Les premiers Français libres morts pour la France, par Pierre Tassin de Saint-Péreuse
Le 17 juin, 12 officiers aviateurs d’active, venant de Meknès, arrivaient à Casablanca, pour rejoindre la France par bateaux. À notre arrivée, nous avions entendu le discours de Pétain annonçant la demande d’armistice. L’effet en fut d’autant plus grand au Maroc que, à travers les mensonges de la presse et de la radio, on ne se rendait absolument pas compte de la situation réelle. Dès lors, il n’est plus question évidemment de départ pour la France. Les journées se passent sur le terrain de Casablanca où les nouvelles les plus contradictoires circulent : c’est l’annonce que la Syrie continue la guerre; ce sont des rumeurs plus ou moins exactes sur la réunion tenue à Alger par les gouverneurs d’Afrique du Nord; c’est une proclamation grandiloquente du général Noguès qui est absolument vide de sens. À ces bruits, s’ajoutent les commentaires des équipages qui, continuellement, se replient de la métropole au Maroc.
Vers le 25 juin, l’un de nous rencontre sur le terrain le colonel commandant l’aviation du Maroc qui termine l’entretien par ces mots : «Ici, on va se faire crever la peau jusqu’au dernier! je vais vous faire affecter dans des formations combattantes».
Toutefois, la situation était assez trouble et déjà un groupe comprenant les capitaines Vendeuvre, Lager, Meyran, les lieutenants Aubertin et de Saint-Péreuse, le sous-lieutenant Weill, était décidé à se battre en Afrique ou ailleurs. À tout hasard, Vendeuvre, le chef du détachement, avait pris contact avec le Group Captain S. de la R.A.F. qui effectuait une mission d’information et aussi avec le colonel I., chef d’état-major de l’aviation polonaise en France, qui venait d’arriver au Maroc.
Tous les soirs, dans le salon de l’hôtel, nous écoutions la T.S.F. et spécialement les postes anglais, c’est là que nous avions entendu l’appel du général de Gaulle. À cette époque, l’élément civil d’Algérie semblait plein d’ardeur pour continuer la lutte.
Le 29 juin, un samedi, nous apprenons deux nouvelles importantes : tout d’abord, les Italiens suspects, détenus jusqu’alors dans des camps ont été relâchés; en second lieu, à partir du 1er juillet, certaines pièces d’avions telles que les magnétos doivent être démontées. Dès lors, il devint évident pour tous que l’Afrique du Nord accepte l’armistice.
Le 29 après-midi, le petit groupe d’officiers dont j’ai mentionné les noms se réunit chez Vendeuvre pour décider de la conduite à tenir.
Pour faciliter la compréhension de ce qui va suivre, il faut préciser que, depuis le 23 juin, par suite de certains départs isolés vers Gibraltar, le commandement de l’aviation avait donné l’ordre que, sur chaque terrain, le poste de garde soit commandé par un officier.
En particulier, le commandant de la base de Casablanca avait décidé que, ce serait à notre détachement de 12 officiers de fournir le chef de poste du terrain de Berechid, situé à 30 kilomètres de Casablanca. Par un heureux concours de circonstances, Berechid était un terrain absolument isolé sur lequel ne stationnait aucune formation de l’armée de l’air. Il y avait sur ce terrain environ 50 Glenn Martin et une vingtaine de Douglas ayant fait leurs essais en vol.
D’autre part, nous avions mis à profit ces dix jours d’inaction forcée à Casablanca pour nous faire «lâcher» sur Glenn Martin, c’est-à-dire que nous avions effectué un décollage et un atterrissage.
J’en reviens à la réunion du 29, chez Vendeuvre, elle dura assez longtemps. Un point toutefois fut assez rapidement acquis : la nécessité de partir dans le plus bref délai pour
le territoire britannique. Restait à décider comment? Deux solutions s’offraient :
– ou bien essayer de s’incorporer, d’accord avec le colonel I. de l’aviation polonaise, dont le concours nous était acquis, aux convois de Polonais qui devaient rejoindre Gibraltar par bateaux dans les premiers jours de juillet;
– ou bien partir pour Gibraltar sur les Glenn de Berechid, dans ce cas le départ devait s’effectuer dans les prochaines 24 heures.
Ce fut à cette dernière solution toute hasardeuse qu’elle fût, mais qui avait l’avantage, si elle échouait, de réserver la première, que nous nous sommes ralliés. Hasardeuse, cette solution l’était en effet car les Glenn nous étaient mal connus et nous n’avions jamais procédé à la mise en route assez compliquée de cet appareil. De plus, d’après les renseignements recueillis, il n’y avait à Gibraltar qu’un terrain de fortune, petit et mauvais.
La date du départ fut fixée au lendemain dimanche 30 juin après midi.
La relève de Berechid s’effectuerait à 11 heures, comme prévu; puis, utilisant la camionnette militaire ramenant la garde descendante, nous nous rendrions à Berechid. Vendeuvre avait désigné pour prendre la garde le 30 le capitaine Meyran.
Nous devions être six à partir, les six dont j’ai parlé, mais dans la soirée du 29 nous décidâmes de nous adjoindre deux officiers, le lieutenant du Plessix et le lieutenant Berger qui, les jours précédents, nous avaient demandé instamment de se joindre à nous si nous avions un moyen de rejoindre le territoire britannique.
Le lieutenant du Plessix, officier de réserve de l’aviation, était, avant-guerre, à l’ambassade de France à Varsovie; mobilisé sur place, il avait pris part à la campagne de Pologne puis avait été affecté à la liaison auprès de l’aviation polonaise en France.
Lieutenant-colonel de Saint-Péreuse
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.