Les différentes formes de répressions de Français Libres

Les différentes formes de répressions de Français Libres

Les différentes formes de répressions de Français Libres

Pour la première fois dans l’histoire du Concours national de la Résistance et de la Déportation, le thème choisi pour l’année scolaire 2018-2019 dépasse le cadre strictement national, qui prévalait jusqu’à présent, pour adopter une dimension européenne manifestement comparatiste. Ainsi doit être compris le pluriel de « répressions », de « déportations » et d’ »espaces ».

Cette extension spatiale au-delà des frontières nationales s’accompagne cependant d’un resserrement au seul continent européen, excluant ainsi l’ensemble des territoires de l’empire colonial français, y compris la Tunisie, pourtant sous occupation germano-italienne entre novembre 1942 et mai 1943. De même, l’extension se limite aux seuls espaces européens passés sous domination allemande entre 1939 et 1945. Les pays neutres et l’essentiel du territoire de l’ex-URSS échappent donc à cette étude. En substance, cela signifie que sont exclus du thème les évadés de France internés en Espagne et les 218 prisonniers de guerre français évadés par l’URSS et internés par les Soviétiques jusqu’à l’invasion allemande.

Car c’est une autre originalité du thème 2018-2019 : il n’entend pas se limiter, comme par le passé, aux formes de répressions et aux déportations exercées par l’Allemagne nazie, ses vassaux et ses satellites, mais inclut, en outre, d’une part, les massacres commis par le NKVD, dans les territoires annexés en 1939-1940, conformément au pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, d’autre part, l’activité répressive du régime, dans les zones conquises ou reconquises par l’Armée rouge entre 1941 et 1945, à l’égard notamment des minorités ethniques accusées par Staline de collaboration avec l’occupant.

Nous nous attacherons plus particulièrement, ici, aux diverses formes de répressions exercées à l’encontre des Français Libres, par les Allemands, les Italiens et les autorités de Vichy, dans l’un ou l’autre des pays soumis au Nouvel ordre européen nazi, en premier lieu desquels – mais pas uniquement – la France. Nous n’oublierons pas, dans cette récapitulation, ceux des Français qui, sans appartenir aux Forces françaises libres, furent engagés dans un combat résistant hors de France. Nous pensons, en premier lieu, aux prisonniers de guerre français évadés vers la Hongrie qui participèrent, au sein du bataillon Foch, au soulèvement national slovaque (août-octobre 1944), puis au combat des partisans slovaques contre les forces allemandes jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge, au printemps 19451.

Les dispositions légales initiales

La convention d’armistice franco-allemande du 22 juin 1940 comporte, à l’article 10, une clause interdisant aux militaires français de combattre au côté des Alliés : « le Gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre l’Allemagne au service d’États avec lesquels l’Allemagne se trouve encore en guerre. Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs ». Des dispositions similaires apparaissent dans la convention d’armistice franco-italienne du 24 juin 1940.

Du côté français, le gouvernement de Bordeaux adopte le 23 juillet 1940 une loi relative à la déchéance de la nationalité à l’égard des Français qui ont quitté la France métropolitaine entre le 10 mai et le 30 juin 1940 puis, le 27 juillet suivant, une loi assimilant à la trahison passible de la peine de mort tout engagement dans la France Libre ; l’article 75 du code pénal est étendu « à tout Français qui, sans l’autorisation du Gouvernement français, prend ou conserve du service dans une armée étrangère ou fait des enrôlements pour une puissance étrangère ».

La répression par contumace

Dès l’été 1940, le général de Gaulle et ceux qui le suivent dans le refus de l’armistice font l’objet de condamnations par contumace de la part de la justice française.

Après son appel à la poursuite du combat, lancé le 18 juin 1940 à la radio de Londres, le général de Gaulle est dégradé le 22 juin suivant et mis à la retraite d’office, par mesure de discipline, par décret du 23 juin 1940, avant d’être condamné le 4 juillet à quatre ans d’emprisonnement et cent francs d’amende par le tribunal militaire de la 17e région, à Toulouse, pour « refus d’obéissance et provocation de militaires à la désobéissance ». Mécontent de cette condamnation jugée trop clémente, le gouvernement organise un second procès devant le tribunal militaire de la 13e région, à Clermont-Ferrand, qui prononce contre lui, le 2 août, la peine de mort, la dégradation militaire et la confiscation de ses biens meubles et immeubles pour « trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l’État, désertion à l’étranger en temps de guerre, sur un territoire en état de guerre et de siège ».

