L’Épopée du Rubis
Historique des opérations réalisées par le sous-marin Rubis
(Traduction d’un article écrit en langue anglaise par le vice-amiral d’escadre Henri Rousselot, Compagnon de la Libération, à la demande de la revue britannique « Profile Warship » pour publication)
Les sous-marins mouilleurs de mines étaient à l’origine basés à Toulon, la Méditerranée étant considérée comme le principal théâtre stratégique pour la marine française en temps de guerre. Mais, en novembre 1936, quatre des six sous-marins mouilleurs de mines, le Saphir, le Turquoise, le Nautilus et le Rubis, furent affectés à Cherbourg, où ils restèrent jusqu’en mai 1939. La principale raison de ce transfert était de familiariser les sous-marins avec les mouillages de mines dans des eaux à forts courants et marées de grande amplitude. En mai 1939, comme la menace de guerre se précisait, les quatre sous-marins furent transférés à Bizerte. C’est là que la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, trouva le Rubis.
Opérations de guerre avant l’armistice de juin 1940
À la déclaration de guerre, le Rubis était commandé par le lieutenant de vaisseau Georges Cabanier. L’enseigne de vaisseau de 1re classe Henri Rousselot, embarqué depuis 1935, était officier en second et l’enseigne de vaisseau Simon Dubuisson était officier en troisième.
À la déclaration de guerre, le Rubis était en carénage à l’arsenal. À la fin de 1939, le carénage étant terminé, le Rubis subit un intensif entraînement pendant un mois. En janvier 1940, le Rubis, le Saphir et le Nautilus furent transférés à Brest, où les trois sous-marins devaient recevoir quelques modifications pour de futures opérations dans le Grand Nord. Ces opérations étaient en relation avec un projet du haut commandement français pour aider la Finlande dans sa guerre avec l’URSS. Mais, avant que les trois sous-marins ne fussent disponibles, la Finlande avait signé un armistice avec l’URSS. En fait, le projet fut rapidement abandonné, n’ayant pas obtenu l’accord du gouvernement britannique, qui ne voulait pas prendre le risque d’une guerre avec l’URSS.
Une autre mission fut envisagée. Le 9 avril 1940, le Danemark et la Norvège étaient envahis et la première réaction des Alliés fut d’annoncer leur intention de miner les eaux norvégiennes dans le but d’interrompre le trafic du minerai de fer de Finlande vers Allemagne qui était essentiel pour l’industrie d’armement allemande. Il fallait donc mouiller des champs de mines rapidement. La Grande-Bretagne faisait de son mieux mais avait besoin d’un grand nombre de mouilleurs de mines français. L’amirauté française était peu disposée à prêter trois sous-marins alors qu’il existait une menace sérieuse d’entrer en guerre de la part de l’Italie. Finalement, il fut décidé de renvoyer le Saphir et le Nautilus en Méditerranée et de prêter aux Britanniques le sous-marin Rubis qui était en meilleure condition matérielle que les deux autres. Voilà pourquoi le Rubis appareilla pour l’Angleterre en avril 1940 et ne revint en France qu’en juin 1945. Le Rubis appareilla pour Harwich avec son chargement de mines. Après un essai en mer, il rejoignit la 90e flottille de sous-marins à Dundee, en Écosse, où le mouilleur de mines français Pollux apportera un stock de mines pour les opérations suivantes. Le Rubis arriva à Harwich le 1er mai 1940, après une longue traversée dans un épais brouillard en suivant un chenal dragué au milieu de mâts et cheminées de bateaux coulés, preuves du succès de la première campagne allemande de mines magnétiques. À Harwich, comme le Rubis devait opérer sous commandement britannique, embarquèrent un officier de liaison britannique, le lieutenant E.J.D. Turner, assisté d’un quartier-maître timonier et d’un opérateur radio.
Première opération : 3-14 mai 1940
Le Rubis appareilla pour sa première mission le 3 mai 1940. L’objectif était de miner l’entrée du port norvégien de Kristiansand. À cette époque, le danger aérien était faible et les sous-marins naviguaient en surface, plongeant seulement à la vue d’un avion. Ainsi, une opération de mouillage de mines consistait en une approche de la côte ennemie en surface, ajustant la vitesse afin de plonger avant l’aurore à une distance de la zone de mouillage suffisante de façon à compléter le transit en plongée, mouiller les mines en plein jour pour obtenir une bonne position et puis se retirer à une bonne distance de la côte avant de faire surface. En général, une liberté totale était donnée au commandant pour choisir à l’intérieur d’une période de quelques jours le jour où il estimait les conditions favorables pour le mouillage. Aussitôt celui-ci effectué, le sous-marin rejoignait une zone où il patrouillait jusqu’à la fin de l’opération puis retournait au port sans autre ordre. L’opération de mouillage était prioritaire. Tant que le mouillage n’était pas effectué, la discrétion primait ; il n’était pas autorisé à attaquer à la torpille des bâtiments ennemis, à moins qu’ils soient de grande importance (croiseur et au-dessus) ou situés très loin de la zone de mouillage pour pouvoir attaquer sans risque d’être découvert. Une contre-attaque était dangereuse pour un sous-marin transportant ses mines à l’extérieur de la coque épaisse (cas des sous-marins français), donc une importante quantité d’explosifs de grande capacité. Après le mouillage, il n’y avait aucune restriction à mener des attaques à la torpille.
Telles étaient les conditions quand le Rubis appareilla pour sa première opération. Tous les membres de l’équipage étaient déterminés à faire de leur mieux en vue du succès, mais ils étaient aussi conscients de leur manque d’expérience. Le Rubis approchait Kristiansand de nuit quand un mystérieux contre-ordre fut reçu, codé avec un nouveau chiffre. La position du mouillage fut modifiée : au lieu du chenal d’accès au port de Kristiansand, le Rubis devait mouiller ses mines à l’accès sud de Egersund, plus au nord sur la côte norvégienne. Le mouillage fut effectué sans incident le 10 mai, les mines étant mouillées sur une ligne en position 58°21N-06°01E, et le Rubis retourna à sa base à Dundee. Il fut supposé à l’époque que les modifications des ordres concernant la position du mouillage étaient probablement le résultat d’une compromission du chiffre, mais c’est beaucoup plus tard que l’histoire de HMS/M Seal fut connue. Le sous-marin avait été capturé après avoir été très endommagé au cours du mouillage de ses mines dans le Kattegat et les autorités craignaient que les documents secrets ne soient tombés aux mains de l’ennemi. Les résultats de cette opération étaient supposés négatifs. On sait maintenant que le champ de mines a coulé deux bâtiments de commerce de 54 et 1 706 tonnes, puis en a endommagé un de 2 433 tonnes. Une bonne expérience fut obtenue de cette première opération, mais les suivantes furent plus difficiles.
Seconde opération : 23-30 mai 1940
La position du mouillage retenue était très à l’intérieur d’un fjord norvégien, près de l’entrée de Haugesund. Comprenant l’approche, le transit du fjord et le retour, au moins trente-six heures en plongée étaient nécessaires. Des mesures furent prises afin de réduire au minimum l’utilisation de l’électricité pendant ces trente-six heures, principalement en fermant la cuisine et en préparant d’avance des repas froids et des boissons chaudes conservées dans des bouteilles thermos.
L’opération se déroulera sans incident, mais l’activité aérienne en mer du Nord avait énormément augmenté et les plongées, pour chaque avion aperçu, devenaient fréquentes et imposaient une grande tension sur le personnel. Le Rubis ayant appareillé le 23 mai de Dundee, il mouilla ses mines le 27 mai chenal Sletten, près de Haugesund, à 300 mètres de Bleivik. Il retourna à sa base le 30 mai. Les résultats furent immédiatement connus : un chaland de 174 tonnes et un cargo de 938 tonnes sautèrent sur le champ de mines les 28 et 31 mai.
Troisième opération : 5-12 juin 1940
Celle-ci était similaire aux deux premières. Le Rubis mouilla ses mines le 9 juin, 12 miles à l’intérieur du Fedjeosenfjord, conduisant à l’accès nord de Bergen. Aucun incident, excepté que de nombreuses alertes furent ordonnées et que le Rubis fut détecté au lever du jour lors de son approche de la côte norvégienne par un contre-torpilleur allemand qui tourna plusieurs fois autour du point de plongée du Rubis puis disparut au sud à grande vitesse. Résultats : un cargo de 1 081 tonnes sauta sur une mine et coula le 10 juin.
À chaque retour au port, les nouvelles de France étaient de plus en plus préoccupantes. Après la 3e mission, l’amirauté française rappela le Rubis en France avec le bâtiment base Jules Verne et la flottille de sous-marins français opérant à partir de Dundee.
Rubis reçut les messages suivants
– du vice-amiral Max Horton, amiral sous-marins :
« Au moment où vous venez d’exécuter avec succès votre 3e mission, je dois vous exprimer mon admiration pour l’efficacité et l’adresse qui ont toujours caractérisé l’exécution de chacune de vos missions. Je regretterai énormément de me passer des services du Rubis. » – 12 juin 1940.
– de l’amirauté britannique à amiral sous-marins :
« Avant le départ du Rubis, vous demande de lui transmettre les félicitations de Their Lordship pour les remarquables succès obtenus en exécutant de difficiles opérations dans les eaux norvégiennes. »
Le départ du Rubis d’Écosse fut fixé au 18 juin 1940, mais l’amirauté britannique demanda avec force que le Rubis ne retourne pas en France avec son dernier chargement de mines mais exécute une 4e opération. Cette proposition fut acceptée sous réserve que le Rubis fût rappelé si un armistice était signé.
4e opération
Le Rubis appareilla le 20 juin avec ordre de mouiller des mines à l’intérieur du fjord de Trondheim où la majorité de la flotte allemande était basée. Il passa en plongée sous le contre-torpilleur de patrouille à l’entrée du fjord sans être détecté et mouilla ses mines le 26 juin. L’armistice fut signé le 22 juin avec l’Allemagne, le 24 juin avec l’Italie et entrait en vigueur le 25 juin à 5 heures. À la suite de difficultés de transmissions, le Rubis ne fut pas tenu au courant de cette nouvelle situation avant le mouillage de mines.
Événements ayant eu lieu après l’armistice français
Après l’armistice, le Rubis fut laissé pendant plusieurs jours sans ordre précis de la part des autorités françaises à Londres. Puis, de bonne heure le matin du 3 juillet 1940, il fut saisi par la Royal Navy comme tous les autres bâtiments de guerre français présents en Grande-Bretagne. En ce qui concerne le Rubis, cette opération fut effectuée sans incident grâce au tact et à la compréhension du commandant de la 91e flottille de sous-marins, le Captain Roper, ainsi que du vice-amiral Horton, amiral sous-marins, qui interpréta les ordres avec autant de tact que possible.
L’amiral Horton adressa le message suivant au lieutenant de vaisseau Cabanier : « C’est avec beaucoup de regret et de la peine que je dois ordonner des restrictions en ce qui concerne votre liberté, celle de vos officiers et de votre équipage, des hommes parmi les plus braves, qui ont exécuté un travail exceptionnel pour la cause alliée en mer du Nord. Je suis certain que vous comprendrez qu’il est nécessaire, quand des mesures de cet ordre ont été ordonnées, de ne faire aucune exception tant que la situation générale reste très compliquée. Je dis cela parce que moi-même et tous ceux qui ont servi à bord du Rubis vous font confiance ainsi qu’à tout votre personnel. J’espère que ces mesures seront brèves. Ma sympathie la plus sincère est avec vous pour ce coup non mérité du destin qui vous touche ainsi que les vôtres. Si vous souhaitez communiquer directement avec moi, faites-le s’il vous plaît. »
Puis arriva le moment de faire le choix. Depuis l’armistice, la majorité de l’équipage du Rubis était déterminée à poursuivre le combat en Grande-Bretagne. La saisie du Rubis et l’affaire de Mers-el-Kébir provoquaient quelques hésitations ; mais finalement, à l’exception d’un jeune officier, d’un officier marinier et de trois quartiers-maîtres, l’équipage décida de rester en Grande-Bretagne. Le 18 juin 1940, ils entendirent le fameux Appel du général de Gaulle mais ne réalisèrent pas immédiatement sa signification pour eux. Aussitôt qu’ils eurent compris qu’ils continueraient à servir sous l’uniforme français, ils s’engagèrent dans les Forces Françaises Libres, demandant à continuer à servir à bord du Rubis sous les ordres de leurs commandants et officiers. Ils retournèrent rapidement à bord du Rubis, qui fut placé indisponible pour un petit carénage.
Opérations avec les Forces Françaises Libres jusqu’en avril 1941
Le Rubis était disponible le 5 septembre 1940. Mais, comme il n’avait plus de mines, il ne pouvait être utilisé que comme sous-marin d’attaque, avec une faible capacité offensive, une faible vitesse et un petit nombre de torpilles. Cependant, il effectua quatre patrouilles jusqu’à la fin de l’année, toutes sans résultat.
5e patrouille : 5-20 septembre 1940
Une patrouille exécutée à proximité du Dogger Bank par très mauvais temps.
6e patrouille : 5-18 octobre 1940
Une patrouille sans rencontre, exécutée en première partie à l’entrée de l’anse de Bomelfjord et ensuite à l’entrée de Stavanger.
7e patrouille : du 31 octobre au 14 novembre 1940
Le Rubis reçut l’ordre de débarquer un agent en Norvège. Il appareilla de Dundee le 31 octobre avec son mystérieux passager et le débarquement s’effectua sur la côte ouest de l’île de Bommelö, près d’un village nommé Nappen, dans le Korsfjord. Tout se déroula exactement suivant le plan, par beau temps et nuit très noire. Le 3 novembre, le Rubis fit surface à environ 1/2 mile de Nappen ; et l’agent, qui disait s’appeler Torvig, fut placé dans un canoë et quitta le bord pour la terre.
Il est intéressant d’indiquer que l’auteur a rencontré avec plaisir le soi-disant Torvig. Cette rencontre eut lieu trente-et-un ans après avec une certaine émotion. Torvig est connu maintenant comme le général Förde de l’armée de l’air norvégienne et est affecté à un état-major OTAN.
Après le débarquement de l’agent, le Rubis rallia une zone de patrouille à l’entrée de Korsfjord jusqu’au 12 novembre, le temps devint très mauvais, rien ne fut détecté.
8e patrouille : 1er – 18 décembre 1940
Le Rubis exécuta la dernière patrouille de l’année 1940 sur la côte norvégienne, près d’Utvaer. Aucun succès. Dès son retour à Dundee, il fut pris en charge par les chantiers Caledon pour un carénage dont le sous-marin avait grand besoin. Il devait aussi recevoir des modifications pour être en mesure de mouiller des mines de fabrication britannique, car il s’était avéré impossible de copier les mines Sauter-Harlé. Le carénage dura quatre mois. La mise en place à bord des mines britanniques demandait relativement peu de modifications. Vickers-Armstrongs avait développé une mine pour la marine roumaine dont les dimensions étaient proches de la mine Sauter-Harlé. Le diamètre était légèrement inférieur et la hauteur supérieure de quelques centimètres. Comme la hauteur totale de deux mines superposées ne dépassait pas la hauteur du puits à mines du Rubis, la mise en place ne nécessita qu’une simple modification du système de mouillage. Le poids était différent ; mais, comme les mines britanniques étaient plus légères, le volume des caisses de compensation était suffisant et seulement la graduation de niveau nécessita une modification. Les caractéristiques de la mine britannique étaient différentes de celles de la mine française : le poids de l’explosif était plus léger (britannique) et le système de sûreté britannique (très efficace) était différent. L’immersion de la mine ne pouvait pas être réglée de l’intérieur du sous-marin comme avec la mine française ; aussi l’immersion devait être réglée avant l’embarquement ! Cela signifiait que le mouillage devait être effectué à l’intérieur d’une zone de temps fixée. La mine britannique avait l’avantage d’être équipée d’une horloge qui pouvait être réglée, jusqu’à 45 jours, pour rendre la mine inoffensive en la coulant. Les champs de mines pouvaient être ainsi de nouveau fréquentés pour de nouvelles opérations.
Opérations d’avril 1941 à décembre 1944
Le Rubis appareilla le 7 mai 1941 pour essais aux environs de Dundee. Le 10 mai, son commandant, le capitaine de corvette Cabanier, fut désigné pour une nouvelle affectation et fut remplacé comme commandant par le lieutenant de vaisseau Rousselot, chaque autre officier avança d’un rang et un jeune aspirant embarqua comme officier en quatrième.
Le 14 mai, le Rubis appareilla pour Holy Loch afin de peaufiner son entraînement et se familiariser avec ses nouvelles mines. L’entraînement fut réduit quand le 1er juin le sous-marin reçut l’ordre d’appareiller pour une patrouille dans le golfe de Gascogne.
9e opération : 1er – 15 juin 1941
Le Rubis fut appelé d’urgence avec HMS/M Tuna afin de renforcer le barrage de sous-marins mis en place à travers le golfe de Gascogne pour intercepter les bâtiments de raid allemands. Le Rubis arriva dans son secteur le 4 juin ; mais le 8 juin, en faisant surface à 23 h 10 par mauvais temps, il fut constaté que sa barre de direction était désemparée à 25 à droite. Rapidement, le bord réalisa que le défaut était sérieux et que la transmission était déconnectée à l’extérieur de la coque épaisse à l’extrême arrière. L’incident fut signalé à l’amiral S/M qui répondit que si la barre ne pouvait être ramenée à O, le Rubis ne pourrait pas rentrer au port ou être remorqué. Un rendez-vous serait alors arrangé avec un autre sous-marin qui embarquerait l’équipage, et le Rubis serait alors sabordé. Pendant deux jours, le Rubis dut attendre une amélioration du temps avant de pouvoir se rendre à l’extrême arrière pour examiner la situation. Le sous-marin tourna en rond le jour en plongée et mit à la cape la nuit en surface en combinant l’action de la barre et d’un moteur électrique.
Le 10 juin, en soirée, une amélioration du temps autorisa l’accès à l’extrême arrière. Un cardan de la transmission était déconnecté, mais heureusement toutes les parties manquantes du cardan furent trouvées en superstructure inférieure et l’avarie fut rapidement réparée. Une goupille oubliée pendant le carénage était responsable du défaut.
Le Rubis rallia Holy Loch le 15 juin et Dundee le 19 juin. Une inspection complète de son équipement fut effectuée. Après quoi, il fut utilisé pour quelque temps pour des exercices avec des avions britanniques.
