L’AEF et le Cameroun se rallient
Par le médecin-général inspecteur Guy Chauliac
En Afrique Équatoriale Française et au Cameroun en mai-juin 1940, les 40 journées de l’offensive allemande, ponctuée de défaites successives, le recul des armées françaises suivi d’une déroute jusqu’aux Pyrénées furent vécus avec les sentiments de la plus sévère humiliation.
Dans beaucoup de régions isolées, et elles étaient nombreuses dans cet immense territoire de 3 millions de kilomètres-carrés, un million et demi d’habitants où la densité des Européens était dérisoire, ces nouvelles désastreuses ne parvinrent qu’avec un certain retard dû au manque de voies de communication, aux pistes coupées par la saison des pluies, à la rareté des embarcations à moteur sur les rivières, à l’absence de postes de radio.
Il est bien difficile d’imaginer maintenant ce que pouvait être, à l’époque, l’isolement de beaucoup de cadres de l’administration, de militaires ou de médecins par exemple, dans les marais de la Likouala aux Herbes, dans le bassin supérieur de l’Ogooué, sur la rive orientale de l’Oubangui, dans les postes désertiques de l’Ennedi ou du Tibesti ou dans les zones sahéliennes de l’Adamaoua.
L’arrivée alarmante de cette terrible nouvelle, la France dévastée, la France occupée par des vagues successives de soldats nazis, accrut aussitôt le sentiment de solitude dans ces endroits perdus où l’inconfort, la chaleur, l’humidité ou la sécheresse, la maladie furent brutalement perçus avec une acuité nouvelle. Chacun se sentait comme abandonné, seul tout à coup, sans communication possible avec la mère patrie, la famille, les amis redoutant le pire et ne voyant pas d’issue. C’était vraiment l’angoisse.
Après les moments de profond découragement, vint la réaction contre les sentiments de désespérance, plus particulièrement dans les villes où la population européenne était nombreuse et au courant au jour le jour des événements : Brazzaville, Douala, Yaoundé, Libreville, Bangui, Fort-Lamy. À noter que la population noire était parfaitement calme.
Chacun confrontait ses sentiments avec l’état d’esprit de ses voisins et de ses amis, et les discussions allaient bon train. Après tout, nous les coloniaux, nous n’avions pas combattu. L’armistice ne pouvait nous concerner et nous n’avions pas rendu nos armes. Il fallait faire quelque chose, refuser le diktat de l’envahisseur. Nous étions libres. Les distances nous mettaient, pour le moment, à l’abri d’une irruption, même par voie maritime, des troupes allemandes, et le désert tchadien nous préservait au nord des possibles incursions des Italiens de Libye.
Les Allemands attaquaient en vain pour le moment au-delà du Channel la Grande-Bretagne qui continuait seule et vaillamment le combat. Il nous fallait rejoindre l’armée anglaise et mettre nos forces intactes et non encore engagées à sa disposition.
Individuellement, beaucoup se préparaient déjà à poursuivre la lutte et certains pensaient que la solution était de franchir les frontières et d’aller se présenter aux autorités anglaises au Nigeria ou au Soudan anglo-égyptien, territoires limitrophes du Cameroun, du Tchad et de l’Oubangui. Pourtant cette décision, à la réflexion, risquait de désorganiser le pays. Un mouvement d’ensemble réunissant tous les résistants, militaires, fonctionnaires, commerçants, employés, planteurs aurait été plus efficace ; mais sans doute faudrait-il des semaines pour l’organiser.
Cependant, déjà un bon nombre d’impatients, dans un grand mouvement d’enthousiasme et de patriotisme, franchirent les frontières. Les autorités anglaises qui traversaient aussi une période d’incertitudes, conscientes du désordre que provoquaient ces initiatives individuelles, renvoyèrent pour la plupart ces volontaires dans leur territoire d’origine.