Par la suite, des peines par contumace sont également prononcées contre ceux qui avaient rallié la France Libre. Plusieurs sont le fait de tribunaux métropolitains. La cour martiale de Gannat condamne ainsi à la peine de mort et à la confiscation des biens : le général Catroux et le chef de bataillon Brosset le 10 avril 1941 ; le colonel de Larminat le 10 juillet 1941 ; le capitaine de Hauteclocque – futur maréchal Leclerc –, le capitaine Laurent-Champrosay et le capitaine Bouillon le 11 octobre 1941. De son côté, le tribunal maritime permanent de Toulon condamne : le 28 mai 1941, le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves à 22 ans de travaux forcés ; le 7 avril 1943, Étienne Schlumberger, aux travaux forcés à perpétuité, à la dégradation militaire et la confiscation des biens pour « désertion à l’étranger et trahison » ; le 7 août 1943, Lionel de Marmier à la peine de mort, la dégradation militaire et la confiscation des biens pour trahison. Citons également le tribunal militaire permanent de la 14e division militaire qui condamne, le 25 novembre 1941, trois officiers du 1er régiment de chasseurs alpins à cinq ans d’emprisonnement, la destitution et la confiscation de leurs biens pour « désertion à l’étranger en temps de guerre ». Un tableau récapitulatif daté du 22 juillet 1941, retrouvé dans les archives de l’amirauté française à Vichy, fait état de 124 sanctions concernant les officiers « gaullistes » : 46 de non-activité par retrait d’emploi, 13 de réforme, 23 de révocation, 30 de non-disponibilité, 9 de privation de grade, 3 de condamnation à mort.

En parallèle, le gouvernement de Vichy prononce par décret, en application de la loi du 23 juillet 1940, la déchéance de la nationalité française : du général de Gaulle, du député Pierre-Olivier Lapie, du général Catroux et du colonel de Larminat le 8 décembre 1940 ; de l’amiral Muselier le 2 février 1941 ; de René Cassin, Ève Curie, Georges Thierry d’Argenlieu et vingt-neuf autres personnalités le 4 mai 1941 ; du capitaine de Hauteclocque le 16 juin 1941 ; du gouverneur Louis Bonvin le 4 octobre 1941. Au total, 445 Français ont ainsi été déchus de la nationalité française.

La répression touche également les familles. Dans la lettre qu’il laisse à l’amiral Godfroy, commandant de l’escadre X, basée à Alexandrie, le 10 juillet 1940, avant de rejoindre la France Libre, Honoré d’Estienne d’Orves demande que sa « désertion soit annoncée d’une façon telle que les autorités allemandes, qui contrôlent le lieu de résidence de [son] épouse et de [ses] quatre enfants, n’en soient pas avisées ». De même, de nombreux Français Libres choisissent, pour tenter de protéger les leurs, de s’engager sous un nom d’emprunt : Jean Holley devient « Jacques Hebrard », Pierre Léon « Pierre Orlemont »… Certains optent pour un nom anglo-saxon, à l’image d’Henri Labadie ou Claude Béasse, engagés dans les Forces aériennes françaises libres respectivement sous le nom de « Robert Young » et de « Jim Rammond ». Philippe de Hauteclocque choisit « François Leclerc », un nom courant en Picardie et à Belloy. Raoul Magrin-Vernerey, alias « Ralph Monclar », prend le nom d’un village du Tarn-et-Garonne, d’où sa famille est originaire. D’autres empruntent le nom de leur mère : Louis Daniélou signe du nom de « Clamorgan », Marie-Pierre Kœnig fait la campagne du Gabon sous le nom de « Mutin ». De son côté, Emmanuel d’Harcourt, alias « Amédée d’Ollonde », associe le prénom de son grand-père avec la deuxième partie de son nom complet (« Harcourt-Olonde »).

En octobre 1940, le gouvernement de Vichy supprime les délégations de solde aux familles de combattants engagés dans les Forces françaises libres. De même, après la condamnation à mort par contumace, le 5 juin 1941, de Félix Eboué, gouverneur du Tchad, coupable d’avoir proclamé officiellement le ralliement du territoire à la France Libre le 26 août 1940, sa fille Ginette se voit refuser la prolongation d’une année au lycée pour filles de la Légion d’honneur de Saint-Denis, où elle est pensionnaire.

La tentative d’évasion de France

La condamnation par contumace touche ceux qui sont déjà parvenus à rallier la France Libre. Mais le ralliement constituait en lui-même une épreuve qui pouvait déboucher sur un internement, une déportation en Allemagne, voire la mort. Trois voies s’offraient à ceux qui voulaient poursuivre le combat à l’extérieur : par la mer ou par les airs, en traversant la Manche ou la Méditerranée, à destination de l’Angleterre ou de Gibraltar, par la voie terrestre, en passant par la Suisse ou la péninsule ibérique.

