11 septembre 2015 In CNRD 2016 By Administrateur
À la manière de Alphonse Daudet
Nouvelles soirées au cercle de Tarascon
(Chant Funèbre pour la Cité de Tarascon)
Dieu soit loué ! J’ai enfin des nouvelles de Tarascon ! Je me demandais, comme vous tous, lionnes gens, si notre illustre ami, le Capitaine Rigaudou, héroïque payeur aux Armées en Syrie, gendre du non moins illustre tarasconnais Tartarin, avait été reçu dignement à son retour au pays natal. Eh bien ! Soyez rassurés ! Lisez plutôt ceci :
Donc, l’intrépide Rigaudou, après l’armistice de Saint-Jean-d’Acre, opta pour Vichy et sacrifia sans hésiter une situation douillette pour rester fidèle au Maréchal. Nous autres Latins, nous sommes ainsi bâtis, que voulez-vous, incapables de penser une minute à notre intérêt personnel quand le devoir commande. Il craignait aussi, disons-le, un retour offensif des Allemands : si les Hitlériens avaient été un tant soit peu plus escagassés en Russie, alors, oh ! alors l’affaire se serait présentée tout autrement. Mais dans les circonstances présentes, à la veille de toucher une bonne retraite, pourquoi se lancer dans les aventures, je vous le demande !
Chaque soir, depuis qu’il est rentré héroïquement à Tarascon, il se rend au Cercle et là, il en raconte, des histoires, des histoires à faire frémir les Costecalde et les Bézuquet.
– À Alep, où j’étais, et qui est une ville grande, tenez, comme Marseille, il y a eu des bombardements terribles… Chaque nuit, des immeubles entiers s’écroulaient avec un bruit, ah ! mes amis, un bruit… Je pouvais faire mes comptes, mettre mes livres à jour à la lueur des obus… Mirone, ma pauvre femme, vous savez comme elle est courageuse ! Tout le portrait de son père, notre grand Tartarin ! Eh bien ! à chaque éclatement, elle avait une crise de nerfs, pas moins !
Il s’arrête pour reprendre souffle et, ses gros sourcils froncés, il foudroie l’auditoire en gonflant ses joues avec une moue effrayante.
– Nous avons tenu plus d’une semaine sous les bombes. Si vous n’avez pas entendu Rigaudou prononcer ce mot-là, vous n’avez rien entendu. Dans sa bouche, ce n’est plus un mot, c’est un pétard ! c’est un fracas !) Jusqu’à l’assaut final des Australiens, avec des milliers de chars…
« Des brutes, ces Australiens. Ils chargent tout nus, comme des nègres, avec une grenade dans chaque main et un poignard entre les dents… Autant dire qu’ils ne connaissent rien aux règles de la guerre. Moi, en, voyant ça, oui, moi Rigaudou, j’avoue que j’ai eu peur… Heureusement que je pensais à notre bon Maréchal. Sa pensée me soutenait, pas moins !
Alors, grisé par ses propres paroles, l’intrépide Rigaudou ôte ses lunettes, tandis qu’il les essuie, on voit rouler ses gros yeux globuleux qu’il essaye de rendre terribles, et il conclut simplement :
– Dire qu’on était si tranquilles en Syrie avant toutes ces histoires… Ces cochons de Gaullistes… Ils ne pouvaient donc pas nous laisser finir la guerre en paix.
(Extrait de : Nouvelles aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon).