La répression effective des Français libres
Le sort des Français qui tentent de rejoindre la France Libre
De nombreux Français ont été arrêtés par les autorités vichystes, dans l’Empire ou dans le cadre de l’armée de l’armistice, et par les forces d’occupation, alors qu’ils tentaient de rejoindre la France Libre.
Arraisonné le 7 octobre 1940 alors qu’il tente de rallier Gibraltar sur un yacht parti de Marseille, André Ploix est condamné par le tribunal maritime de Toulon à cinq ans de détention et à la dégradation pour désertion à l’étranger. Interné successivement à Toulon, Saint-Étienne, Gannat et Riom, il est libéré sous condition le 23 juillet 1943 et assigné à résidence à Grenoble, mais s’évade de France par l’Espagne en octobre 1943.
Le mécanicien Charles Broglin, capturé en tentant de passer en Palestine le 17 novembre 1940, est condamné à mort et à la dégradation militaire par la cour martiale de Damas. Enfermé au secret au Fort Weygand, il ne doit qu’à l’arrivée des Britanniques, en juillet 1941, d’échapper au peloton d’exécution (voir « Condamné à mort par Vichy », Ils ont rejoint de Gaulle, p. 109-113).
Le 13 février 1941, quinze jeunes gens sont pris par les Allemands alors qu’ils se dirigent vers l’Angleterre à bord d’un cotre ; les deux meneurs, Jean Magloire Dorange et Pierre Devouassoud, sont fusillés ; leurs treize compagnons sont condamnés à des peines d’emprisonnement et déportés en Allemagne, où deux d’entre eux trouvent la mort (voir le témoignage du général Valin et celui d’Alain Lefort).
La même année, Jules François Clermont, avocat né à Batna (Algérie) en 1894, est condamné à cinq ans de travaux forcés et à la confiscation de ses biens, avec un ami alsacien, pour avoir aidé des civils et des militaires à quitter Madagascar et traverser le canal de Mozambique. Le 21 octobre, après plusieurs mois d’emprisonnement, ils sont embarqués à bord du Compiègne à destination du bagne de Marseille. Mais, le 3 novembre, leur convoi est arraisonné au large de Durban par les Britanniques. Là, les deux hommes s’engagent dans les Forces françaises libres (voir le récit de Jules Clermont, publié dans un journal français libre de l’époque, et « Madagascar dans la guerre »).
Le 6 mars 1942, trois jeunes marins tentent de détourner le cargo Gabriel Guist’hau vers Gibraltar. Jugés pour cet acte de mutinerie devant le tribunal maritime de bord séant à Oran, Jacques Pillien et Paul Peyrat sont fusillés le 23 mars à Mers-el-Kébir ; Yves Le Carboullec est condamné aux travaux forcés et envoyé au bagne de Constantine, où il reste jusqu’à sa libération le 31 janvier 1943.
La lutte entre la France Libre et Vichy pour le contrôle de l’Empire colonial
Dans la lutte qui oppose gaullistes et pétainistes pour le contrôle de l’Empire, les autorités coloniales vichystes n’hésitent pas à déplacer ou renvoyer en métropole les éléments jugés suspects et internent de nombreux « dissidents ».
Edmond Louveau, administrateur de Haute Côte-d’Ivoire (Haute-Volta, actuel Burkina Faso) qui a annoncé son ralliement à de Gaulle après avoir entendu l’appel du 18 juin, est attiré à Dakar par le gouverneur général Boisson, arrêté en août 1940, mis en résidence surveillé puis jeté en prison. Condamné à vingt de prison et incarcéré avec de nombreux autres Français libres à la prison de Gannat (Allier), puis à celle de Riom (Puy-de-Dôme), il s’en évade en décembre 1943, quitte la France par l’Espagne et gagne en février 1944 Alger, où il sert au commissariat aux Colonies.
En septembre 1940, l’échec de l’opération franco-britannique sur Dakar voit la capture de plusieurs membres du corps expéditionnaire (Claude Hettier de Boislambert, Fred Scamaroni, Jacques Soufflet…) et l’arrestation des gaullistes qui devaient préparer le ralliement du territoire, comme le directeur d’école Maurice Kaouza. De son côté, Marcel Campistron, administrateur de la subdivision de Foundiougne, et le lieutenant Antoine Lascombe parviennent à passer en Gambie, d’où il rejoignent le général de Gaulle.
Certains parviennent à s’évader, comme le colonel de Larminat, trois jours après sa condamnation aux arrêts de forteresse à Damas le 27 juin 1940 ; d’autres sont libérés à la suite du ralliement du territoire à la France Libre, comme l’exploitant forestier Maurice Jourdan, placé en résidence forcé par le gouverneur du Gabon.