Arraisonné le 7 octobre 1940 alors qu’il tente de rallier Gibraltar sur un yacht parti de Marseille, André Ploix est condamné par le tribunal maritime de Toulon à cinq ans de détention et à la dégradation pour désertion à l’étranger. Interné successivement à Toulon, Saint-Étienne, Gannat et Riom, il est libéré sous condition le 23 juillet 1943 et assigné à résidence à Grenoble, mais s’évade de France par l’Espagne en octobre 1943.

Le 13 février 1941, quinze jeunes gens embarqués à bord d’un cotre à destination de l’Angleterre, le Buhara, tombé en panne au cours de la traversée, sont capturés par une patrouille allemande. Conduits à Guernesey, puis transférés à la prison maritime de Cherbourg (Manche) et livrés à la Gestapo, ils sont incarcérés à Saint-Lô, le 5 mars, et jugés, le 18, par une cour martiale. Le surlendemain, le tribunal militaire allemand FK 622 de Saint-Lô prononce onze condamnations à mort et trois aux travaux forcés à perpétuité. Le plus jeune est condamné à sept ans de prison. Finalement, neuf des condamnations à mort sont commuées en travaux forcés à perpétuité. Le 12 avril 1941, Jean Dorange et Pierre Devouassoud sont fusillés à proximité de l’abbaye de Montebourg, à vingt kilomètres au sud-est de Cherbourg (Manche). Leurs treize compagnons sont déportés en Allemagne, où deux d’entre eux trouvent la mort.

La lutte pour l’Empire

L’un des enjeux principaux, pour les Français Libres, est le ralliement à leur combat de l’empire colonial, réservoir d’hommes pour étoffer leurs rangs, assise territoriale où exercer l’autorité d’un État et point de départ de la reconquête. De son côté, le gouvernement de Bordeaux puis de Vichy s’oppose sans ménagement à toutes les tentatives de ralliement, comme à Dakar, les 23-25 septembre 1940. Les éléments soupçonnés de « gaullisme » font l’objet de poursuites. Certaines affaires particulièrement sensibles sont traitées directement en métropole, devant la cour martiale spéciale de Gannat.

C’est le cas d’Edmond Louveau, administrateur de Haute Côte-d’Ivoire (Haute-Volta, actuel Burkina Faso) qui manifeste le désir de rallier le général de Gaulle après avoir entendu l’appel du 18 juin. Attiré à Dakar par le gouverneur général Boisson, il est arrêté le 12 août 1940, mis en résidence surveillée puis jeté en prison. Après plusieurs mois de détention en Afrique, il est rapatrié en France où il arrive le 24 décembre 1940. Transféré à Gannat (avril 1941), il y attend son procès plusieurs mois, avant d’être condamné, le 11 octobre 1941, aux travaux forcés à perpétuité et à la confiscation de ses biens. Il est également déchu de la Légion d’honneur par décision du grand chancelier le 14 février 1942. Emprisonné à Clermont-Ferrand, Gannat puis Riom, il s’en évade en décembre 1943, quitte la France par l’Espagne et gagne, en février 1944, Alger, où il sert au commissariat aux Colonies.

Il en va de même des Français Libres capturés par les autorités vichystes lors de l’opération franco-britannique sur Dakar (23-25 septembre 1940). Arrêtés le 30 septembre, le chef d’escadron Claude Hettier de Boislambert et l’administrateur des colonies Antoine Bissagnet sont transférés vers la métropole et internés successivement dans diverses prisons de la zone sud, avant d’être regroupés à Gannat. Après neuf mois de détention préventive, les deux hommes sont jugés par la Cour martiale suprême de Gannat : Bissagnet est condamné le 11 juin 1941 à vingt ans de travaux forcés, Boislambert, le 13, à la peine capitale, commuée immédiatement en condamnation aux travaux forcés à perpétuité. Toutefois, les deux hommes parviennent à s’évader de la prison de Gannat le 2 décembre 1942. Après deux mois passés clandestinement en France, Boislambert part pour l’Angleterre, dans la nuit du 14 au 15 janvier 1943, lors d’une opération aérienne dans la région de Clermont-Ferrand. De son côté, Bissagnet passe par l’Espagne, où il est arrêté et interné quelque temps au camp de Miranda, avant de pouvoir rejoindre Londres, en janvier 1943.

