Adolphe Sicé 1885-1957
GO. LH. – CL. – CG.
Corps de santé FFL
Parmi ceux que l’honneur, le bon sens, l’intérêt de la patrie poussèrent de bonne heure à rejoindre la France Libre, les médecins furent nombreux. Et particulièrement les médecins coloniaux, véritables missionnaires de la santé, qui portaient haut et loin dans nos territoires d’outre-mer, l’œuvre civilisatrice de la France. Parmi eux, on retient les noms de François Jacob, futur prix Nobel, de Henri Fruchaud, premier directeur du service de santé, de Guy Chauliac à qui l’on doit un remarquable et exhaustif ouvrage sur « Le Service de Santé de La France Libre ».
La figure emblématique de ces médecins – qui d’ailleurs a l’honneur d’être cité dans les Mémoires du général de Gaulle – est le médecin général inspecteur Adolphe Sicé.
Après une carrière déjà fort honorable, celui-ci est en place et en titre en Afrique lorsque survient la défaite de 1940, qui va l’inciter à prendre la tête des événements.
Adolphe Sicé est né à Saint-Pierre-de-la-Martinique le 23 décembre 1895. Son père y est un haut fonctionnaire colonial. Malheureusement, l’enfant perd très vite sa mère ; c’est sa tante – une femme remarquable qui deviendra la seconde Mme Sicé – qui aura la charge de son éducation.
Élevé dans la fonction publique, il se tourne tout naturellement vers l’École de santé navale et coloniale de Bordeaux, où il soutient sa thèse en 1911. En 1912, il est affecté comme aide major de 2e classe au Maroc, où, sous les ordres du général Gouraud, il participe aux opérations de pacification. Il y gagne sa première blessure et sa première citation. En 1915, il est sur le front français avec le régiment de choc du Maroc. Médecin major, nouvelle blessure, au total quatre citations. Médecin, il est aussi un soldat intrépide, « courageux, direct, combatif », ce qui fut la marque de toute sa vie.
Indisponible en corps de troupe, en 1916 il est envoyé au Gabon où il commence ses travaux sur la maladie du sommeil. Comme ce fut les cas de nombreux chercheurs du service de Santé colonial, il travaille en liaison avec l’Institut Pasteur, la discipline pastorienne donnant une collaboration fructueuse dont le service de santé n’a eu qu’à se louer. Il reste au Gabon jusqu’en 1922, luttant sans relâche contre la trypanosomiase et assurant les soins aux populations indigènes. En 1923, il est nommé à Madagascar, où il sert jusqu’en 1926.
Quand il quitte la Grande Île, c’est pour prendre la direction de l’Institut Pasteur de Brazzaville. De là, en 1932, il sera nommé professeur pour cinq ans à la prestigieuse École de médecine coloniale à Marseille, au Pharo, où il occupe la chaire d’épidémiologie et de prophylaxie des maladies tropicales. En 1937, il devient directeur du service de santé du Soudan, où ses recherches vont surtout porter sur la fièvre jaune et la méningite cérébro-spinale. Avec une logique toute militaire, en 1939, il rentre en métropole pour prendre la direction du service de santé des Alpes et du 15e corps d’armée.
Fort heureusement pour l’avenir, en avril 1940, il retrouve l’Afrique, comme directeur du service de santé de l’Afrique Équatoriale Française. Par chance, il est donc en place quand la défaite de 1940 nous frappe de plein fouet. Dès juin 1940, il va jouer un rôle capital dans le ralliement au général de Gaulle, en rassemblant, grâce à son autorité morale, tous les résistants dans une « ligue patriotique ». Elle est citée bien en valeur dans les Mémoires du Général. Contre les propagandes adverses, « il fut le roc autour duquel se rallièrent et se réconfortèrent les volontés ». Le respect qu’imposaient à tous sa forte personnalité, son intégrité et son désintéressement, unanimement reconnus, furent les garants de la cause affermissant les courages, levant les scrupules, rassurant les timides, ralliant les hésitants. C’est ainsi que le moment venu, sous sa direction, s’opéra à Brazzaville, le ralliement de l’AEF, des territoires du Moyen-Congo et de l’Oubangui, du Tchad et du Cameroun et bientôt du Gabon – où le général Sicé fut de nouveau blessé dans un accident d’avion – cela constitua pour la France Libre l’assise territoriale et militaire dont elle avait besoin pour continuer la lutte avec la puissance nécessaire.
Mais le soldat n’oublie pas le médecin, et tout en rassemblant les bonnes volontés, il fonde à Brazzaville la Revue de Pathologie Exotique.
Succédant au général de Larminat, il est nommé en juillet 1941, haut commissaire de l’Afrique Française Libre. Le 1er août 1941, le général de Gaulle le fait Compagnon de la Libération. Considéré comme « un modèle de noblesse, de désintéressement et de charité », il fut l’un des premiers à recevoir cette illustre distinction. Parmi les praticiens qui étaient sous ses ordres, 40 médecins de bataillon allaient se distinguer au combat en Érythrée, au Fezzan, en Libye, en Tunisie, en Italie et en France.
En 1942, le général de Gaulle le rappelle auprès de lui à Londres, où il sera membre du Conseil de Défense, membre du Conseil de l’ordre de la Libération, inspecteur général du service de santé de la France Libre, chargé de la coordination des Croix-Rouge alliées. La libération lui apporte la joie supplémentaire de retrouver sa famille et ses quatre fils, dont Bernard et Alain figuraient dans les rangs de l’École Militaire des Cadets de la France Libre.
1945, c’est aussi pour Adolphe Sicé l’âge de la retraite. Mais avec un homme de cette qualité exceptionnelle, peut-on parler de retraite ? Quitter le service actif ne veut pas dire le service du pays. La vie continue avec des tâches écrasantes : conseiller de l’Union française, président de la Croix-Rouge française, président de la Société de pathologie exotique, membre de l’Académie des sciences coloniales (où il succède au médecin général Emily, le médecin de Fachoda). En février 1947, l’université de Bâle lui confie une dernière fonction : la chaire de médecine tropicale. Ce qui est remarquable, c’est qu’au milieu d’une vie d’inlassables activités, il a encore trouvé le temps d’enrichir la science de nombreuses publications qui font autorité.
Le médecin général Sicé est décédé à Bâle, le 21 mars 1957, d’une leucémie. Il offre l’exemple d’un grand destin chez un médecin de première qualité, chez un soldat au patriotisme intransigeant, chez un homme de cœur parfaitement dévoué au service de sa patrie et de l’humanité.
Jean de Kearney
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000