15 février 2017 In Témoignages By Administrateur
Les Volontaires françaises à Londres
On a peu parlé des Volontaires Françaises de la France Libre – de la France Combattante – sans doute pour plusieurs raisons dont la principale pourrait être que le Corps des Volontaires Françaises était partie intégrante de l’armée et que nous autres femmes servions au même titre que les hommes; il n’y avait donc pas lieu de nous traiter à part. Aussi, il faut bien le dire, les Volontaires Françaises avaient le souci de rester modestes afin que leur présence dans l’armée ne fût jamais contestée. Dans cette cavalcade d’héroïsme, de courage, d’endurance qu’a représentée la Résistance intérieure et extérieure, elles ont joyeusement revendiqué leur part de risque et la mort ne les a pas épargnées.
Le 28 Février 1946, le général de Gaulle m’écrivait : « Pour moi, c’est un des souvenirs les plus nobles et les plus réconfortants de cette épopée que celui de ces braves et généreuses femmes et filles qui ont servi pour l’immense majorité d’entre elles d’une manière si pure et si efficace… ». Cet hommage rendu par le Général les situe parfaitement et je voudrais juste ajouter que, malgré l’ardent désir que j’avais de me consacrer à une action plus directe et plus personnelle dans la guerre, le fait d’avoir été appelée à leur commandement s’est révélé être l’un des plus grands honneurs qui m’aient été faits.
Ce corps féminin, créé par Simone Mathieu, était déjà en deuil lorsqu’il me fut confié. Le lieutenant Rya Hackin (1) avait disparu en mer, la volontaire Malaroche avait été tuée en service commandé par un éclat de bombe, sept autres avaient été blessées, la volontaire Gilles se mourait d’un cancer à l’hôpital. Ce n’est pas, cependant, l’histoire des Volontaires Françaises qui nous a été demandée mais seulement quelques souvenirs, souvenirs de joie ou d’angoisse; le rappel de quelques drôleries et de cet affreux cafard qui s’emparait parfois de l’unité parce qu’on était dans une île, bombardée et menacée il est vrai, mais avec la mer qui nous séparait du combat proprement dit.
Ce diable de cafard s’introduisait sournoisement dans le cœur de nos femmes harassées de travail quand elles étaient vraiment trop fatiguées et que le danger paraissait écarté, c’est-à-dire entre la fin de la bataille d’Angleterre et l’apparition des V1. De ce cafard naissaient mauvaise humeur, dissensions dans les chambrées, voire début de crêpage de chignons. Il n’y avait à cela qu’un seul remède qui nous paraissait à Gioia Burdet et à moi un peu cruel, puisqu’il s’agissait d’imposer à ces femmes une fatigue supplémentaire, mais cela réussissait à tous les coups: nous décidions de les passer toutes en revue le lendemain matin à 7 heures.
Il fallait les voir les Volontaires Françaises, dans le petit jour brumeux de Londres sur la place déserte derrière Moncorvo House, briquées, astiquées et si fières de servir. Je les passais en revue, regardant chacune bien droit dans les yeux; les paroles étaient inutiles, on se comprenait. Après quelques mouvements d’ensemble, une courte marche autour du pâté de maisons, elles allaient prendre leur petit déjeuner avant de se rendre à leur travail. L’unité était refaite, le cafard évanoui.
Un soir, c’est le général Monclar qui a eu raison d’une crise de cafard lorsqu’il leur a dit : « Vous vous plaignez d’être planquées ici à Londres mais vous avez déjà eu votre part du danger. Bir-Hakeim, ça a été dur, très dur, affreux, mais cela a duré bien moins longtemps que la bataille d’Angleterre… et puis, on se battait. Vous aussi, vous avez été au feu, de quoi vous plaignez-vous ? »
Les nuits d’alerte, l’équipe de surveillance des toits était parfois composée de très jeunes volontaires ou de nouvelles recrues peu rassurées en abordant cette nouvelle expérience ; alors on évoquait à leur profit quelque autre nuit de bombardement, et leur voix se raffermissait, il ne restait plus que la tâche à remplir. Pour nous rendre efficace, nous avions passé toute une journée chez les pompiers de Londres, étudiant l’art de reconnaître les divers types d’incendie et de les maîtriser à l’aide du matériel petit ou gros qu’on avait mis à notre disposition. Le dernier exercice consistait à entrer seule dans une cabane contenant de la paille à laquelle on mettait le feu. Il fallait l’éteindre à l’aide d’un mince tuyau d’eau qu’à l’extérieur une volontaire alimentait avec une pompe à main dans un seau d’eau. On a bien rigolé ce jour-là – et beaucoup appris.