Il en va de même des capitaines Henri Gaillet et Jacques Soufflet, du lieutenant Fred Scamaroni, du sous-lieutenant pilote Marcel Sallerin, de l’adjudant-chef Jules Joire, de l’adjudant Adonis Moulènes et de l’officier des équipages Gabriel Pécunia, tous aviateurs qui avaient atterri sur de l’aérodrome de Ouakam, la base aérienne de Dakar, pour tenter de convaincre leurs camarades de rallier la France Libre. Comme Boislambert et Bissagnet, ils sont rapatriés en France, mais eux bénéficient d’un non-lieu, le 8 décembre 1940, et sont libérés dans les semaines qui suivent – à l’exception de Moulènes, qui passe le reste de la guerre en prison.

Nommé inspecteur du commissariat général aux Sports, Jacques Soufflet mène, en parallèle, des actions clandestines dans la Résistance, jusqu’à l’occupation de la zone sud (11 novembre 1942) ; il s’évade alors par l’Espagne et retrouve les Forces aériennes françaises libres en Grande-Bretagne. Pour sa part, Fred Scamaroni trouve, à sa sortie de prison, un emploi de commis au ministère du Ravitaillement, constitue avec des amis le réseau Copernic et prend des contacts en Corse ; Londres le rappelle en décembre 1941. Quant à Jules Joire, il tente à plusieurs reprises de reprendre le combat, avant de parvenir à rejoindre l’Algérie, le 14 mai 1943, en passant par l’Espagne (où il est retenu plusieurs mois à la prison de Pampelune, puis en résidence surveillée) et Gibraltar.

Les prisonniers de guerre

Des Français Libres internés en Allemagne en qualité de prisonniers de guerre ont également été exécutés après l’échec d’une tentative d’évasion. Citons l’exemple de Bernard Scheidhauer (1921-1944), pilote des Forces aériennes françaises libres, obligé, le 18 novembre 1942, au retour d’une mission de mitraillage sur la voie ferrée de Bayeux à Cherbourg, de se poser en panne d’essence sur l’île de Jersey, occupée par les Allemands depuis le 30 juillet 1940. Capturé, il est transféré au Stalag Luft III, à Sagan (Silésie), où sont regroupés des aviateurs alliés.

À la Noël 1942, ceux-ci, emmenés par le Squadron Leader Roger Bushell, décident de creuser un souterrain entre le camp et le bois voisin, en vue d’une évasion massive. Au terme de ce labeur, 220 hommes, estime-t-on, pourront partir. Toutefois, à la suite d’une erreur dans la sortie du tunnel, seuls 76 parviennent à s’échapper, dans la nuit du 24 au 25 mars 1944.

N’ayant pu embarquer à bord du train pour Leipzig, Scheidhauer, Bushell et le Tchèque Arnost Valenta décident de partir à pied vers la Tchécoslovaquie, mais sont repris à Hirschberg. Au total, deux hommes seulement parviennent à échapper à leurs poursuivants et à rejoindre l’Angleterre. Les autres évadés sont regroupés dans une prison à Görlitz. Le 30 mars, les SS font monter 50 d’entre eux dans des camions et les conduisent dans la campagne, au sud de Ramstein-Miesenbach, où ils les abattent à la mitrailleuse, sur ordre de Himmler2.

Les pilotes du Normandie-Niemen

Un même dédain des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre prévaut à l’égard des combattants capturés sur le front de l’Est. Le 8 mai 1943, le maréchal Keitel, chef du grand état-major de l’armée allemande, signe un ordre stipulant que les pilotes français du groupe de chasse Normandie – le futur régiment Normandie-Niemen – pris vivants devaient être passés par les armes.

Avant même cet ordre, on suppose que Raymond Derville, abattu le 13 avril 1943 à bord de son Yak1b dans la région de Spas-Demensk, à quinze kilomètres du front, a été fait prisonnier par les Allemands et fusillé.

À l’inverse, Yves Mahé, touché par la DCA allemande dans la même région le 7 mai 1943, est capturé après avoir tenté de rejoindre le front et interné au camp de Smolensk. Évadé avec un médecin russe le 28 mai suivant, il est repris à une dizaine de kilomètres du front, après avoir parcouru 400 kilomètres. Emprisonné au camp de Lodz, en Pologne, il tente vainement de s’échapper à quatre reprises, avant d’être évacué, en juillet 1944, vers le camp international de Mühlberg. Là, apprenant que le tribunal de la Luftwaffe, à Dresde, l’avait condamné à mort, le 15 août 1944, pour tentatives d’évasions répétées, il s’échappe de sa cellule et, faute de pouvoir franchir l’enceinte du camp, y demeure clandestinement pendant neuf mois, jusqu’à l’arrivée des armées alliées, le 23 avril 1945.

Les commandos

De même, le 18 octobre 1942, Hitler émet un ordre secret – le Kommandobefehl (« ordre commando ») – prévoyant que tout commando allié fait prisonnier devait être immédiatement remis au Sipo-SD, le service de renseignement de la SS, et exécuté.

Quelques mois avant l’adoption de cet ordre, une équipe de parachutistes du Special Air Service emmenée par le commandant Georges Bergé, mène un raid sur l’aérodrome d’Héraklion, au cours duquel vingt et un avions ennemis ont été détruits. Au retour de la mission, le commando est cerné par les Allemands, près de Vassilika Anoghia, le 19 juin 1942. Pierre Léostic est tué dans le combat. Bergé, le sergent Jacques Mouhot et le caporal Jack Sibard sont capturés. Seuls le major George Jellicoe et le lieutenant Costas Pétrakis parviennent à leur échapper et rembarqueront à bord du sous-marin qui les attendait. Conduits à la Luftkommandantur d’Héraklion, les prisonniers doivent d’abord passer devant un tribunal et être fusillés comme francs-tireurs, mais les Allemands décident finalement de les traiter comme des prisonniers de guerre – nous sommes peu après la bataille de Bir Hakeim. Extraits de leur cachot le 2 juillet, les trois hommes sont conduits en avion à Brindisi, puis acheminés en train dans un camp de prisonniers, en Allemagne. Interné à l’Oflag XC à Lübeck, Bergé y organise un groupe d’évasion. Transféré vers la forteresse de Colditz (Oflag IVC) en janvier 1943, il est libéré au printemps 1945. De son côté, Sibard s’évade en février 1943, passe en Espagne le 17 du mois et rejoint la Grande-Bretagne le 3 mai. Quant à Mouhot, il parvient à s’évader après trois échecs et arrive en Angleterre le 11 septembre 1943, en passant par les Pays-Bas, la Belgique, la France, l’Espagne et Gibraltar.

A contrario, le commandant Charles Trépel et ses cinq hommes du 1er bataillon de fusiliers marins commandos, surpris par l’ennemi peu après leur débarquement sur la plage de Wassenaar (Pays-Bas) dans la nuit du 27 au 28 février 1944, sont tous tués sur place. Lorsque les corps sont retrouvés, en juin 1945, l’enquête permet d’établir que l’un d’eux s’est noyé et que les cinq autres sont morts de blessures, peut-être après avoir été torturés .

Dans le contexte des combats de la Libération, les deux attitudes coexistent : plusieurs commandos SAS sont exécutés ou massacrés, d’autres sont traités comme des prisonniers de guerre. Dans un contexte d’extrême violence, on relève de nombreuses exécutions sommaires. Dès la nuit du 5 au 6 juin 1944, des sticks du 4e SAS (2e RCP) sont envoyés sur les Côtes-du-Nord et le Morbihan pour couvrir le débarquement allié en Normandie. Parachuté dans le secteur de Plumelec, le stick du capitaine Pierre Marienne est repéré par les Allemands qui occupent le moulin de La Grée, dont ils se servent de poste d’observation, et pourchassé par un détachement composé de troupes de l’Est. Blessé à l’épaule et à la cuisse durant les combats qui suivent, le caporal Émile Bouétard est achevé d’une rafale de fusil-mitrailleur. En revanche, les trois opérateurs-radios qui étaient avec lui, Louis Jourdan, Pierre Étrich et Maurice Sauvé, sont épargnés, lors de leur capture, et traités comme des prisonniers de guerre.

Après les combats du maquis de Saint-Marcel, qui opposent, le 18 juin 1944, parachutistes SAS et combattants des Forces françaises de l’intérieur (FFI) aux forces allemandes, une traque sans pitié est lancée par la Feldgendarmerie, la Wehrmacht, appuyée par des détachements de soldats russes, géorgiens et ukrainiens, les agents de l’Abwher (service de renseignements de la Wehrmacht) et du SD (Sicherheitsdienst, le service de sûreté de la SS), ainsi que les agents français de la FAT 354 (Front Aufklärung Truppe), emmenés par Maurice Zeller, et les miliciens bretons du Bezen Perrot.

Le 12 juillet à l’aube, un détachement d’agents du SD et d’agents français de la FAT 354 surprend un groupe de sept parachutistes SAS et de huit FFI dans leur sommeil. Contraints de s’allonger sur le sol, le capitaine Pierre Marienne, le lieutenant François Martin, les sergents Jean Marty et Jacques Mendès-Caldas, Albert Bletterie, Fernand Beaujean et Louis Hanicq sont exécutés sur l’aire de battage de la ferme, de même que les huit FFI et trois cultivateurs de Kérihuel accusés de les avoir hébergés.

