La 1re DFL au massif de l’Authion
Derniers combats, dernière victoire
Par Albert Pivette, ancien du BIM et du BIMP
Nous quittons le Rhin début mars 1945, stationnons une huitaine de jours à Schervillers, partons vers le sud et nous nous retrouvons à Juan-les-Pins.
Nous ne prendrons donc pas le chemin de l’Allemagne, cette satisfaction ne nous sera pas accordée. Une autre tâche nous attend.
Après le froid et la neige de l’Alsace, nous retrouvons le bon soleil du Midi.
Réorganisation de la compagnie et préparatifs en vue des futurs combats, car ce n’est par pour être des estivants sur la Côte d’Azur que nous avons été dirigés ici.
La guerre n’est pas terminée. Un tiers du département des Alpes-Maritimes est encore occupé par l’ennemi et ce qu’il tient est important, ce sont toutes les fortifications françaises des Alpes qu’il a encore renforcées et truffées de mines.
Après la guerre du désert, celle de la neige et de la boue dans le froid de l’hiver, il manque celle des montagnes et ça ne va pas être du gâteau !
Ma compagnie stationne à Levins. Je suis nommé adjudant.
Au PC de la compagnie, je reçois un jour un commandant assez âgé, du service de l’intendance et qui demande à parler au capitaine, je l’accompagne et il s’explique :
– Vous avez bien dans votre compagnie le soldat X…
– Oui, répond le capitaine.
– Eh bien c’est mon fils. Il s’est engagé sans me le demander peu après le débarquement de Provence et n’a jamais donné de ses nouvelles. C’est seulement maintenant que j’ai pu le retrouver… S’il veut faire une carrière militaire, il la fera, mais d’abord il faut qu’il aille à l’école, il n’a que 16 ans…
Le jour même, le père est reparti avec son fils.
Ce petit gars faisait partie de ma section depuis mon arrivée à la compagnie où il servait comme agent de transmission. Il faisait correctement son travail et donnait satisfaction. Il devait bien paraître un peu jeune lors de son engagement, il avait donné une fausse date de naissance et pour les candidats de 18 ans il n’était pas demandé d’autorisation paternelle, mais il n’avait pas, et de loin, ses 18 ans.
Il était courageux, pas froussard, seulement un peu flemmard. Je me souviens d’un savon que je lui ai passé devant Belfort, alors que nous étions sous le feu de l’artillerie et qu’il avait négligé de se faire un abri de protection. « Les brancardiers ne sont pas faits pour évacuer les blessés pour cause de flemmardise », lui avais-je dit.
Quatre années plus tard, je devais retrouver mon petit soldat en Indochine, il avait remis ça et il était sergent.
Nous quittons Levins le 9 avril et le « gâteau » qui nous est destiné à pour nom « Authion » et sera dur à digérer.
C’est un massif montagneux dont certains sommets dépassent 2 000 mètres, entouré de précipices, comprenant de nombreux ouvrages fortifiés : Fort de la Forca, Fort de Millefourches, Redoutes des Trois Communes, Plan Caval, Cabanes Vieilles, etc.
C’est au BIMP et au Bataillon de Marche n° 11 que revient la charge d’ouvrir le bal.
Le capitaine Golfier, qui est allé en reconnaissance, nous fait connaître le plan d’attaque. Ce sera dur…
Le 10 avril au matin, nous commençons l’escalade du massif. Dure marche d’approche, chargés comme nous le sommes, avec armes, équipements, munitions.
L’objectif de la compagnie est la crête du Vaiercourt, à proximité du camp de Cabanes Vieilles. Deux assauts sont donnés sans résultat. Les pertes sont sensibles, trois officiers de la compagnie sont blessés.
Les abords de la position à enlever sont truffés de mines antipersonnels et, de leurs emplacements de combat, bien protégés, les Allemands nous voient venir et nous arrosent de grenades à manche qu’ils lancent très loin en contre-bas et nous mitraillent.
L’objectif ne peut être enlevé. Pour passer la nuit, nous revenons en arrière, hors de portée des grenades, à près de 2 000 mètres d’altitude, nous passons la nuit en grelottant.
Le 11 avril au matin, nous remettons ça. L’ensemble des positions ennemies a commencé à être entamé par les compagnies voisines et notre objectif, menacé d’être pris à revers, peut enfin être enlevé par un nouvel assaut.
Nous saurons par la suite que cette position n’était tenue que par un très faible effectif allemand mais qui, grâce aux mines et à la situation qui nous dominait, a tenu tête et repoussé les deux premiers assauts.
Dans cette affaire, la compagnie a eu 40 tués ou blessés et pour l’ensemble du bataillon le total des pertes est de 147, dont 52 morts.
C’est cher payé ! …
Parmi les blessés de la compagnie, Hochtetter, atteint par une balle à la base de la nuque. Je le revois, quand venant d’être atteint, il s’en allait seul vers le poste de secours, en lançant en direction de ses compatriotes et adversaires, en allemand, toutes les injures qu’il pouvait dire. Il s’en tirera, mais il s’en fallait de peu. À peine guéri, la fin de la guerre étant intervenue, il s’en ira en Allemagne pour « petit compte à régler là-bas ».
Pour certains, ce sera le premier et le dernier combat… À moins d’un mois de la victoire.
Je cite entre autres, les deux frères Even, ce bon camarade qu’était le sergent-chef Villemin, vétéran de toutes les campagnes du BIM, en dernier lieu comptable d’une compagnie et qui avait demandé et obtenu, pour prouver qu’il n’était pas embusqué, de participer à l’attaque et où il devait laisser la vie.