Toutefois, les échanges et pourparlers entre autorités anglaises et autorités des territoires de l’AEF s’intensifiaient et les liens se renforçaient en vue d’une entraide et d’une action commune.
Quant à l’Appel du 18-Juin du général de Gaulle, en dehors du Cameroun, mieux équipé, bien peu l’avaient entendu faute de postes récepteurs, mais ses termes se répandaient peu à peu de bouche à oreille.
Les jours passaient, l’incertitude demeurait. Le drame de Mers el-Kébir semblait incompréhensible et une sévère atteinte à l’honneur national. Il n’en restait pas moins que notre sol était occupé par l’ennemi que le gouvernement de Vichy était dans un état d’asservissement complet, privé de toute liberté d’agir. L’Angleterre continuait la lutte, elle avait accueilli le général de Gaulle et l’avait même officiellement reconnu. Il était notre unique recours, le seul chef qui pouvait nous rassembler pour continuer la lutte.
Parfois, on imaginait douloureusement ce qui s’était passé, ce qui se passait encore, la ruée des chars Tigre allemands, les bombardements et mitraillages des Stuka avec leur croix noire, l’envahissement des villes, le flot dévastateur des uniformes verts dans nos campagnes, la dislocation de la France, la fuite éperdue des populations sur les routes encombrées comme en 1870, comme en 1914.
Et nous resterions l’arme au pied ?
Non ! Nous rejoindrons ce général inconnu qui nous dit incarner la France éternelle, afin de survivre, afin de chasser l’ennemi de nos foyers et de revenir en vainqueurs dans notre patrie libérée.
Il y avait pourtant un certain flottement du côté des autorités civiles et militaires au fur et à mesure que les journées passaient. Les partisans de la soumission à la loi hitlérienne s’opposaient, parfois avec violence, à ceux qui parlaient de résistance, les plus jeunes en général.
Le gouverneur du Tchad, originaire de Guyane, lui, ne faisait pas mystère de sa position de résistant. Il avait fait acte d’allégeance au général de Gaulle par télégramme “Considérez nous tous comme engagés“, écrivait-il. Mais le colonel commandant le Régiment des Tirailleurs Sénégalais du Tchad (RTST) tardait à préciser sa position.
Les chefs militaires et civils du Cameroun et du Gabon n’avaient pas fait part fermement de leur sentiment ? Comme plusieurs commandants d’unités, à Bangui, Fort-Archambault, Mao. Le gouverneur de l’Oubangui et le médecin-colonel Guirriec comme le médecin-colonel Vaucel au Cameroun inclinaient vigoureusement pour la Résistance. Le médecin-général inspecteur Adolphe Sicé, directeur du Service de santé de l’AEF, autorité très respectée à Brazzaville, sans l’ombre d’une hésitation, s’était rangé du côté gaulliste et avait pris la tête d’un comité de militaires et de civils qui préparait le ralliement.
Mais Boisson, gouverneur de l’AEF, tergiversait, échangeait des télégrammes avec les nouvelles autorités métropolitaines, ce qu’il croyait parvenir à cacher. Le général Husson, désemparé, incapable de prendre une position personnelle, restait à la remorque du gouverneur qui lui dissimulait ses véritables sentiments.
Le 13 juillet, on apprit à Brazzaville, grâce à une indiscrétion, qu’un poste de gouverneur général avec une autorité double sur l’AOF et l’AEF était créé à Dakar et que ce poste était proposé à Boisson.
Celui-ci démentit et entreprit une tournée des chefs-lieux. Il alla en particulier à Fort-Lamy. Il se rendit vite compte que les partisans du soutien au gouvernement prisonnier était de moins en moins nombreux. Qui donc voulait la démobilisation ? Qui admettait le recul de 100 kilomètres ordonné à la frontière libyenne ? Qui désirait la rupture avec les Anglais ? Qui aurait accepté de recevoir la commission d’armistice italo-allemande ?