La veille, devant l’avance des troupes américaines, le chef de la Gestapo de Vannes a donné l’ordre au colonel Reese, officier de la Wehrmacht, d’exécuter 52 détenus de la prison surpeuplée de Vannes. Le major Esser, chef de bataillon de la défense côtière, chargé d’exécuter cet ordre, fait transférer 50 détenus – combattants des FFI et des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) pour la plupart – vers le Fort Penthièvre. Avec eux, figurent deux parachutistes du SAS, l’aspirant Arsène Juillard et le sergent Victor Mahé, blessés le 15 juin et hospitalisés à la clinique des Augustines de Malestroit (Morbihan) sous de faux noms, comme victimes du bombardement de Ploërmel, mais démasqués par un médecin militaire allemand et arrêtés le 23 juin. Le 13 juillet, les 52 hommes sont conduits deux par deux devant les pelotons d’exécution, composés de SS géorgiens sous les ordres du lieutenant Wassilenko. Leurs corps, dont certains agonisants, sont ensuite jetés dans une galerie souterraine d’une trentaine de mètres, au bout d’un tunnel, et enfermés derrière trois murs distants de trois mètres les uns des autres et séparés par de la terre.

Le même jour, les lieutenants Jean Fleuriot, Alain Calloc’h de Kerillis– fils d’Henri de Kerillis – et François Tisné, apprenant l’exécution de Marienne, qui avait avec lui un cahier localisant les caches des parachutistes SAS, décident de se rendre à la ferme d’Armand Kerhervé, à Kerlanvaux-en-Trédion (Morbihan), pour y exfiltrer les parachutistes SAS blessés qui y étaient soignés, et les transférer dans un autre lieu plus sûr, mais ils sont surpris à l’entrée de Trédion par une patrouille allemande. Tisné est tué, Cauvin blessé et capturé. Malgré leurs blessures, Fleuriot et de Kerillis parviennent à se replier et à rejoindre la ferme de Kerlanvaux.

Le lendemain, des soldats allemands et des agents français du FAT 354 investissent la ferme d’Armand Kerhervé. Six parachutistes sont tués lors de l’assaut : Joseph Collobert, Francis Decrept, Joseph Galliou, Frederick Harbinson, Paul Miot et Jean Perrin. Armand Kerhervé est frappé à mort et son corps jeté dans le brasier de la ferme incendiée, avec ceux de quatre parachutistes. Fleuriot et de Kerillis, blessés, sont capturés et emmenés à la prison de Pontivy, dans la cave de l’école supérieure de jeunes filles, où ils sont torturés par le SD, dans l’espoir d’obtenir d’eux la localisation du commandant Bourgoin.

Le 18 juillet 1944, après plusieurs jours de tortures, Fleuriot et de Kerillis sont embarqués dans un camion bâché avec trois autres parachutistes SAS (André Cauvin, Louis Claustre et Jean Pessis) et neuf FFI, et emmenés près des ruines du château de Rimaison, situées à quelques centaines de mètres du village de Bieuzy-les-Eaux. Là, menottés, les dix-huit hommes sont extraits du camion et conduits au bout d’un sentier, au bord d’un ruisseau, à l’écart de la RN 156, où ils sont abattus par Ferdinand Fischer et Hermann Wenzel, deux agents du SD de Pontivy ; leurs cadavres sont abandonnés sur place.

De même, lors de l’opération Amherst (4-20 avril 1945), aux Pays-Bas, le sous-lieutenant Jean Valayer, le sergent Jean-Jacques Doal et Ibrahim Azem prennent position, peu après leur parachutage dans le faubourg d’Assen, dans une grange, où ils sont rejoints par Marcel Lévêque et Robert Spina (du stick Rouan), Pierre Bévalot (du stick Boulon) et Jean-Pierre Munch (du stick Picard). À l’aube du 9 avril, la grange est encerclée par des Allemands. Les parachutistes parvenant à contenir l’assaut, l’ennemi décide de mettre le feu au bâtiment. Seul Doal, blessé et à court de munition, parvient à échapper à ses poursuivants.

Agents du BCRA et des réseaux

Toutefois, c’est sur l’ »armée de ombres » que la répression s’est abattue avec le plus de systématicité. Parmi ces combattants de la lutte clandestine, ont été reconnus « FFL » les agents du 2e Bureau (1er juillet 1940), du Service de renseignements (15 avril 1941), du Bureau central de renseignements et d’action militaire (17 janvier 1942) puis du Bureau central de renseignements et d’action (1er septembre 1942) envoyés en France, d’abord pour mener des missions de renseignements, puis pour y constituer des réseaux de renseignements, d’action et d’évasion, de même que les agents des susdits réseaux, à condition que leur engagement soit antérieur au 1er août 1943. Le commissariat à l’Intérieur a également envoyé des agents, à l’image d’Yvon Morandat. Citons, en outre, les services de la Délégation générale constitués par Jean Moulin, dans son œuvre d’unification de la Résistance intérieure .