10e opération : 14 – 25 août 1941
Le Rubis appareilla de Dundee le 14 août 1941 pour son premier mouillage de mines britanniques. Sa mission était de miner les accès sud et nord du port norvégien d’Egersund. Pour la traversée de Grande-Bretagne en Norvège, les sous-marins ne pouvaient prendre la route directe mais, par un large détour au nord des îles Shetland, ils devaient transiter dans des eaux profondes pour éviter les dangereux champs de mines ennemis établis à travers la mer du Nord. Navigant en surface la nuit, en plongée le jour, le Rubis reconnut la côte norvégienne le 21 août au lever du jour. À 8 heures, il mouilla ses premières mines perpendiculairement au chenal sud du port d’Egersund, position Haadiret-38-1,3 mile, beau temps, mer plate, puis se dirigea vers la position retenue pour son second mouillage, utilisant le périscope avec parcimonie à cause de la mer qui ressemblait à un miroir et de la proximité de la terre.
À 12 h 10, un pétrolier de 3 000 tonnes, route au sud, escorté par un chalutier armé, fut aperçu à 2 000 mètres (à 1 000 mètres de la route). Le Rubis, estimant qu’il n’avait pas suffisamment de temps pour manœuvrer et attaquer par ses tubes lance-torpilles avant, orienta sa tourelle lance-torpilles arrière à 90 tribord et fit feu d’une torpille de 550 mm. Malheureusement, la torpille ne quitta pas le tube et libéra beaucoup de bulles d’air à la surface. Heureusement, l’ennemi ne détecta rien. Après cet échec, le Rubis reprit sa route vers la position du second mouillage de mines. Dès qu’il arriva à cette position 58°27,5N et 03°46’,5E, un convoi route au sud de deux bâtiments de commerce, escortés par deux chalutiers armés, fut détecté au nord, à une distance d’environ 8 miles, faisant route directement sur la zone retenue pour le second mouillage de mines. La vitesse du convoi étant de 8 nœuds et le commandant du Rubis estimant que les mines seraient actives quand le convoi traverserait le champ de mines, décida donc de mouiller les mines comme il en avait reçu l’ordre sur une ligne perpendiculaire au chenal d’accès au port d’Egersund, intervalle 50 yards entre chaque mine.
Quand le mouillage fut terminé à 14 h 15, le Rubis gouverna nord-ouest pour s’éloigner du champ de mines et de la route du convoi avec l’intention de manœuvrer afin d’attaquer le convoi avant son arrivée dans le champ de mines en faisant feu avec ses torpilles de tubes avant. Les intentions furent exécutées, mais le temps manquait et le Rubis se trouvait très proche du convoi. L’escorteur tribord augmenta de vitesse et passa à environ 150 mètres du Rubis qui, quelques minutes plus tard, à 14 h 35, fit feu de ses deux torpilles avant à 5 secondes d’intervalle sur la bâtiment de tête, un cargo d’environ 4 000 tonnes. Les deux torpilles firent but, 10 et 7 secondes après l’ordre de feu. Le Rubis plongea profondément et manœuvra pour passer sous le reste du convoi. Mais le Rubis ayant fait feu à faible vitesse, la pesée fut bouleversée et il toucha le fond à une profondeur de 41 mètres, à environ 2 miles de la terre.
Le Rubis resta posé sur le fond, silencieux, pendant que plusieurs explosions étaient entendues. Ces explosions ne causèrent aucune avarie au sous-marin, mais la batterie principale avait souffert de l’explosion des torpilles. L’étendue du désordre ne fut pas immédiatement découverte, tous les auxiliaires électriques étant stoppés pour réduire le bruit pendant que plusieurs bâtiments étaient entendus passant au-dessus du Rubis. À 22 heures, celui-ci fit surface difficilement, car le sous-marin se trouvait sans énergie électrique. Tout était calme, la nuit très noire et la mer plate. Le Rubis mit en route cap à l’ouest, à 10 nœuds avec ses diesels, les auxiliaires électriques alimentés par la batterie en tampon. Il signala à l’amiral S/M son incapacité à plonger, sa position, route et vitesse. Durant la nuit, il s’éloigna de 45 miles de la côte ennemie. À 6 h 35, le 22 août, le Rubis fut contraint de stopper en 58°O1’N04°01’E ; plusieurs éléments de la batterie étaient en feu dans le compartiment batteries et la fumée envahissait l’intérieur du sous-marin, rendant l’air irrespirable. Il resta stoppé jusqu’au 23 août à 11 heures, soit près de 29 heures. Dès que des réparations temporaires furent effectuées, il disposa d’un moteur pouvant donner une vitesse de 7 nœuds. Pendant le jour, les 22 et 23 août, sa protection fut assurée par un avion de la RAF. Une importante force navale composée du croiseur HMS Curaçao, de quatre contre-torpilleurs, de deux chalutiers armés et d’un remorqueur, fut dépêchée pour protéger le Rubis : mais cette force navale dut l’attendre de l’autre côté du champ de mines ennemi établi à travers la mer du Nord. Le Rubis rencontra la force navale dans la soirée du 23 août et mit le cap sur Dundee escorté par l’importante force navale. Il rallia Dundee le 25 août à 14 heures. Malheureusement, un homme tomba à la mer et fut perdu durant la nuit alors que l’équipage s’était réfugié sur le pont pour éviter l’intoxication par la fumée qui avait envahi l’intérieur du sous-marin.
Résultat de l’opération : un ravitailleur de 4 360 tonnes détruit par torpille plus un bâtiment anti-sous-marin qui sauta sur le champ de mines.
À la suite de cette patrouille, le Rubis fut indisponible au matériel jusqu’au mois de novembre 1941. Des réparations étaient nécessaires aux ballasts et à la quille qui avaient été endommagés lorsque le sous-marin heurta le fond rocailleux dans les eaux norvégiennes. Une nouvelle batterie devait être trouvée ; elle fut constituée à partir d’éléments découverts à bord des sous-marins français venus en Angleterre en juin 1940 mais qui ne pouvaient pas être armés suite à l’absence d’autres matériels.
11e opération : du 18 novembre au 6 décembre 1941
Le Rubis fut envoyé en patrouille dans les environs du phare d’Utvaer. Il rencontra un très mauvais temps et il dut mettre à la cap, et en conséquence il rallia son secteur avec retard la 29 novembre. Aucune détection. Le Rubis était de retour à Dundee le 6 décembre.
