27 juin 2016 In CNRD 2017 By Administrateur
La volonté affirmée de punir les crimes de guerre
Le contexte
Dès le 17 avril 1940, les gouvernements français, britannique et polonais dénoncent les atrocités commises par les forces de l’Axe à la suite de l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939.
Le 25 octobre 1941, le président américain Roosevelt et le premier ministre britannique Churchill publient des déclarations annonçant leur volonté de punir les crimes commis par les responsables allemands.
Le 13 janvier 1942, à l’issue de la troisième conférence interalliée réunie au palais Saint-James, à Londres, « pour la punition des crimes de guerre » les délégués de neuf gouvernements européens en exil en Grande-Bretagne adoptent une déclaration commune, la déclaration dite du palais Saint-James, dans laquelle, constatant les violences et abus commis contre leurs populations, ils mettent au rang des principaux buts de guerre le châtiment, « par les voies d’une justice organisée », de ceux qui auront ordonné ou commis ces crimes, quelle que soit leur nationalité.
Cette déclaration enclenche un processus qui va conduire non seulement à la confirmation que la punition des crimes de guerre est un but de guerre allié, mais aussi à préciser l’acte d’accusation et les modalités d’application de cette punition, par le biais d’une justice internationale.
À la suite de cette déclaration, les gouvernements américain et britannique proposent, le 8 août 1942, la création d’une Commission d’enquête (« fact finding commission ») des Nations unies sur les crimes de guerre qui va enregistrer les différents cas de crimes de guerre que les gouvernements lui transmettent. Elle se réunit pour la première fois le 20 octobre 1943. Son principal apport, durant la guerre, concerne les questions de principe et les procédures de jugement. Elle est dissoute en 1949.
En mars 1945, un Registre central des criminels de guerre et des suspects pour la sécurité (« Central Registry of War Criminals and Security Suspects ») est établi à Paris par le commandement suprême des forces alliées, le SHAEF, pour assister la commission. Ses bureaux sont transférés à Berlin en mai 1946. Il publie en 1947 une liste de quatre volumes de 60 000 suspects de crimes de guerre subdivisée en quatre catégories : suspects allemands, non-allemands et deux listes complémentaires.
Le 17 décembre 1942, les gouvernements américain, britannique et soviétique publient simultanément, au nom des puissances alliées, une déclaration conjointe des membres des Nations unies décrivant la mise en œuvre de la politique nazie d’extermination des juifs :
« L’attention des gouvernements de Belgique, Tchécoslovaquie, Grèce, Yougoslavie, Luxembourg Pays-Bas en exil, Norvège, URSS, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et des États-Unis d’Amérique ainsi que le Comité national français de Libération, a été attirée sur les nombreux rapports en provenance d’Europe selon lesquels les autorités allemandes, non contentes de publier les lois déniant aux personnes de race Juive dans tous les territoires où leur barbare autorité s’est étendue, les plus élémentaires droits humains et sont en train de rendre effective l’intention maintes fois répétée d’Hitler d’exterminer les personnes juives en Europe.
Dans tous les pays sous occupation allemande les Juifs sont transportés par trains dans des conditions d’horreur et de brutalités inconcevables vers l’Europe de l’Est. En Pologne, qui est devenue le principal abattoir Nazi, les ghettos établis par l’envahisseur allemand sont systématiquement vidés de leurs Juifs, à l’exception de ceux nécessaires au travail forcé pour leurs industries de guerre. Aucun de ces déportés n’a plus donné de signes de vie. Les individus valides sont peu à peu usés à mort par les camps de travail. Les infirmes sont laissés à mourir d’exposition au intempéries et de privations ou sont délibérément massacrés dans des exécutions de masse. Le nombre de victimes de ces sanglantes cruautés est exercé sur plusieurs centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants entièrement innocents.