Si les nombreuses condamnations à mort prononcées à l’encontre des Français libres par les tribunaux civils et militaires vichystes n’ont, dans la plupart des cas, pas été suivies d’effet, plusieurs Africains, racisme aidant, ont été exécutés : deux marchands béninois (Albert Idohou et Agoussi Wabi) membres d’un réseau d’assistance aux agents de la France Libre et un garde-frontière nigérian (Aloysius Odervole), condamnés à mort par le tribunal militaire permanent de Dakar pour avoir organisé des évasions, sont fusillés le 10 novembre 1941. Dans la Côte française des Somalis, des bédouins sont fusillés pour avoir été trouvés porteurs de messages de la France libre, alors même qu’ils ignorent la nature des plis transportés, et six tirailleurs connaissent le même sort, en 1942, pour avoir tenté de rejoindre les FFL.
Cette lutte prend à plusieurs reprises la forme d’un affrontement entre armées régulières, au Gabon en novembre 1940, au Levant en juin 1941. Lors de cette guerre fratricide, les lois de la guerre ne sont pas toujours scrupuleusement respectées. Par exemple, l’adjudant Jacques Tartière, chef du peloton motocycliste de la Légion, est abattu dans le dos, à Damas, le 18 juin 1941, par un officier vichyste alors qu’il rejoignait sa moto, après avoir obtenu la reddition d’une unité adverse (voir également le témoignage de Jacques Herry). Toutefois, les FFL sont compris dans l’armistice franco-britannique de Saint-Jean-d’Acre (14 juillet 1941), qui prévoit l’échange des prisonniers. C’est le cas du capitaine Harry de Villoutreys qui, gravement blessé et fait prisonnier par les vichystes au sud de Damas, est transféré en France pour y être soigné, avant d’être renvoyé au Levant.
Le statut des Français libres en uniforme, du point de vue de l’ennemi
Le statut des Français libres en uniforme engagés contre les forces de l’Axe n’est pas non plus définitivement tranché.
En 1940, dans les premiers mois qui suivent la formation des FFL, ont lieu deux affaires qui sont révélatrices du problème. Seul survivant d’un bombardier abattu au-dessus d’Addis-Abeba par la chasse italienne le 8 septembre 1940, Pierre de Maismont est fait prisonnier et condamné à mort comme franc-tireur. Gracié, sans le savoir, par le duc d’Aoste, vice-roi d’Abyssinie, il est libéré, avec Robert Cunibil (abattu le 16 décembre et lui aussi condamné à mort, le 20), par l’avancée des Britanniques le 24 avril 1941, au terme de sept mois de captivité.
Devant la menace que font peser sur ses hommes les dispositions des armistices franco-allemand et franco-italien sur les Français poursuivant la lutte, l’amiral Muselier, commandant des Forces navales françaises libres et commandant provisoire des Forces aériennes françaises libres, fait savoir que, si l’ennemi les traite en francs-tireurs, il fera pendre deux Allemands ou trois Italiens pour un Français libre fusillé (voir « Sous le signe de la croix de Lorraine »).
Plus tard, après la sortie des troupes de Kœnig de Bir Hakeim, le 11 juin 1942, 600 à 650 Français libres sont faits prisonniers par les Allemands. Le lendemain, la radio de Berlin ayant annoncé qu’ils seraient traités comme des francs-tireurs, de Gaulle fait diffuser par la BBC, avec l’accord du gouvernement britannique, le communiqué suivant : « Si l’armée allemande se déshonorait au point de tuer des soldats français faits prisonniers en combattant pour leur patrie, le général de Gaulle fait connaître qu’à son profond regret, il se verrait obligé d’infliger le même sort aux prisonniers allemands tombés aux mains de ses troupes. » La question disparaît ensuite jusqu’à l’intégration en 1944 des maquisards aux forces alliées.
En juin 1944, des parachutistes français libres du Special Air Service (SAS) sont largués en Bretagne pour couvrir le débarquement allié en Normandie. Dans un contexte d’extrême violence, on relève de nombreuses exécutions sommaires. Sept parachutistes sont abattus, avec huit FFI et trois fermiers, près de la ferme de Kerihuel le 12 juillet ; deux autres, faits prisonniers à Malestroit, sont exécutés au fort de Penthièvre le 13 ; sept sont abattus avec un civil près de la ferme de Kerlanvaux le 14, etc. Le 18 juillet, quatorze SAS et FFI détenus à la prison de Pontivy sont fusillés à Bieuzy-les-Eaux.
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