12e opération : 8-20 janvier 1942
Le Rubis fut chargé de mouiller un champ de mines sur la côte française près de Saint-Jean-de-Luz, sur la route côtière empruntée par les bâtiments transportant du minerai de fer de Bilbao en France ; Il appareilla de Dundee le 8 janvier, escorté par HMS Loch Monteith jusqu’à Wolf Rock. Les mines furent mouillées le 16 janvier en groupe à un demi-mile de l’accès du port de Saint-Jean-de-Luz, dans des eaux peu profondes de 18 à 21 mètres. Le Rubis fut de retour à Falmouth le 20 janvier. De Falmouth, il appareilla pour Holy Loch avec le HM Sub Tuna escorté par le HMS White Bear. Le groupe fut attaqué à 19 h 15 près de Land’s End par un Junker 88 qui, malgré la nuit, largua trois bombes, 150 yards sur l’arrière bâbord du Rubis. Tuna plongea, Rubis réduisit sa vitesse afin de limiter le sillage qui aurait probablement révélé la présence des sous-marins et, en compagnie de HM Sub P551 et P41, il rallia Dundee le 29 janvier. Aucun résultat connu de cette opération. En route vers Saint-Jean-de-Luz, le Rubis avait évité de justesse une collision de nuit avec un sous-marin allemand aperçu à 400 mètres mais trop tardivement pour conduire une attaque.
13e opération : 12-16 mars 1942
Cette opération consistait à mouiller un champ de mines sur Jutland Bank comme barrière contre le passage des raiders allemands. Après avoir obtenu une bonne position à partir de la côte sud de la Norvège, le mouillage se déroula le 21 mars au sondeur sur le banc, car la terre était en dehors de la vue. Aucun résultat connu de cette opération.
14e opération : 8 -15 avril 1942
Opération de mouillage de mines exécutée sans incident aux approches de l’accès ouest du fjord de Trondheim. La seule difficulté rencontrée fut la grande distance de la terre, une position précise à partir de la côte étant difficile à obtenir.
15e opération : du 27 mai au 14 juin 1942
Les conditions tactiques dans les eaux norvégiennes avaient changé. La surveillance ennemie par avion, par bateau de surface et par radar avait été développée. L’amirauté britannique avait donc décidé que le Rubis n’opérerait plus l’été dans les eaux norvégiennes, les nuits étant trop brèves pour permettre de charger les batteries la nuit. En conséquence, le Rubis rallia la 51e flottille de sous-marins à Gosport pour trois mois et opéra dans le golfe de Gascogne. Le but de ces opérations était de mouiller entre la frontière espagnole et la Gironde de petits champs de mines sur une large zone, non pour détruire des bâtiments de commerce mais pour donner l’impression qu’une importante zone était minée afin d’arrêter le transport de minerai de fer entre l’Espagne et la France, transport exécuté en majorité par des marins de pays neutres qui ne désiraient pas prendre de risques.
Le Rubis appareilla de Dundee le 27 mai, escorté par HMS Loch Monteith, qui fut relevé le 30 mai par Jan Van Gelder. Les mines furent mouillées le 5 juin en deux groupes espacés de 9 miles près du Cap-Breton. Le Rubis fut de retour à Portsmouth le 14 juin. À part la détection usuelle de trois dragueurs, la matinée du mouillage et la présence de nombreux bateaux de pêche sur zone, le Rubis n’eut rien à signaler.
16e opération : du 30 juin au 15 juillet 1942
Le Rubis appareilla de Portsmouth le 30 juin à l’issue d’un transit tranquille. Il mouilla ses mines le 7 juillet en six groupes étendus sur 20 miles, parallèles à la côte, au nord d’Arcachon. Au transit de retour, il eut rendez-vous le 14 juillet à 8 heures comme de coutume au sud de Lizardhead avec un escorteur qui était ce jour le Chasseur 8 des Forces Navales Françaises Libres basé à Cowes (île de Wight). Le chasseur n’étant pas au rendez-vous : après une heure d’attente, le Rubis rallia Falmouth puis Dartmouth, avec une nouvelle escorte pour rejoindre un convoi destiné à Portsmouth. En route, l’équipage du Rubis apprit avec tristesse que le chasseur avait été coulé par un avion ennemi alors qu’il était en route vers le rendez-vous. Sur les 27 hommes embarqués, un seul fut sauvé, l’officier de liaison britannique, qui avait survécu dix-huit heures dans l’eau avant d’être récupéré. Ce triste événement gâcha la fête du 14 Juillet, coïncidant pourtant avec un retour de patrouille sain et sauf.
17e opération : 8-18 août 1942
Cette opération fut semblable à la précédente. Huit groupes de quatre mines furent mouillés le 14 août, dispersés sur 24 miles à 10 miles de la côte nord d’Arcachon. Le seul incident fut une avarie de diesel bâbord, qui demanda vingt-quatre heures de réparation. À l’issue de l’opération, le Rubis rallia Dundee, où il arriva le 24 août 1942, escorté par HMS Cutty Sark. Les résultats de ces trois derniers mouillages étaient : deux dragueurs M4211 et M4401, bateau VP406 de 500 tonnes et quatre petits bâtiments de 1391 tonnes coulés et un U-boat U600 endommagé, sans oublier que l’objectif principal fut atteint car le trafic de minerai de fer d’Espagne vers la France fut interrompu pour une longue période.
18e opération : 10-24 septembre 1942
Cette opération était liée aux arrangements de l’amirauté britannique pour assurer une bonne protection au convoi PQ-18 destiné à la Russie et au convoi QP-14 de retour en Islande, menacés par les bâtiments de surface allemands basés dans le nord de la Norvège. Le Rubis appareilla de Dundee le 10 septembre, escorté par HMS Loch Monteith jusqu’à Lerwick, qu’il quitta la nuit du 12 septembre. La zone de mouillage de mines près de l’entrée ouest du port de Tromsö étant très éloignée, le transit fut effectué en surface à 10 noeuds. Mines mouillées le 18 septembre à l’entrée du fjord Malangen, position 6940’N1724’E. Le Rubis fut de retour à Lerwick le 24 septembre. L’escorteur HMS Loch Monteith l’escorta ainsi que le sous-marin norvégien Uredd et HM sub P54 à Dundee, où le groupe arriva le 25 septembre 1942. Un bateau de 725 tonnes sauta sur le champ de mines.