Leur passage en France s’opère par voie maritime ou aérienne. La première solution est une traversée de la Manche sur un bateau de pêche, suivie d’un débarquement sur une plage isolée. C’est ainsi que Robert Alaterre et Jean Le Roux, fondateurs du réseau Johnny, partis de Falmouth à bord du langoustier Grec, débarquent à Lampaul-Ploudalmézeau le 19 mars 1941 à 22h30. D’autres sont parachutés au cours d’opérations « blind » (en « aveugle »), dans un secteur inhabité, sur un terrain non préparé et sans aucun « comité de réception ». C’est de cette façon que Jean Moulin retrouve le sol français, dans les Alpilles, le 2 janvier 1942 à 3h30 du matin.

Puis des liaisons maritimes et aériennes sont organisées entre les services de Londres et les réseaux en France. La première opération maritime réussie a lieu en juillet 1941 ; le sous-marin britannique HMS Sea Lion rencontre le bateau de pêche Vincent-Michelle à une vingtaine de milles nautiques au sud de l’archipel des Glénan, au sud du Finistère3. De même, des équipes sont constituées pour assurer l’accueil des parachutés, et des pistes d’atterrissage prévues pour les avions Hudson-Lysander, qui transportent hommes et courriers.

Toutefois, ces opérations demeurent extrêmement risquées. Ainsi, le soir du 2 février 1944, un bateau de pêche, le Jouet des flots, embarque à son bord 29 passagers à la Pointe de Penmarch (Finistère), à destination de l’Angleterre, mais s’échoue à l’entrée de la baie d’Audierne, à cause du mauvais temps. Pierre Brossolette, adjoint du colonel Passy à la tête du BCRA, et Émile Bollaert, délégué général du Comité français de la Libération nationale, qui figuraient parmi les passagers et ont trouvé refuge à Plogoff chez un résistant local, sont arrêtés le lendemain sur la route d’Audierne.

Les liaisons radio représentent, elles aussi, un point particulièrement sensible. La première communication avec Londres est établie par d’Estienne d’Orves le 25 décembre 1940 ; quatre messages sont transmis entre le 25 et le 29 décembre. La sécurité exige alors que l’opérateur radio – le « pianiste » – n’émette pas plus de deux fois du même lieu à moins de quinze jours d’intervalle, pendant une durée d’une demi-heure maximum. Or, les premiers postes-émetteurs britanniques sont encombrants, fragiles et peu nombreux. La correspondance s’accumulant, ces règles ne sont pas toujours respectées – loin s’en faut. De plus, les Allemands disposent de centres d’écoutes, à Brest, Munich et Berlin, capables de délimiter les émissions dans un triangle de 20 km de côté ; deux détecteurs goniométriques permettent ensuite de localiser exactement l’émetteur. À partir de 1942, sont déployées les voitures gonios, qui font des dégâts importants. Résultat : les trois quarts des radios envoyés par la France Libre sont neutralisés entre 1941 et 1942. Les pertes diminuent de 50% au premier semestre 1943 et de 25% dans l’année qui suit. Maurice de Cheveigné, radio de Raymond Fassin, délégué militaire régional dans la région A, est ainsi arrêté à Lille le 4 avril 1944 par la Geheime Feldpolizei.

Le 23 mai 1941, d’Estienne d’Orves, arrêté en janvier à la suite d’une trahison, est condamné à mort avec deux de ses camarades du réseau Nemrod, Maurice Barlier et Jean Doornik. Les trois hommes sont fusillés le 29 août suivant ; des avis d’exécution bilingues sont aussitôt placardés pour annoncer la nouvelle. En parallèle à ces exécutions spectaculaires, le commandement militaire allemand entreprend, à partir du printemps 1941, de déporter dans les prisons du Reich les résistants condamnés à de lourdes peines ou visés pour des actes touchant à la sécurité des troupes allemandes. En décembre 1941, Keitel promulgue le décret Nacht und Nebel, qui prévoit la déportation des auteurs d’actes hostiles.

Au total, on estime que 222 agents P1 et P2 sont morts durant la guerre et que 600 Français Libres ont été arrêtés en France par les Allemands. Sur ce dernier nombre, la moitié ont été déportés, et une soixantaine ont péri dans les camps.

Les maquisards

Enfin, nous rencontrons quelques Français Libres parmi les résistants tués par les Allemands dans les combats des maquis.