Bien au contraire, au Tchad comme dans toute l’AEF et au Cameroun, la volonté de résistance devenait générale. L’AEF voulait rester dans la guerre et faisait confiance à la Grande-Bretagne, refusant les termes de l’armistice et la perte de l’Alsace et de la Lorraine. On ne pouvait envisager d’accepter une paix séparée qui était contraire à la parole donnée. Les quatre territoires et le Cameroun se devaient de faire échec à l’envahissant pangermanisme.
On escomptait encore de semblables sentiments en AOF et en AFN. On ignorait que dès le 20 juillet les Nouvelles-Hébrides s’étaient déjà rangées officiellement du côté de la France Libre.
Cependant, Boisson continuait à nier la décision qu’il avait prise. Mais finalement, le 20 juillet, trop heureux de l’avancement inespéré qui lui était proposé de gouverneur général haut commissaire de l’AEF et de l’AOF, transmettant rapidement au général Husson ses fonctions de gouverneur de l’AEF, il prenait l’avion pour Dakar.
Mais pour l’AEF, c’était encore et toujours l’attente, l’attente d’une décision officielle des autorités ; et c’étaient des crises d’impatience chez les militaires comme chez les civils et les médecins.
Au Tchad, tous les militaires des “confins”, c’est-à-dire les méharistes, étaient bien décidés. À Fort-Lamy, la situation devenait explosive, surtout parmi les sous-officiers ; au Ouaddaï, les quatre lieutenants avaient fait leur choix. L’un d’eux partit même au Soudan anglo-égyptien avec deux sous-officiers, mais ils furent renvoyés par le résident anglais ; dans l’Ennedi, une partie du groupe nomade connut le même sort. À Fort-Archambault, à Bangui, la situation était encore partiellement confuse.
Lorsque le 24 août les envoyés du général de Gaulle, René Pleven et le lieutenant-colonel d’Ornano, un méhariste de renom, atterrirent à Fort-Lamy, ils furent reçus triomphalement par une foule immense, européenne et africaine.
Le 26, on finit par convaincre le colonel Marchand du RTST de lire officiellement à la mairie la proclamation qui décidait du ralliement à la France Libre. Le sentiment national l’emportait, le Tchad entrait dans la lutte, pour la victoire.
Les attentistes, les hésitants, les partisans de la servitude furent conduits avec leurs familles en AOF vichyste.
Parmi eux, les chefs de bataillon de Fort-Archambault et de Moussoro, six des 20 médecins militaires, dont le médecin-colonel Quéméneur, directeur du Service de santé du Tchad.
Au Cameroun, la population, lasse d’attendre, passait d’une extrême lassitude à l’espoir, du découragement à un désir d’agir. Des groupes se formaient pour réagir, d’autres étaient résolument défaitistes et de nombreux attentistes n’avaient pas le moral.
À Yaoundé, le médecin-colonel Vaucel, courageusement, groupait les résistants dont la majorité des médecins, conseillait le calme et faisait de son mieux pour empêcher les départ au Nigeria. Vichy avait tenté, sur ordre des Allemands, de mettre la main sur cette ancienne colonie, alors sous mandat français de la SDN depuis la victoire de 1918.
Le gouverneur Annet de la Côte-d’Ivoire était venu pour remplacer le commissaire Brunot, le colonel Claveau pour prendre la place du colonel Bureau. Ils furent éconduits. On vit même arriver à Douala le sous-marin Sidi-Ferruch qui amenait l’inspecteur général des colonies Huet, chargé de prendre en main le Cameroun. En vain.
Dans la nuit du 26 au 27 août, l’envoyé du général de Gaulle, un certain lieutenant-colonel Leclerc, encore totalement inconnu mais qui devait devenir le plus célèbre des Français Libres, arrivait en pirogue par une terrible tornade et débarquait sur le quai du Wouri à Douala.
Il était immédiatement accueilli par un Comité Français Libre dans la demeure de l’un d’eux, comité composé de civils et de militaires, dont trois médecins : Émile Lebreton, Mauzé et Laquintinie.
