Aux morts de Bir-Hakeim
par le R.P. Charles Alby
Ils dorment dans le silence. Dans le silence du désert. C’est plus que le silence ordinaire d’un cimetière. C’est le silence cosmique. C’est le silence d’une solitude absolue. Cette solitude du désert, affranchie de tout instable de la vie, comme dirait Pierre Loti.
C’est bien la tombe qu’il leur fallait à ces braves. Un cimetière ordinaire ne leur convenait pas. Un cimetière ordinaire a des dimensions banales ; il est enclos dans des lieux habités, inscrit dans un cadastre. Pas de cadastre au désert, pas de limites ! Aux morts tragiques, il faut des tombes que seul visite, au coucher du soleil, le vent froid du bled.
Le vent a passé sur leur bataille, il a transporté l’odeur de leur poudre, il les a aveuglés de son sable. Il a vibré de l’écho des explosions. Lui seul sait. Il est le témoin tellurique de ce combat qui n’a ressemblé à aucun autre.
Car ceux de Bir-Hakeim étaient morts avant de mourir. Ils avaient tout sacrifié, ils avaient coupé les amarres. Ils avaient fait à la Patrie un don total. Ils étaient des séparés au point que certains de leurs compatriotes ne les reconnaissaient plus. Ils avaient continué de croire à la Patrie quand celle-ci semblait ne plus croire en eux. Le désert moral était plus rude pour eux que le désert physique.
Un petit cimetière de village, un petit cimetière de banlieue n’était point leur affaire. Tout cela est trop administratif et ils avaient envoyé promener l’administration pour retrouver l’âme de la Patrie. Ils sont bien les fils de la terre et c’est pourquoi ils dorment à même le sol sans linceul et sans cercueil.
Ô vent du désert soulève un peu de cette poussière qui colle à leurs os et va la porter au-delà de la mer bleue, au-delà des monts et des vallées, jusqu’à l’arc du Grand Empereur, et dépose ce sable non point dessous, mais dessus bien haut, afin que du haut du ciel tous les grands soldats de France, de Jeanne d’Arc à Foch, la voient, cette poussière !
Ô morts de Bir-Hakeim, vous reposez seuls au milieu de vos trophées et des instruments de votre martyre, au milieu des restes de la mitraille et des chars ennemis que vous avez arrêtés.
Vous restez dans la bataille… car la bataille continue …
La grande stèle dresse la Croix de Lorraine sur ces arpents de terre nue et quand son ombre s’allonge, au déclin du soleil, le vent du soir, courant sur les asphodèles et sussurrant dans les barbelés, souffle à l’oreille du pèlerin qui s’attarde :
Passant, va-t-en dire à Lutèce que deux cents braves sont tombés ici pour que vive la France.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.