Le temps était beau durant le long transit de plus de 2000 miles, quoique froid avec des chutes de neige près de Tromsô. La mer était complètement vide et rien ne fut aperçu en surface. Le Rubis dut plonger deux fois pour un hydravion près de la même position route nord et sud. Cet hydravion était un K26 spécialement équipé et possédant un long rayon d’action permettant d’observer les convois se rassemblant en Islande, convois destinés à la Russie.
Au retour de cette opération, il fut estimé que le Rubis devait subir un grand carénage. Il débuta immédiatement. Les diesels et les auxiliaires furent démontés et visités et il fallut trouver une nouvelle batterie. Comme il n’y avait plus d’éléments de batterie dans les Forces Navales Françaises Libres, une batterie fut empruntée au sous-marin Wilk de la marine polonaise, sous-marin construit en France. Quelques modifications furent effectuées. Un canon Oerlikon de 20 mm fut installé sur l’arrière du kiosque en remplacement des deux mitrailleuses françaises de 13 mm anciennes, et deux mitrailleuses Vickers de 8 mm furent ajoutées sur la passerelle. Un radar fut installé sur le 3e périscope de secours, ce qui conduisit à réaménager les logements des officiers. Carénage terminé le 2 mai 1943. Des changements furent opérés dans le personnel. L’officier en second Simon Dubuisson, nommé au commandement du sous-marin Minerve, fut remplacé par l’enseigne de vaisseau Vissian, puis l’enseigne de vaisseau Lamy embarqua comme officier en 3e. Ces deux officiers étaient deux des quatre survivants de la corvette Mimosa, torpillée par un U-boat en Atlantique Nord en escorte de convoi. Aucun des nouveaux officiers embarqués ne possédaient une quelconque expérience de navigation sous-marine. En conséquence, le Rubis rallia la Clyde pour une période d’essais et d’entraînement intensif, à l’issue de laquelle il rallia la 51e flottille de sous-marins à Gosport pour une nouvelle campagne de mouillage de mines dans le golfe de Gascogne.
19e opération : du 29 juin au 16 juillet 1943
Cette opération comprend le mouillage de deux groupes de mines à 8 et 18 miles de Biscarosse et des approches de la Gironde. Un patrouilleur allemand M4451 de 652 tonnes et un petit bâtiment de commerce sautèrent sur ces champs de mines.
20e opération : 1er-8 août 1943
La mission fut courte. Le Rubis mouilla quatre groupes de mines au sud du Raz de Sein et les approches de Brest. Position 4750’N-0500’W.
21e opération : du 23 août au 11 septembre 1943
Ce mouillage de mines fut effectué au nord de Bayonne, sur la route côtière empruntée par les bâtiments transportant le minerai de fer entre l’Espagne et la France. Un seul incident se produisit, le 29 août. Le Rubis avait plongé à l’aurore quand une flottille de chalutiers fut aperçue à une faible distance ; parmi ces chalutiers, un bâtiment apparaissait comme un patrouilleur. Plus tard, quatre contre-torpilleurs classe Narvik furent détectés au périscope. Le Rubis transita toute la journée à 2 nœuds vers la zone de mouillage. Les contre-torpilleurs restèrent visibles toute la journée et observés manœuvrant en groupe de deux, s’approchant parfois du Rubis à une distance de l’ordre de 2000 yards. Quand le Rubis fit surface la nuit en s’éloignant rapidement, des obus éclairants furent tirés dans sa direction. Le commandant du Rubis n’a jamais pu savoir s’il avait été détecté ou s’il avait traversé une zone d’exercice.
22e opération : du 27 septembre au 9 octobre 1943
Le Rubis retourna mouiller des mines aux approches de Brest. Le 2 octobre, quatre groupes de mines dispersés furent mouillés. Position Penmarch 257, 10 miles. Un grand nombre de bâtiments de guerre ennemis furent aperçus à très grande distance se déplaçant sur une route côtière. Le résultat fut la destruction du chasseur de sous-marins UJ1403, qui sauta et coula sur les mines le 24 octobre ; quatorze mines furent draguées après la perte de ce chasseur de sous-marins. Au retour au port, le Rubis reçut de l’amiral (S) le message suivant :
«Toutes mes félicitations pour le mouillage de votre 500e mine. En tant que seul sous-marin mouilleur de mines dans les eaux métropolitaines pour la plus grande partie de la guerre, vous avez fait un travail remarquable et de valeur exceptionnelle qui a causé de formidables pertes à l’ennemi et la dislocation de son trafic maritime. Mes meilleurs souhaits pour les prochaines 500. »
Les activités du Rubis s’arrêtèrent pour réparer un important défaut. À l’occasion d’un passage de routine au bassin, le commandant, le capitaine de corvette Rousselot, inspectant la coque épaisse, découvrit que la plaque de métal supportant le gouvernail de direction et les gouvernails de plongée arrière était fendue sur une telle longueur que l’on pouvait considérer que c’était un miracle que les gouvernails n’aient pas été perdus à la mer. Les travaux furent entrepris immédiatement. Après quelques essais à la mer, le Rubis était disponible pour opération le 20 février 1944.
23e opération : du 20 février au 3 mars 1944
Le Rubis appareilla de Portsmouth le 20 février 1944. Il mouilla un champ de mines le long de la route côtière à l’ouest de Lacanau, à 5 miles de la côte, entre Arcachon et la Gironde, puis il effectua une patrouille de routine pour quelques jours dans une zone proche.
Le 25 février 1944, un sous-marin allemand escorté par deux chalutiers armés fut aperçu au périscope. Une attaque commença et le commandant espérait un succès facile, la situation étant favorable. Une flottille de pêcheurs sur zone compliquait la contre-attaque ennemie. Malheureusement, lorsque la distance diminua, la formation changea de route de près de 90’ en éloignement et l’attaque dut être abandonnée. Le commandant du Rubis rencontra après la guerre l’officier qui commandait l’escorte. Il confirma que le convoi avait changé de route normalement pour rallier le chenal dragué conduisant à la Gironde. Le Rubis n’avait pas été détecté.
Au cours de son transit de retour, le Rubis en surface de nuit lança une torpille sur un but qui, dans la nuit brumeuse, apparaissait comme un gros vaisseau, peut-être en fait un pêcheur sous voile. La torpille ne l’atteignit pas.
24e opération : 17-30 mars 1944
Mouillage de mines effectué le 25 mars dans le golfe de Gascogne, près du haut fond de Rochbonne.
Après cette opération, le Rubis fut transféré de la 5e flottille à la 3e flottille de sous-marins à Holy Loch, où les bâtiments base, HMS Forth et Titania, étaient basés.