Leclerc, qui avait été blessé pendant la campagne de France s’était évadé “la rage au cœur”, par l’Espagne, avait rejoint en Angleterre le général de Gaulle.
Celui-ci l’avait immédiatement envoyé à Lagos, retrouver d’autres émissaires avec mission de rallier le Cameroun à la cause de la France.
Dès son arrivée sur place à Douala, vint se présenter le capitaine Louis Dio, un méhariste du Tchad qui était à Douala à la tête d’un détachement de renfort qui n’avait pu embarquer pour la France avant la débâcle.
Il accepta avec enthousiasme d’établir des postes de garde autour des bâtiments publics avec sa compagnie et de rassembler les opposants. Tout se passa sans incident.
Dans la soirée, une partie de son unité sous le commandement du capitaine Gardet partit à Yaoundé avec la même mission. La population se rallia dans sa majorité à la France Libre.
Leclerc prit le fauteuil du commissaire ainsi que les pouvoirs civils et militaires, puis il expliqua la situation par télégramme aux commandants de cercle. Il fut confirmé dans son poste par le général de Gaulle. Les évadés en Nigeria revinrent se mettre à sa disposition. Les opposants furent dirigés sur l’AOF.
Le commissaire Brunot et le colonel Bureau partirent pour l’Angleterre. Peu après arriva le contre-amiral Platon de l’état-major de Vichy, qui venait du Gabon où il avait obligé le gouverneur Masson à renier sa parole. À Yaoundé, il fut mis en résidence surveillée puis renvoyé à son cabinet ministériel.
Le commissaire Philippe Leclerc s’entoura des meilleurs, visita sans relâche le territoire pour se rendre compte de la situation et des besoins en cadres, des nécessités économiques, des crédits nécessaires et des modifications qui s’imposaient dans l’organisation.
Ce fut une réussite. Mais au bout de trois mois d’activité, le général de Gaulle lui donna le commandement des troupes du Tchad à Fort-Lamy. Il y arriva le 2 décembre, prit tout de suite des mesures en vue d’opérations au Fezzan. Un mois après, début janvier 1941, il montait en coopération avec une unité anglaise des “Long Range Desert Groupe” (LRDG), venue du Caire, une opération offensive contre Mourzouk où le colonel d’Ornano fut malheureusement tué. Deux mois après, le 1er mars, il s’emparait de Koufra. C’était le début d’une glorieuse et fulgurante carrière.
Au Congo, le général Husson, devenu gouverneur de l’AEF, le 20 juillet, au départ de Boisson, se voyait dépouillé de son autorité sur le Tchad où le gouverneur Éboué dirigeait l’administration au nom du général de Gaulle. Ses communications avec le Cameroun étaient interrompues. Les nouvelles d’Oubangui ne lui étaient pas favorables. Le Congo commençait à lui échapper. Seul le gouverneur Masson au Gabon reconnaissait sa subordination au général Husson. Inquiet, ce dernier prit à Brazzaville des mesures militaires : garde des édifices publics, patrouilles, mutations d’officiers et de fonctionnaires, mise en alerte du bataillon du Pool et de la Milice. Il savait que le colonel de Larminat, envoyé du général de Gaulle, était arrivé à Léopoldville, sur la rive gauche du Congo.
Le commandant du bataillon du Pool lui était dévoué. Ce n’était pas le cas des officiers du bataillon de renfort qui n’avait pu embarquer à temps pour la France. Le médecin-général Sicé, très influent, ne cachait pas ses sentiments gaullistes et en avait entretenu le général Husson à plusieurs reprises.
En fait, il animait un comité de résistance qui préparait secrètement le ralliement. Le général Husson n’eut pas le temps d’arrêter les officiers de bataillon de renfort et leur chef le commandant Delange.
