ de la plus grande partie de la garnison de Djibouti vers les différents théâtres d’opérations alliés, reste la seule force armée valable dans cette partie, si sensible aux troubles, de la corne de l’Afrique;
– Les difficultés du transport maritime au moment où la flotte marchande alliée est durement frappée par l’ennemi.
Enfin embarquée, cette unité combattante se verra une fois de plus assumer l’occupation de divers terrains conquis par leurs frères d’armes en Libye et en Tunisie, pour la même raison de sauvegarde de la souveraineté alliée ou française.
Ce bataillon, solide « outil de combat », comme le qualifiera son futur chef, sera enfin dirigé sur le théâtre d’opérations européen en fin 1944 ; d’abord prévu sur le front des Alpes, il se verra finalement désigné pour le front des poches de l’Atlantique, aux ordres du commandant du Corps d’armée de l’Atlantique, le général de Larminat.
Pour une raison « sans doute opportune », le BMS, ainsi que les bataillons de/marche nos 14 et 15, venant de l’AEF, formeront pendant quelques semaines le régiment d’AEF et Somali, formation toute théorique, ces diverses unités continuant d’être engagées en toute autonomie, ce qui permettra à notre BMS de démontrer ses réelles qualités guerrières : fer de lance de l’attaque du 15 avril 1945, du pont du Gua (secteur de la pointe de Grave), dont il s’empara sans coup férir ; deux jours plus tard, après des combats acharnés, il s’emparait de la redoute de Vieux-Soulac, ouvrant ainsi le passage direct à la pointe de Grave.
45 tués et plus de 100 blessés grièvement atteints, tel fut le prix de cette offensive qui, montée en même temps que celle de la poche de Royan, libéra l’estuaire de la Gironde et son grand port de Bordeaux, seule ouverture maritime sur l’Atlantique et 100 % à la disposition des Forces françaises, alors que la métropole était aux trois quarts libérée (se rappeler le contexte très particulier du moment). Depuis le début des opérations, les Somalis avait fait preuve d’un allant et d’un mordant magnifiques.
– Le 22 avril 1945, au cours d’une prise d’armes qui rassemblait des éléments de toutes les Forces françaises engagées dans cette partie du Médoc, le général de Gaulle accrocha lui-même une palme au fanion du bataillon, à côté de celle gagnée par les Anciens du 1er détachement Somali engagé à Verdun en 1916, aux côtés du fameux RICM ; la croix de Guerre 1939/1945 décernée au BMS était accompagnée de la citation suivante:
À l’ordre de l’armée
« Bataillon qui, sous les ordres du calme et énergique chef de bataillon De Bentzman, a, par sa valeur et son opiniâtreté, réussi le 15 avril 1945 le franchissement de vive force, sous le tir violent et ajusté de l’ennemi, de la ligne d’eau du Gua, large de plus de 400 mètres, par son habile manœuvre, fait tomber les défenses ennemies du pont du Gua.
Dans la journée du 18, a bousculé l’ennemi sur les fortes positions d’un fossé antichar et, d’un seul élan, a enlevé le village de Vieux-Soulac, ainsi que l’ensemble très fortement bétonné et vigoureusement défendu des ouvrages constituant le poste de commandement de la forteresse de la pointe de Grave.
Au cours de ces journées de combat, a fait plus de 300 prisonniers. »
– Le 25 avril 1945, le BMS quittait Soulac pour le secteur de La Rochelle, mais bientôt l’armistice allait le frustrer partiellement d’une campagne qui s’annonçait pleine de promesses de combats victorieux.
À la liste édifiante de ses morts au cours des combats ci-dessus, ne seront pas oubliés tous ceux de leurs camarades, plus anonymes encore, qui, de leurs tombes, ont jalonné la si longue route de la corne de l’Afrique jusqu’au petit cimetière de Soulac: 39 de nos anciens camarades tombés au cours des combats de la pointe de Grave, ont été réinhumés à la nécropole de Retaud 17460. (Le 5e RIAOM, stationné à Djibouti actuellement, est l’unité héritière de tradition du BMS.)
Tous ont paraphé, de leur sang, le livre d’or de notre armée coloniale.
Intelligents, robustes malgré leur sveltesse, turbulents mais disciplinés, ardents et courageux, avec le plus grand mépris de la mort, fiers de leur « chéchia », qu’ils portaient très haut et pincés surle côté, fiers de leur bataillon et de leur fanion tricolore qu’ils aimaient et respectaient à l’égal du drapeau.
Les « Ouariah » du BMS n° 2 se sont montrés dignes de leurs anciens de 1914/1918, héros de Verdun.
Territoire des Afars et des Issas: (Djibouti)
Un peuple attachant oublié par l’histoire, pays oublié des dieux qui reste fascinant
« J’ai fait la guerre dans quatre villes, je suis le bras droit du sultan, sur le champ de bataille ma présence fait trembler mes ennemis; j’ai parcouru de vastes pays, je stimule la foi guerrière de mes hommes; de mes victimes j’ai rapporté l’objet de leur orgueil, j’ai bu leur sang … Sur mon passage, l’eau des oueds rougit, les arbres se réduisent en cendres, je n’abandonne jamais le combat. Si mes pieds se refusent, mon cheval me porte, si je n’ai plus de lance ni de fusil, mon poignard me suffira! »
(Chant guerrier Afar)
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 289, 1er trimestre 1995.