Les gouvernements ci-dessus mentionnés et le Comité National français condamnent dans les termes aussi vifs que possible cette politique bestiale d’extermination de sang-froid. Ils déclarent que de tels agissements ne peuvent que renforcer la résolution de peuples aimant la liberté à rejeter une telle barbarie hitlérienne. Ils réaffirment solennellement leur résolution d’assurer aux responsables de ces crimes qu’ils n’échapperont pas au juste châtiment et de presser la mise en place de mesures pratiques à cette fin. »
La déclaration, lue par Anthony Eden, secrétaire au Foreign Office, à la Chambre des communes, est diffusée plusieurs fois par jour pendant une semaine sur les ondes de la BBC en direction de pays occupés. En janvier 1943, la Royal Air Force largue sur l’Allemagne, 1,2 millions de tracts décrivant le programme d’extermination nazi.
Lors de la première conférence de Québec (10-24 août 1943), réunissant Churchill et Roosevelt, est adoptée le 22 août une déclaration sur les crimes allemands en Pologne :
« Trustworthy information has reached the United States Government regarding the crimes committed by the German invaders against the population of Poland. Since the autumn of 1942 a belt of territory extending from the province of Bialystok southwards along the line of the River Bug has been systematically emptied of its inhabitants. In July 1943 these measures were extended to practically the whole of the province of Lublin, where hundreds of thousands of persons have been deported from their homes or exterminated.
These measures are being carried out with the utmost brutality. Many of the victims are killed on the spot. The rest are segregated. Men from fourteen to fifty are taken away to work for Germany. Some children are killed on the spot, others are separated from their parents and either sent to Germany to be brought up as Germans or sold to German settlers or despatched with the women and old men to concentration camps, where they are now being systematically put to death in gas chambers.
The United States Government reaffirms its resolve to punish the instigators and actual perpetrators of these crimes. It further declares that, so long as such atrocities continue to be committed by the representatives and in the name of Germany, they must be taken into account against the time of the final settlement with Germany. Meanwhile the war against Germany will be prosecuted with the utmost vigor until the barbarous Hitlerite tyranny has been finally overthrown. »
Les douze derniers mots du paragraphe 3 sont exclus du texte remis à la presse par le Département d’État américain le 30 août 1943, à la demande du gouvernement britannique, en raison du manque de preuves.
Lors de la troisième conférence de Moscou (18 octobre-11 novembre 1943), qui réunit les ministres des Affaires étrangères britannique (Anthony Eden), américain (Cordell Hull) et soviétique (Vyacheslav Molotov) une déclaration sur les atrocités, signée par Roosevelt, Churchill et Staline, publiée le 1er novembre 1943, prévoit d’engager des poursuites contre les dirigeants allemands :
« The United Kingdom, the United States and the Soviet Union have received from many quarters evidence of atrocities, massacres and cold-blooded mass executions which are being perpetrated by Hitlerite forces in many of the countries they have overrun and from which they are now being steadily expelled. The brutalities of Nazi domination are no new thing, and all peoples or territories in their grip have suffered from the worst form of government by terror. What is new is that many of the territories are now being redeemed by the advancing armies of the advancing armies of the liberating powers, and that in their desperation the recoiling Hitlerites and Huns are redoubling their ruthless cruelties. This is now evidenced with particular clearness by monstrous crimes on the territory of the Soviet Union which is being liberated from Hitlerites, and on French and Italian territory.
Accordingly, the aforesaid three Allied powers, speaking in the interest of the thirty-two United Nations, hereby solemnly declare and give full warning of their declaration as follows:
At the time of granting of any armistice to any government which may be set up in Germany, those German officers and men and members of the Nazi party who have been responsible for or have taken a consenting part in the above atrocities, massacres and executions will be sent back to the countries in which their abominable deeds were done in order that they may be judged and punished according to the laws of these liberated countries and of free governments which will be erected therein. Lists will be compiled in all possible detail from all these countries having regard especially to invaded parts of the Soviet Union, to Poland and Czechoslovakia, to Yugoslavia and Greece including Crete and other islands, to Norway, Denmark, Netherlands, Belgium, Luxembourg, France and Italy.