Tout était prêt pour intervenir. Cependant, armes et munitions avaient été distribués aux tirailleurs du bataillon du Pool et à la Milice. Il fallait agir sans tarder. Nous étions le 28 août, à 10 heures du matin. Le commandant Delange fit arrêter le chef de bataillon du Pool. Les capitaines Rougé et Boissoudy et le médecin-capitaine Coupigny avec leurs hommes s’emparèrent des postes de garde du camp militaire et du camp de la garde régionale puis, avec le commandant Delange et le commandant d’artillerie Morlon, ils entourèrent les bureaux de l’état-major. Au gouvernement général, les gardes se rendirent sans tirer, ce qui fut un miracle.
Le général Husson et son entourage furent faits prisonniers. Transportés à l’embarcadère du port, ils furent transférés à Léopoldville. Le colonel de Larminat, prévenu, croisa le bateau des prisonniers et arriva à Brazzaville pour prendre la place du gouverneur de l’AEF. L’affaire avait duré trois heures. Elle avait été minutieusement préparée. Pas un seul coup de feu ne fut tiré. La discipline de la troupe avait été admirable, comme le sang-froid des officiers et sous-officiers.
Dans la même journée du 28 août, l’Oubangui se ralliait grâce à l’autorité du gouverneur de Saint-Mart, épaulé par le médecin-colonel Guiriec, malgré le commandant Camas, réfugié avec une partie de ses officiers au camp militaire. Plusieurs administrateurs civils avaient eu un rôle important. La garnison de Bria se rangea tout entière du côté gaulliste avec le capitaine de Roux.
Le médecin-commandant J.-F. Vernier, qui avait manifesté une grande impatience, était parmi les plus enthousiastes. Il partit pour l’Érythrée rejoindre le BM.3.
Au départ du médecin-commandant Fruchaud après Bir-Hakeim, il devint le médecin-chef et le chirurgien prestigieux de l’ambulance Spears en 1942 jusqu’à la reddition allemande en 1945.
Restait le Gabon, où la situation ne s’était pas dénouée. Le gouverneur Masson d’abord rallié avait renié sa parole après le passage du contre-amiral Platon. Vichy avait envoyé l’aviso Bougainville accompagné du sous-marin Poncelet et du cargo Cap des Palmes qui avait une compagnie de tirailleurs à son bord en provenance de Dakar. Un général d’aviation du nom de Têtu était arrivé avec plusieurs avions et avait pris le commandement avec le commandant Claveau, déjà cité, à la tête des troupes. Il y avait pas mal de résistants parmi les coupeurs de bois. Plusieurs furent arrêtés et envoyés à Dakar. L’évêque faisait campagne pour le maréchal.
Le colonel Leclerc décida d’agir rapidement et d’arracher cette base que Vichy aurait pu utiliser pour reprendre possession du Cameroun. Le commandant Parant partit du Congo avec deux compagnies. Le capitaine Louis Dio et le capitaine Dronne envahirent le Gabon par sa frontière camerounaise et le colonel Leclerc dirigea une opération par voie maritime sur Libreville les 8, 9 et 10 novembre 1940.
L’opération réussit rapidement, mais l’aviation du général Têtu causa quelques pertes, ainsi que l’attaque et la prise du terrain d’aviation. Mais Libreville cessa le combat dans la journée du 10 septembre. Le Bougainville fut coulé par le Savorgnan de Brazza. On retrouva le gouverneur Masson pendu.
Port Gentil se rendit sans résistance. Le commandant Parant pénétra à Lambaréné et fit sa jonction avec le capitaine Louis Dio.
Épilogue
Les officiers méharistes, les bataillons de renfort, le gouverneur Éboué, le médecin-général inspecteur Sicé, les médecins-colonels Vaucel et Guirriec avaient joué un rôle essentiel dans le ralliement de l’AEF-Cameroun. C’est ainsi que le Tchad, le Cameroun, le Moyen-Congo, l’Oubangui, à partir du 29 juillet 1940, et le Gabon le 10 novembre 1940, formèrent l’Afrique Française Libre (AFL), vaste territoire qui permit au général de Gaulle de renforcer son autorité au regard des Anglais, en s’appuyant sur une base territoriale et une capitale provisoire : Brazzaville. Vis-à-vis de nos Alliés britanniques c’était indispensable.
