Vice-amiral André Ploix
Commandeur de la Légion d’honneur
Une des figures les plus originales, les plus attachantes et, il faut bien aussi l’avouer, les plus dérangeantes de la marine d’après la Libération vient de disparaître en la personne du vice-amiral Ploix emporté le 12 juin 1985 par un cancer généralisé contre lequel il a lutté jusqu’au bout avec ce courage indomptable que nous lui avons connu en toute circonstance.
Entré à Polytechnique en 1927, Ploix sortait dans la marine en 1929 et, début de carrière peu banal, assistait au naufrage, sur les îles Habibas, du croiseur Edgar Quinet, école d’application des enseignes de vaisseau. Son esprit curieux et son sens aigu de l’anticipation le poussaient vers les techniques d’avenir et déjà breveté de l’École des transmissions il entrait en 1936 à l’École d’aéronautique et servait à partir de 1937 dans l’Aéronavale.
Il s’était déjà fait connaître comme un esprit original et anticonformiste aussi est-ce tout naturellement qu’il rejeta l’idée de servir dans les armées de l’armistice. Il tente donc en septembre 1940, à bord d’un yacht de 40 tonneaux qu’il s’est procuré à Marseille, de rallier Gibraltar. Arraisonné le 7 octobre 1940, arrêté, interné et jugé par le tribunal maritime de Toulon réuni en cour martiale, il est condamné à cinq ans de détention et à la dégradation pour désertion à l’étranger. Il est interné successivement à Toulon, Saint-Étienne, Gannat et Riom.
Il est, à notre connaissance, le seul officier d’active de la marine à avoir fait de la prison pour gaullisme actif. Plus heureux dans nos entreprises et favorisés par des circonstances plus faciles nous avons été contumax.
Libéré sous condition le 23 juillet 1943 et assigné à résidence à Grenoble, Ploix, bien que diminué physiquement par ses années de prison, se hâte d’aller reprendre sa place au combat. Il quitte Paris le 13 octobre 1943, passe la frontière d’Espagne le 30 octobre et arrive à Casablanca le 15 décembre. Il participe en 1944 aux opérations qui conduisent au débarquement de Provence comme commandant de l’aviso La Moqueuse un des bateaux de la France Libre avec le pavillon de beaupré à croix de Lorraine.
Après la libération, la carrière de Ploix le mène rapidement vers les sommets de la hiérarchie: capitaine de frégate en 1946, capitaine de vaisseau en 1951, affectation à la présidence du conseil, commandant de l’aéronavale en Indochine, l’institut des hautes études de Défense nationale, centre des hautes études militaires, contre-amiral en 1957, vice-amiral en 1961.
Partout où il passe il laisse un sillage où l’admiration se mêle à la consternation. Admiration pour son intelligence exceptionnelle qui domine aisément tous les problèmes et leur donne des solutions simples et efficaces. Consternation, parce que Ploix, à tous les niveaux d’autorité où il a pu se trouver, n’a jamais cessé d’être un anticonformiste actif, bousculant les habitudes acquises et les idées reçues toutes les fois où elles s’opposaient à l’idée très exigeante qu’il se faisait de la bonne exécution du service.
Il n’était pas souple. Ayant adhéré de tout son cœur à la notion de l’Algérie française, il n’a pas voulu rester silencieux quand la politique de la France s’est orientée différemment. N’ayant rien à y gagner et tout à y perdre il s’est opposé. Profondément républicain et respectueux de la loi il n’a pas cédé au vertige des soldats perdus et n’a rien commis d’illégal mais il a manqué à cette fameuse “obligation de réserve”, le plus souvent en apportant devant les tribunaux son témoignage de moralité à des amis en difficulté.
Placé en disponibilité le 1er octobre 1962, il est admis par anticipation dans la deuxième section du cadre des officiers généraux à compter du 1er avril 1963 (décret du 26 mars 1963). Un arrêté du Conseil d’État du 26 avril 1967 a annulé cette décision et rétabli la situation administrative du vice-amiral Ploix.
Les Français Libres qui, si notre souvenir est encore fidèle quarante-cinq ans après, n’étaient pas des agneaux résignés comprendront certainement pourquoi nous avons voulu rendre ce dernier hommage à un camarade au caractère difficile mais hautement estimable qui a souffert dans les prisons du régime de Vichy, qui a combattu et qui vers la soixantaine a abandonné honneurs et emplois par fidélité à l’idée, sans doute chimérique, mais généreuse, qu’il se faisait de son devoir.
Amiral Patou
ancien chef d’état-major de la marine
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 252, 3e trimestre 1985.