Citons d’abord Bernard Savary (1920-1944). Évadé du Liban, avec ses camarades de la compagnie du capitaine Folliot, le 27 juin 1940, et engagé dans les rangs du 1er bataillon d’infanterie de marine, il est fait prisonnier lors de la sortie de Bir Hakeim, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, et embarqué sur le Nino Bixio, à destination de l’Italie. Au large des côtes grecques, le cargo est torpillé, mais peut être remorqué jusqu’au port de Pylos, et les survivants sont transférés sur un nouveau bâtiment qui les conduit à Bari. Là, ils sont montés dans un train pour Bergame, où ils sont internés jusqu’en septembre 1943. Lors de la capitulation italienne, le camp est ouvert, et Savary tente de rejoindre la Suisse. Toutefois, les Allemands le reprennent et l’emmènent au Stalag IV B, à Mühlberg-sur-Elbe, près de Dresde.

À l’été 1944, envoyé en kommando dans une carrière à Halle-sur-Saale, Savary en profite pour s’évader et traverse l’Allemagne en vélo jusqu’à la frontière, qu’il traverse probablement vers Nancy. Il gagne alors Charmes (Meurthe-et-Moselle), où il intègre le maquis local, qui constitue une section du Groupe Lorraine 42, sous le commandement du colonel Grandval, commandant de la Région C ; il devient chef de section, sous le pseudonyme de « Leleu ». Le 29 août, les sections du GL42 sont transférées au château du Ménil-Mitry. Le 3 septembre au matin, le village est attaqué par un détachement allemand de 250 hommes appuyé par deux chenillettes légères armées de mitrailleuses et deux chars équipés de canons de 88. Après un dur combat, les Allemands parviennent à être repoussés, mais Bernard Savary est tué4.

De son côté, Raymond Jabin (1915-1943) est un sergent pilote évadé avec d’autres camarades du centre d’essai de Cazaux, en Gironde, à bord d’un Amiot 354, le 24 juin 1940. Engagé dans les Forces aériennes françaises libres, il sert au groupe réservé de bombardement n° 1 (GRB1), constitué à Fort-Lamy le 4 décembre 1940, avant de devenir le groupe de bombardement Lorraine, avec lequel il participe à des missions contre les forces germano-italiennes de Rommel, en Libye. Le 28 novembre 1941, son appareil est abattu par un Messerschmitt Bf 109 E7, non loin de Gazala (Cyrénaïque). L’avion parvient à faire un atterrissage forcé, mais l’équipage est capturé par les Italiens. Transporté en avion à l’hôpital militaire de Piacenza (Italie), l’adjudant pilote Jabin est soigné, jusqu’au début de 1943, par le docteur Giuseppe Zaninoni, un médecin antifasciste, avant d’être interné au camp de prisonniers n° 62 de Taleggio, au nord de Milan.

En septembre 1943, Jabin s’évade du camp et intègre un maquis de partisans italiens dans les Préalpes bergamasques, sous le pseudonyme de « Marcel ». Le 4 décembre 1943, une formation d’Allemands et de fascistes italiens encercle le maquis. Raymond Jabin est fait prisonnier et fusillé. Son corps est inhumé dans le cimetière de Pizzino (Lombardie), avant d’être transféré, après-guerre, à Jarnages (Creuse)5.

Évaluation chiffrée

Au total, d’après les évaluations de Jean-François Muracciole, 1 410 Français Libres ont été emprisonnés, déportés ou exécutés. À partir de ce chiffre, et en se basant sur l’étude de 325 cas qui ont pu être reconstitués, il a établi une estimation des différentes formes de répression. D’après cette estimation, 520 Français Libres ont été emprisonnés par Vichy, 10 exécutés par Vichy, 615 emprisonnés et/ou déportés par les Allemands, 225 exécutés par les Allemands, 40 emprisonnés par d’autres puissances (Japon, Italie, Portugal).

1. Miroslaw Kovarik, La France militaire dans le soulèvement slovaque de 1944, Paris, L’Harmattan, 2004.
2. Yves Donjon, « Itinéraire tragique d’un pilote français libre de la RAF », Fondation de la France Libre, n° 17, septembre 2005, p. 20-24.
3. Emmanuel Couanault, Des agents ordinaires : Le Réseau « Johnny », 1940-1943, Locus solus, 2016.
4. Florence Roumeguère, L’Odyssée 1940-1945 des 500 Français Libres du Havre, Association des anciens et amis de la France Libre du Havre, 2017.
5. Fernande Bonnemain, présidente de l’Air Mémorial creusois, « Raymond, Albert Jabin », Gazette de l’Amicale des FAFL, n° 69, octobre 2010, p. 9-16.