Le général de Gaulle n’était plus seulement un invité à Londres : il apportait dès lors les richesses de l’AFL, comme contribution à la guerre, richesses minières : or, tantale, molybdène, caoutchouc de lianes et des plantations d’hévéas, tous produits que la Grande-Bretagne nous acheta…
L’AFL était aussi une réserve d’hommes, tirailleurs et français mobilisés. La population indigène était restée calme et fidèle, et le général “Digol” jouissait d’une immense popularité.
Quinze bataillons allaient être formés en AFL et les cinq premiers partirent rapidement en Érythrée, en Abyssinie, au Moyen-Orient et en Cyrénaïque combattre avec nos Alliés.
Une cinquantaine de médecins des troupes coloniales partirent former le service de santé des unités, de l’ambulance Spears, de l’Ambulance chirurgicale légère (ACL), des groupes sanitaires de brigade et de colonne et y retrouvèrent ceux qui avaient rejoint l’Angleterre, médecins civils et étudiants.
Les deux brigades légères françaises libres formèrent bientôt la 1re Division Française Libre ; les compagnies de découvertes et de combat du général Leclerc formèrent la force L et, bientôt unies à des bataillons de l’armée de l’armistice, la glorieuse 2e DB.
Les Français Libres s’illustrèrent à Keren, Massaouah, Bir-Hakeim, El Alamein, Medenine, Takrouna, Mourzouk, Koufra, Umm El-Arnef, Sebha, Ksar Rhilane, djebel El-Outid, djebel Matleb, djebel Garci.
Unis aux troupes d’Afrique du Nord, renforcés par ceux qui étaient passés par l’Espagne, les régiments français libres débarquèrent en Italie, en Provence, en Normandie, et avec les résistants de la métropole, avec nos Alliés anglais et américains, délivrèrent enfin le sol national et purent, après cinq ans de combat, atteindre Berchtesgaden.
Le nazisme était vaincu.
Un célèbre général laissa échapper un jour en présence de quelques intimes : “Tout ce que j’ai fait de bien, je l’ai fait en désobéissant !”… Dans son livre la Statue intérieure, François Jacob écrit : “Pour faire démarrer la France Libre, il avait fallu sortir de l’armée régulière ; pour continuer la guerre, il fallait y rentrer.“
On aurait pu penser que l’AOF (et peut-être l’AFN) aurait aussi basculé dans la résistance. Les patriotes étaient nombreux dans cette immense étendue. Mais l’administration est fortement hiérarchisée.
Le militaire est formé à une discipline rigoureuse et à l’obéissance aveugle au nom de l’exécution de la mission. Il répugne à prendre certaines initiatives et sait qu’il est soumis à l’autorité civile, qui ne manque pas de lui rappeler. Le chef militaire attend l’ordre du chef civil. Mais en AOF le chef c’était Boisson, qui allait faire tirer sur les parlementaires gaullistes. Ainsi, il allait conserver sa place à Dakar, bien qu’amputée dès le 29 août de toute autorité sur l’AFL.
On peut rêver : si l’AOF et l’AFN s’étaient dressées dans un grand mouvement de rejet de l’infamant armistice et avaient rejoint de Gaulle, la guerre aurait peut-être été écourtée, la France Libre aurait eu plus de poids et aurait été plus rapidement entendue par nos Alliés. En AEF, nous venons de le voir, le ralliement ne s’est pas fait sans heurts. Il y avait aussi des collaborateurs insensibles aux arguments de ceux qui avaient fait le choix d’une réaction courageuse à la défaite.
L’AEF a repris le combat avec ses soldats africains, deux mois après la défaite. Elle a mérité de laisser son nom dans l’histoire de la France.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 288, 4e trimestre 1994.