Thus, Germans who take part in wholesale shooting of Polish officers or in the execution of French, Dutch, Belgian or Norwegian hostages of Cretan peasants, or who have shared in slaughters inflicted on the people of Poland or in territories of the Soviet Union which are now being swept clear of the enemy, will know they will be brought back to the scene of their crimes and judged on the spot by the peoples whom they have outraged.
Let those who have hitherto not imbrued their hands with innocent blood beware lest they join the ranks of the guilty, for most assuredly the three Allied powers will pursue them to the uttermost ends of the earth and will deliver them to their accusors in order that justice may be done.
The above declaration is without prejudice to the case of German criminals whose offenses have no particular geographical localization and who will be punished by joint decision of the government of the Allies. »
Les documents
Le texte intitulé « Conférence interalliée du 13 janvier 1942 » est un communiqué officiel publié par le Comité national français dans le Journal officiel de la France Libre du 20 janvier 1942. Il comprend la déclaration du général de Gaulle et la déclaration commune des représentants des gouvernements alliés en exil en Grande-Bretagne, réunis le 13 janvier 1942 à Londres, au palais Saint-James sous la présidence du général Sikorski, premier ministre du gouvernement polonais en exil. Le Journal officiel est rédigé par le lieutenant François Marion, chef de bureau au Commissariat national à la Justice de René Cassin.
Coll. Fondation de la France Libre
Ces deux déclarations ont également été publiées dans un article intitulé « Third Inter-Allied Conference. Declaration Based on the Hague Convention », dans le n° 15 de La Lettre de la France Libre. News of the Free French Movement, en février 1942, p. 7-9. Bulletin bimensuel puis mensuel comprenant une édition française et une édition anglaise, La Lettre de la France Libre est rédigée par les services d’information de la France Libre (la « French Information Mission »), installés au quartier-général de la France Libre, à Carlton Gardens, à Londres. Elle paraît à partir du 20 janvier 1941, avant de devenir La Lettre de la France Combattante : News of Fighting France en août 1942 (vol. 2, n° 21), La Lettre de la France au combat : News of France at war en août 1943 (vol. 3, N° 7) puis Tricolore : News of France at war de mars 1944 (vol. 4, n° 1) à décembre 1945 (vol. 5, n° 4).
Coll. Fondation de la France Libre
Ces deux périodiques sont publiés par la Société des Éditions de la France Libre, installée au 4, Carlton Gardens. Le général de Gaulle en est l’actionnaire principal, et les administrateurs sont des dirigeants de la France Libre.
Le texte
Le Journal officiel de la France Libre manifeste la volonté de la France Libre et de son chef, le général de Gaulle, d’incarner et de représenter la France captive jusqu’à sa libération, avec un gouvernement – le Comité national français depuis le 24 septembre 1941 – et une armée – les Forces françaises libres. Comme tout journal officiel, il reproduit les textes juridiques (ordonnances, décrets, arrêtés) et les informations juridiques officielles.
Après une brève présentation de la conférence et de la délégation française (paragraphes 1 à 3), il reproduit la déclaration du général de Gaulle puis la déclaration commune des gouvernements alliés.
Si La Lettre de la France Libre est, comme le Journal officiel de la France Libre, édité par les autorités de la France Libre, son but est différent. Rédigé par les services d’information de la France Libre, il manifeste davantage une volonté de propagande. Son objectif n’est pas de diffuser des textes ayant une portée légale, mais d’informer. De ce fait, les deux déclarations, publiées cette fois dans l’ordre chronologique, sont précédées non seulement d’une mise en contexte, présentant plus précisément le déroulé de la conférence, mais aussi de commentaires. Nous apprenons ainsi que la déclaration que « la déclaration était fondée sur la convention de La Haye de 1907 interdisant aux belligérants de perpétrer des actes de violence à l’encontre des civils dans les pays occupés ».