L’enseigne de vaisseau Vissian, officier en second désigné pour un commandement, fut remplacé par l’enseigne de vaisseau Lamy1.
Appareillant de Portsmouth le 14 avril, le Rubis arriva dans la Clyde le 19 avril. Les opérations du Rubis furent interrompues pour quelques mois pour éviter toute interférence avec la préparation du débarquement en Normandie.
Pendant cette période, le Rubis fut utilisé pour entraînement à la lutte anti-sous-marine dans la Clyde et à Scapa Flow. En mai 1944, le Rubis participa à l’entraînement intensif, dans la région de Larne (Irlande du Nord), au profit des escorteurs désignés pour participer à l’opération Neptune. L’équipage du Rubis jouait le rôle du sous-marin ennemi avec bombardiers en piqué et vedettes lance-torpilles attaquant souvent simultanément.
Le 16 août 1944, le Rubis fut transféré à la 9e flottille de sous-marins à Dundee, pour exécuter de nouveau des mouillages de mines en Norvège dès que la longueur des nuits le permettait.
25e opération : 18-29 septembre 1944
Appareillage le 18 septembre escorté par Loch Monteith jusqu’aux îles Shetland. Le Rubis mouilla ses mines le 24 septembre en trois groupes au sud des approches du Skudenesfjord, à environ 4 miles ouest de Joederens Point.
Ensuite, il patrouilla jusqu’au 26 septembre pour retourner à Dundee, où il arriva le octobre 1944. Ce mouillage de mines fut celui qui obtint les meilleurs résultats. Le 27 septembre en soirée, un convoi de cinq bâtiments de commerce, route au sud, escorté par huit chasseurs de sous-marins venant de Stavanger, traversa le champ de mines : deux bâtiments de 5 749 et 5 295 tonnes coulèrent ainsi que deux escorteurs.
26e opération : 14-26 octobre 1944
Mouillage de mines sur la côte de Norvège, entre Haugesund et Bergen. Mines mouillées en quatre groupes de huit mines le 18 octobre, près de Fejeosen. Sur une ligne brisée à partir du phare de Hellisô 240’, 3,6 miles. L’escorteur M5304 fut endommagé sur le champ de mines.
27e opération : 18-29 novembre 1944
Cette opération fut exécutée dans une zone bien connue du Rubis, les approches nord de Egersund.
Appareillage de Dundee le 18 novembre, passage à Lerwick, la terre fut reconnue le 24 novembre phare d’Egerö, mais le mouillage fut reporté de vingt-quatre heures à cause du mauvais temps. Les mines furent mouillées en trois groupes à une distance de 2 miles du phare d’Egerö.
Le Rubis fut de retour à Lerwick le 26 novembre. En route vers Dundee, escorté par MMT Forfait, il essuya un sévère coup de vent de sud-est, pendant lequel il dut assister l’escorteur victime d’une voie d’eau. Le groupe se rapprocha de la terre pour s’abriter à l’ouest de Fraserburgh, juste à temps avant que l’eau n’atteigne la chaudière de l’escorteur.
Le Castor de 1 683 tonnes fut endommagé le 24 novembre 1944.
28e opération : 13-24 décembre 1944
Le Rubis appareilla de Dundee, escorté par Loch Monteith et s’arrêta à Lerwick. Le 18 décembre, il avait atteint la zone de mouillage, le chenal sud de Stavanger. Il approcha de la côte à moins de 1 mile en utilisant son sondeur, la visibilité étant nulle dans la brume. En conséquence, le mouillage fut reporté de vingt-quatre heures. Le 19 décembre, la visibilité s’étant améliorée, le Rubis atterrit sur la balise de Joederens et le mouillage de mines débuta. Lors du mouillage du second groupe de mines, un convoi de deux barges escorté par un bâtiment route au nord apparut très proche. Le Rubis dut mettre à gauche toute pour éviter une collision. Le bateau le plus proche passa à moins de 200 yards à l’est du Rubis. Après cet incident, le mouillage fut complété et le Rubis fut de retour à Lerwick le 23 décembre et à Dundee le 24 décembre à 10 h 30, à temps pour célébrer Noël à terre.
Résultats de cette opération : le 21 décembre au matin, un convoi de quatre bâtiments ravitailleurs et un U-boat escorté par trois bâtiments anti-sous-marins firent route sur le champ de mines; deux escorteurs UJ1113 et UJ 1116 et le Weichselland (5 190 tonnes) furent coulés. Au cours du dragage qui suivit, le dragueur M/S R402 sauta sur une mine et coula.
Fin de la guerre et retour en France
Cette 28e opération fut la dernière patrouille de guerre du Rubis. Il avait besoin d’un petit carénage. Ses diesels dépassaient les 2 000 heures de marche et des réparations étaient nécessaires. Il avait été espéré que le Rubis serait disponible pour prendre la mer fin janvier mais, après un examen complémentaire de sa situation au matériel, l’Amirauté britannique estima que la guerre serait terminée avant que le carénage dont avait besoin le Rubis soit effectué. Il fut donc décidé que les réparations seraient limitées au strict minimum nécessaire pour rallier un port français. Le 8 juin 1945, le Rubis était prêt à prendre la mer. Il appareilla pour Falmouth, qu’il rallia le 11 juin en attendant un convoi. La guerre était terminée mais les bateaux ne naviguaient pas sans escorte à cause du danger des mines non draguées. Finalement, le Rubis arriva à Oran le 23 juin 1945. Il fut désarmé et l’équipage dispersé.
Résultats des opérations du Rubis
Les résultats attribués au Rubis, après analyse postérieure à la guerre des rapports officiels, sont :
– 683 mines mouillées ;
– 20 bâtiments de commerce de 23610 tonnes coulés ;
– 2 cargos de 1 683 tonnes et 2433 tonnes endommagés ;
– 9 bâtiments anti-sous-marins et dragueurs coulés ;
– 1 sous-marin endommagé ;
– 1 bâtiment de commerce de 4360 tonnes coulé par torpille.
