Le ralliement de Lucien Feltesse
Avec Saint-Jacques…
Réformé pour blessures de la guerre 1914-1918, je n’étais plus mobilisable en 1939. Je restai donc au poste que j’occupais dans le bureau de courtage en matières grasses et produits coloniaux, 8, place Vendôme.
Mais vint le 10 mai 1940… je me secouai et j’essayai successivement de «rempiler » dans l’armée belge – sans succès – puis d’être accepté dans le « Bataillon de la Mort » créé par Jacques Péricard mais qui, en fait, ne fut jamais réalisé. En compagnie de tout le personnel non mobilisé de mon bureau, j’ai donc « fait » l’exode comme tout le monde et le 18 juin, nous nous trouvions à Labenne, près de Bayonne. Les gardiens de l’usine qui avaient bien voulu mettre les hangars à notre disposition pour quelques jours possédaient un poste de radio autour duquel nous nous agglutinions. C’est là que j’ai entendu l’appel.
Le lendemain matin, ma décision était prise. J’avais entendu dire que des bateaux anglais à Saint-Jean-de-Luz évacuaient les troupes polonaises. Accompagné de mes deux fils qui avaient, à l’époque 17 et 18 ans, j’y partis aussitôt. Je ne comprends pas le polonais mais les vociférations et la brutalité du refus de l’officier qui dirigeait l’opération ne nécessitaient aucun interprète. Pourtant, grâce à la «Registration Card » que j’avais sur moi et qui datait de 1920 lorsque j’habitais Londres, j’avais pu fléchir un officier de marine anglais qui voulait bien me prendre, mais pas mes deux fils. Pas question…
J’ai donc rebroussé chemin. Passer par l’Espagne en emmenant ma famille ? Il fallait un minimum d’argent et je n’en avais pas. Finalement, j’ai pu « remonter » à Paris où je suis arrivé le 18 août.
Et deux ou trois jours après, j’avais la chance de rencontrer mon vieil ami Saint-Jacques, venant de Londres.
Il avait pris pied sur la côte normande dans la nuit du 3 au 4 août (au point précis où, quatre ans plus tard, devait commencer la libération du territoire métropolitain) avec mission de recruter des informateurs et d’organiser la Résistance. Le 23 août, je m’engageais, par son entremise, dans les Forces Françaises Libres, pour la durée de la guerre, sans abandon de nationalité. Je souhaitais que Saint-Jacques puisse me fournir la possibilité de rejoindre Londres et d’être affecté à une unité combattante. Mais il me fit valoir que, vu mon âge, mes blessures, mon inexpérience des moyens et des méthodes de la guerre moderne, je ne serais d’aucune utilité à Londres tandis que ma connaissance des langues, du maniement des codes du commerce, mes relations notamment parmi les anciens combattants me permettraient de rendre des services appréciables et que, de plus, il avait besoin de moi à Paris pour former et diriger un sous-réseau. Je ne pouvais que m’incliner.
L’important, l’essentiel n’étaient-ils pas de « SERVIR » ? À travers Saint-Jacques, le général de Gaulle me permettait de faire mon devoir.
Je ne l’ai jamais oublié.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 156 bis, juin 1965.