De même, Pécro, venu de l’Assistance publique et qui, pointeur à un canon de 75 mm à Bir-Hakeim, avait détruit cinq chars ennemis.
Lors de la remise de la croix de la Libération au BIMP, celui-ci n’ayant plus droit à son drapeau d’origine qui lui avait été remis à Ismaïlia en 1940, ce sera sur le calot de Pécro que le général de Gaulle épinglera l’illustre médaille. Ces derniers combats devaient valoir au bataillon sa quatrième citation à l’ordre de l’armée et pour moi une troisième citation, à l’ordre de la division cette fois.
La tâche de la compagnie est terminée, elle n’a d’ailleurs plus guère les moyens de poursuivre, mais toutes les fortifications ne sont pas enlevées. Il faut l’intervention des chars des fusiliers marins, réussissant à grimper presque au sommet, celle de l’artillerie tirant des obus au phosphore et l’utilisation des lance-flammes pour en avoir raison.
273 tués, 644 blessés, tel est le total des pertes de la 1re DFL au cours de ces derniers combats.
Le 12 avril, l’ensemble du massif de l’Authion et toutes ses fortifications sont à nous.
Le 14 avril, nous revenons à Levins pour réorganisation. Nous y restons jusqu’au 27 avril et nous reprenons la route des Alpes en suivant la vallée de la Tinée. Nous cantonnons à Isola.
Pour la 1re DFL, il s’agit de passer la frontière franco-italienne. Pour cela, franchir les Alpes à 2 300 mètres d’altitude, au col de la Lombarde en utilisant un sentier muletier que le génie de la division, par un travail surhumain, arrivera à transformer en chemin utilisable par les Jeep et les tracteurs d’artillerie.
Le 28 avril au matin, je pars à bord d’une Jeep pour préparer le cantonnement de la compagnie qui entreprend à pied la montée vers le col de la Lombarde et qui doit passer la nuit au camp de Barrache, en territoire italien.
Ce camp, composé de quelques baraques en bois, utilisé précédemment par l’armée italienne, était abandonné dans un état de saleté incroyable. Arrivé sur place, j’entreprends le nettoyage, du moins l’espace indispensable pour que la compagnie puisse y passer la nuit.
Quand, dans la soirée, la compagnie arrive, exténuée par l’ascension, le nettoyage est terminé.
La nuit venue, pour se réchauffer car le froid est vif à cette altitude, et un dépôt de bois ayant été découvert, un brasier monstre, digne des plus beaux feux de la Saint-Jean, est allumé.
Le lendemain matin, 29 avril, nous reprenons l’ascension du col que nous atteignons. Surprise. Alors que le versant côté France est sans neige, le versant italien en est recouvert d’une épaisseur impressionnante. C’est alors la descente avec de la neige presque jusqu’aux genoux.
Nous atteignons la vallée de la Stura, affluent du Po, que nous suivons, direction Turin.
D’ennemis, il n’y en a plus, c’est pour lui la retraite générale et nous n’en reverrons plus.
Il était prévu dans les plans d’atteindre par cette route l’Italie du Nord, le col du Brenner, l’Allemagne du Sud… Peut-être aussi que nous nous bercions d’illusions ?… Par un message lancé d’un avion, le haut commandement donne l’ordre de ne pas dépasser un certain point… Cruelle déception. Rien à faire, l’Allemagne nous reste interdite.
Pour la compagnie, l’avance se termine à Demonte, bourgade située dans la vallée de la Stura que nous avons suivie et que nous atteignons le 1er mai. Ce sera notre lieu de cantonnement le plus avancé. Nous allons y rester un mois et nous occupons une école.
En ce qui me concerne, je suis logé chez l’habitant, j’ai une chambre chez un docteur qui m’a remis une clef. Je peux rentrer quand il me plait mais il n’y a aucune relation entre nous pendant tout mon séjour. Il est vrai que pour lui peutêtre, je suis « l’occupant ».
La situation générale évolue très vite et d’un jour à l’autre on attend la signature de la reddition de l’Allemagne.
Le 7 mai, les cloches de Demonte se mettent à carillonner à toute volée !… Est-ce la fin ?… De peur sans doute de manquer le coche, avec vingt-quatre heures d’avance les Italiens commencent à fêter l’événement ! … « Ils » ont gagné la guerre en retournant encore une fois la veste, ils se sont mis du côté du plus fort.
Cette façon de faire ne manque pas de nous mettre en rogne. Le souvenir du coup de poignard dans le dos n’est pas effacé. Enfin, le 8 mai ; c’est officiel… La guerre est finie.
Pour marquer l’événement, le commandant Magendie fait rassembler tout le bataillon, en armes, sur la plus grande place de la petite ville de Demonte, le fait former en carré, avec trois cartouches par arme. Il nous adresse alors quelques mots, puis donne un commandement : « Pour nos morts » – « Chargez… en joue… feu ».
Six cents armes, le canon pointé en l’air, se déchargent. Trois fois l’opération est répétée. Et trois jours de quartier libre sont accordés.
Lors de la remise du drapeau, le 25 août 1940 à Ismaïlia, le bataillon comptait environ 600 hommes (officiers, sous-officiers, soldats).
Nous comptons ce qui reste, présents, en ce jour mémorable : 42.
Le reste ? Dans les cimetières, disparus, dans les hôpitaux, invalides, malades, réformés et, pour certains, mutés dans d’autres unités.
Quelques jours plus tard, pour fêter l’événement, les sous-officiers reçoivent les officiers à dîner à leur popote.
C’est un dégagement monstre.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 250, 1er trimestre 1985.