Les appréciations sur les services rendus par le sous-marin Rubis furent exprimés par l’amiral Henry Moore, commandant en chef de la Home Fleet, dans une lettre datée du 2 février 1945 :
« Au moment où se termine l’activité du sous-marin français Rubis, sous contrôle opérationnel britannique, j’aimerais mentionner l’admiration de la Home Fleet pour le remarquable travail accompli pendant une très longue période. Le travail difficile et la ténacité pour résoudre les difficultés rencontrées sur les plans tactique et matériel lui ont acquis une très grande réputation. Sous le commandement de deux officiers exceptionnels, les résultats de ses nombreuses patrouilles sont impressionnants. Je souhaite au Rubis et à son équipage bonne chance où qu’il se trouve. »
Caractéristiques du Rubis
Déplacement : Surface 762 tonnes
Plongée : 923 tonnes
Dimensions : 66 x 7,12 x 4,13 m
Diamètre coque épaisse : 4,15 m
Hauteur de la quitte à la partie supérieure du kiosque : 9 m
Propulsion : Surface : 2 moteurs diesel 6 cylindres 4 temps 650 CV
Plongée : 2 moteurs électriques de 500 CV
Vitesse : Surface : 12 nœuds. Plongée : 9 nœuds
Armement : Un canon 75 mm – 32 mines
Tubes lance-torpilles : 3 x 550 mm – 2 x 400 mm
Activités après-guerre
Après un carénage à Oran et réarmement, le Rubis poursuivit une activité sous les ordres de deux nouveaux commandants. En 1950, le Rubis fut placé en réserve à Toulon et utilisé pour l’instruction de jeunes marins appelés à servir à bord de sous-marins.
En 1957, le Rubis fut coulé près de Toulon pour servir de but sonar aux bâtiment ASM. Il y est toujours.
Notes du traducteur (Roger Lamy)
1. L’amiral Rousselot a participé aux 28 patrouilles du Rubis (les huit premières comme officier en second, les vingt suivantes comme commandant), ainsi que pratiquement la totalité de l’équipage de septembre 1939, fait unique dans la Marine nationale.
2. L’amiral Rousselot est l’officier de marine allié le plus décoré par l’Amirauté britannique : Distinguished Service Order (DSO), Distinguished Service Cross with 2 bars (DSCXX).
3. Le sous-marin Rubis a coulé un tonnage ennemi supérieur à celui coulé par tous les sous-marins français réunis et même par toute la marine nationale.
4. Quelques messages reçus par le Rubis…
Amiral Sous-Marins à Rubis :
« Je vous félicite vivement d’avoir accompli aussi brillamment votre très difficile mission. » – 21 janvier 1942.
British Consul à Bilbao à Amirauté-Rubis :
«Aucun transport de minerai de fer n’a quitté ou est arrivé à Bilbao depuis le 20 septembre 1942 suite à champs de mines mouillées récemment dans les eaux françaises. »
Transmission à l’amirauté britannique du dernier rapport de patrouille du Rubis par l’amiral Creasy, l’amiral Sous-marins, avec la lettre d’envoi suivante :
« Depuis que le sous-marin français Rubis nous a rejoints en avril 1940, il a été affecté à différentes flottilles où il a toujours été très estimé et ses qualités exceptionnelles admirées par tous ceux qui l’ont connu.
Les 28 patrouilles du Rubis furent conduites par toutes les conditions météorologiques et face aux grands dangers ennemis : les mines, les patrouilles anti-sous-marines de surface et aériennes. En toutes occasions, le Rubis exécuta ses missions avec succès malgré le fait que vers la fin de la guerre des défauts mécaniques survenaient assez souvent.
Le tableau de ses succès ne peut encore être établi, mais son commandant et son équipage ont montré sans aucun doute par leur adresse et leur détermination quels résultats exceptionnels peuvent être obtenus par un sous-marin ne possédant que peu de ce qui est considéré comme l’équipement normal d’un sous-marin moderne. L’absence du Rubis sera ressentie non seulement par la 91e flottille, mais par toute la branche sous-marine britannique. L’équipage profite actuellement d’une permission bien gagnée dans leur pays. » – Février 1945.
5. Croix de la Libération
Le général de Gaulle décerna la croix de la Libération aux capitaines de corvette Cabanier et Rousselot, au maître Laurent, au maître-mécanicien Dangel, au maître-torpilleur Le Guen, au second-maître radio Guillamet et au sous-marin Rubis avec la citation suivante :
« Bâtiment qui n’a cessé une seule heure de servir la France dans la guerre depuis le début des hostilités et dont l’état-major et l’équipage ont fait preuve des plus belles qualités guerrières en accomplissant de nombreuses et périlleuses missions dans les eaux ennemies, a infligé aux transports maritimes allemands des pertes sévères. Très sérieusement endommagé au cours d’une attaque, a réussi à regagner sa base aux prix d’efforts inouïs du personnel en traversant un champ de mines très dangereux. »
Le général de Gaulle a donc nommé les récipiendaires : « Compagnon de la Libération de la France dans l’honneur et par la victoire. »
6. Pour rendre hommage au sous-marin Rubis, le Lord Mayor de la ville de Dundee et son conseil municipal invitèrent le 6 juillet 1986 l’amiral Rousselot et son équipage à une réception au Town Hall.
De nombreux invités avaient tenu à assister à cette grande réception. On remarquait, entre autres, des personnalités locales, l’amiral commandant la marine en Écosse et Irlande du Nord, l’amiral britannique commandant les sous-marins représenté par le commodore son chef d’état-major, l’amiral Lucas, attaché des Forces armées près de l’ambassade de France à Londres, le consul de France à Édimbourg, des anciens du chantier naval Caledon, chantier chargé des carénages des sous-marins, du personnel affecté à la base des sous-marins HMS Ambrose pendant la guerre. Au cours de la réception, le Lord Mayor reçut individuellement l’amiral Rousselot et les anciens du Rubis puis les invita à signer le Livre d’or. En fin d’après-midi, les invités assistèrent à la réception donnée par le Dundee District (équivalent du conseil général).
Un chasseur de mines et un sous-marin représentaient la marine nationale. Le sous-marin britannique désigné n’a pas été en mesure de rallier Dundee en temps voulu.
7. Les cendres de l’amiral Rousselot, décédé le 23 août 1994, ont été dispersées en novembre 1994 à partir du SNA Rubis au large du cap Camarat (environs de Toulon) pour rejoindre le Rubis.
(1) L’Enseigne de vaisseau Blondel, officier en 4e, avança d’un rang et l’enseigne de vaisseau Besnault embarqua comme officier en 4e.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 290 et 291, 2e et 3e trimestre 1995.