Il y eut des petites fêtes à Moncorvo, comme cette messe de minuit à laquelle assistèrent le général de Gaulle et sa famille, et qui se termina par une distribution de brioches et de tasses de chocolat. C’était un miracle d’avoir pu faire des brioches à Londres en 1941. Il avait aussi fallu fabriquer une crèche avec les moyens du bord, acheter du vernis à ongles rouge pour peindre la robe de Saint Joseph, puis inonder le tout le bicarbonate de soude ou de quelque chose d’analogue pour figurer la neige. C’est alors qu’une volontaire du Pacifique s’est écriée : « Pourquoi la poudre blanche ? – La neige ! Mais je ne suis jamais allée à la messe de minuit autrement qu’en short à cause de chaleur », Oui, elles venaient de tous les horizons les Volontaires Françaises. Si certaines se trouvaient déjà en Grande-Bretagne, d’autres se sont évadées de France et d’autres encore ont rallié Londres après bien des aventures car elles venaient de loin, des territoires d’outre-mer, de Saint-Pierre et Miquelon, de Haïti, d’Amérique du Sud. Elles étaient de toutes origines et leur rôle était de remplacer dans sa tâche un homme qui pourrait servir dans une unité combattante. Il fallait les instruire, leur donner une formation technique. Ainsi, l’ex-petite bonne d’enfants dut apprendre la photographie pour pouvoir être affectée au B.C.R.A. à la préparation des microfilms destinés à l’armée secrète.
Ce qui me rappelle un rendez-vous mystérieux. Lhomme était venu de France pour obtenir des parachutages sur le Vercors; là-bas, les maquisards ne manquaient pas seulement d’armes mais aussi de chaussures : « Et la neige va tomber d’ici un mois, me dit Rémy, et si l’on ne droppe pas de chaussures lors de la prochaine lune, ils seront pieds nus dans la neige. Les Anglais n’acceptent d’envoyer des avions que si on leur fournit des cartes précises indiquant les lieux de parachutage et le B.C.R.A. n’a personne pour faire le travail. Ils n’ont plus actuellement qu’une seule dessinatrice, l’autre étant à l’hôpital, vous le savez bien, Faites donc un effort, envoyez-nous immédiatement une autre fille sachant dessiner, c’est une question de vie ou de mort pour nos gars. » Hélas, elles n’étaient pas bien nombreuses, les volontaires françaises et, à part les deux dessinatrices affectées au B.C.R.A., aucune ne savait tenir un crayon. Quels jours d’angoisse n’avons-nous passés à cause de ces chaussures pour le Vercors ! On n’a pu les parachuter qu’avec un mois de retard… mais la neige, elle aussi, a été en retard fort heureusement.
Il y a eu des moments gais – et même de terrifiants comme le jour où Jacquelin de la Porte des Vaux a fait une descente à Moncorvo, accompagné de quelques-uns de ses commandos. Il avait la prétention de faire adosser une volontaire au mur du grand hall afin d’y dessiner sa silhouette en lançant son poignard. J’ai eu beaucoup de peine à l’en dissuader. Et puis nous n’avons pas échappé aux foudres de l’administration; ainsi, l’intendance a demandé au colonel Renouard de me mettre aux arrêts pour le motif suivant : avoir demandé une machine à calculer et l’avoir obtenue. Évidemment, il eut été plus naturel que Jeanne Lord, notre officier des détails, passe ses nuits à faire des additions. Inutile de dire que le colonel m’a raconté la chose en riant et que c’en est resté là.
Tout cela, c’était à Londres, mais il y avait aussi des volontaires à l’entraînement à Camberley et ailleurs. Puis, il y eut des départs pour l’A.E.F., pour l’Afrique du Nord, pour la France occupée. Dès le 8 Juin 1944, certaines d’entre elles débarquaient en Normandie.
En 1943, une nouvelle loi promulguée à Alger réunissait sous le même statut militaire, celui de l’Arme Féminine de l’Armée de Terre (AFAT), les 400 Volontaires Françaises qui restaient – après que la marine et l’armée de l’air aient pris les leurs en compte – et les 3.500 femmes qui servaient en Afrique du Nord, et déjà en Italie, mais à titre paramilitaire. Plus tard en France, 10.000 autres femmes provenant surtout de la Résistance et des maquis ont rejoint l’AFAT. Si les Volontaires Françaises se sont trouvées dispersées au gré de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air en France, en Autriche et en Allemagne, en Indochine, elles n’ont jamais cessé d’être – avant tout – des F. F. L.
Hélène Terré
(1) Maria (sobriquet : « Ria ») Hackin, Compagnon de la Libération (N.D.L.R.).
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 187, octobre 1970.