Comment Joseph Perceval, Compagnon de la Libération, réussit à rejoindre la France Libre
Par Maurice Jourdan
Engagé volontaire au 1er Régiment de Zouaves le 26 avril 1932 et ayant servi aux Goums marocains, Joseph Perceval fut admis à l’École spéciale de Saint-Maixent le 3 octobre 1937.
Il fut nommé sous-lieutenant à titre définitif le 22 août 1939, Affecté au 109e Régiment d’infanterie, il fait la drôle de guerre et mérite la citation ci-dessous à l’ordre de l’armée.
Citation à l’ordre de l’armée
Ordre N° 1.155 du 31 août 1942
« Chef d’un Groupe Franc, a, pendant les combats livrés en Lorraine, après une attaque allemande, exécuté seul une reconnaissance à 2 kilomètres à l’intérieur des lignes ennemies et rapporté des renseignements très importants.
« Le 7 Juin, à Crapeau-Ménil, a permis la reprise d’une compagnie violemment pressée, en tenant tête avec son seul Groupe Franc à un ennemi, qui, surpris par cette résistance acharnée, ne progresse plus. »
Blessé le 7 juin 1940 par deux éclats d’obus aux épaules et quatre aux reins, Perceval réussit, malgré ce handicap, à se replier avec une partie de son Groupe Franc.
Les Allemands avancent rapidement, Perceval et ses hommes sont à pieds, ils marchent la nuit et se cachent le jour. Avec sa carte Michelin, il recherche l’itinéraire le plus boisé.
Les boches sont partout ; mais de l’orée d’un bois au coin d’un boqueteau l’esprit « Corps Francs » reprend le dessus et l’on fait un carton au F.M. sur quelques isolés puis l’on se replie en vitesse ; la guerre manière « résistance » est déjà réalisée avant la lettre.
Ils sont morts de fatigue. Le ravitaillement commence à manquer malgré un rationnement étudié pour plusieurs jours (singe, biscuits de guerre).
L’équipe arrive, enfin, devant une rivière : l’Aisne. Une barque à moitié pleine d’eau est échouée dans les herbes. Perceval a une idée de génie : continuer leur voyage par voie fluviale ; les casques font d’excellentes écopes, un peu d’argile pris à la berge sert à colmater les quelques fissures qui laissaient entrer l’eau.
Si la plupart des hommes ne savent pas nager, Perceval, par contre, excelle dans cette discipline ; il embarque ses gars qui se couchent sur le plancher, se met à l’eau et tient le bout de cordage entre ses dents, ce qui lui permet de mettre la « barcasse » dans le courant et de lui donner l’allure d’une épave qui descend au fil de l’eau.
La rivière n’est pas bien large, il s’agit pour Perceval de maintenir la nef au milieu du courant en se trouvant toujours masqué par l’embarcation.
Pendant des heures tout se passe bien.
Une route longe le cours d’eau, elle est en remblai. Un boche, par jeu, essaie son adresse au mousqueton et place une balle dans la coque qui, sans blesser personne, fait un petit trou à babord et un plus grand à tribord, l’eau rentre. Vite, un lambeau de chemise pour obturer les voies d’eau « in petto », le champ de tir est baptisé de la belle façon.
La nuit est venue, la faim aussi. Perceval est mort de froid. Une maison genre ferme est près de la rivière ; pas d’ennemis en vue, on aborde. Les locaux sont vides, les habitants ont fui. On prospecte pour trouver de quoi se nourrir; deux poulets perchés sur une roue de charrette assurent le souper. Pour le coucher, la grange est là. Ils ont tous hâte de s’allonger dans la paille et de dormir enfin au chaud. Perceval souffre beaucoup, le bain à réouvert les six blessures au cou et aux reins.
Au petit jour, quel réveil ! Des Allemands en mal de maraude comme tous les soldats du monde, pénètrent dans la grange et découvrent le reste du Corps Franc qui se trouve dans l’impossibilité de résister : plus de munitions et la surprise. Une croix de fer, pour le Felwebel, gagnée sans grands risques.
« Ein Offizier mit sieben soldaten. »
Fini le problème du transport. Ce sont les Verdurets qui en ont la charge – camions dans l’un, des soldaten, dans l’autre, l’officier.
Arrivée au P.C. mobile de l’unité qui descendait sans difficultés nach gross Paris, interrogatoire. Perceval est quasi-muet. Est-ce d’avoir nagé une journée entière ou plutôt pour ne pas se trahir; d’ailleurs, il ignore tout de la situation de l’armée française ; il enrage de ne pouvoir continuer à se battre.
On arrive à Paris par la porte de Flandres, là on change de camion, les prisonniers sont regroupés, ils sont dirigés sur diverses casernes. Perceval, lui, est bouclé dans les locaux et le parc de l’Élysée. On ne sait plus où les mettre, il y en a trop. Vite, il arrache ses galons de sous-lieutenant. Un officier de moins, un soldat de plus.
On fait l’appel des gradés, l’officier « Berseval » ne répond pas à l’appel de son nom; il fouine partout dans le parc. Un magnifique tas de charbon monte le long d’un mur; cela lui donne des idées d’évasion. Il retrouve un autre officier et lui propose « la belle » ; l’autre lui répond : « Pas question, la guerre est finie, dans un mois, je serai à la maison ». Sur ces entrefaites, on appelle « à la zoupe » où tous se précipitent; la nuit tombe. Perceval, quoique ayant faim, file vers le tas de charbon, atteint le faîte du mur, jette un coup d’oeil : deux agents ! Il faut attendre qu’ils soient loin, puis, c’est le saut.
Libre, mais en tenue militaire bien voyante. Une chance, un civil qui, malgré le couvre-feu, rentre avec son vélo. Il interpelle le fugitif qui s’apprête à détaler.
– Prisonnier évadé ?
– Oui !
– Venez avec moi.
Ce brave Français, l’emmène, le fait dîner, tamponne ses plaies avec de la teinture d’iode, lui explique que les patrouilles ennemies circulent partout et qu’il y a des risques. Il est préférable d’attendre le petit jour pour filer en civil avec le vélo qu’il va lui prêter afin de se rendre à Saint-Maur où son oncle est directeur d’école.
– J’irai là-bas récupérer ma bicyclette, vous n’avez qu’à suivre la Seine, c’est tout simple.
À Saint-Maur, l’oncle l’équipe, l’habille, lui donne de l’argent, un autre vélo et en route vers la Loire qu’il traverse en amont d’Orléans, nageant en tirant ou en poussant le vélo qu’il a équipé de flotteurs barbotés dans le stock d’une scierie.
Après bien des émotions, il réussit à rejoindre l’armée française et, mis en subsistance, il finit par être affecté au 41e Régiment d’Infanterie. Il fait des pieds et des mains pour être envoyé au Maroc, aux Zouaves, son arme d’origine.
Nommé lieutenant, il est mis à la disposition du général commandant supérieur du Maroc ; il embarque à Marseille pour Casablanca où il arrive le 9 novembre 1940. Pris en charge par le 7e R.T.M. désigné pour l’A.O.F., il est embarqué pour Dakar et de là, muté au R.T.S. DT. à Sakélé (Dahomey) où il arrive le 13 novembre 1941. Après avoir, une fois de plus, emprunté une bicyclette – celle du planton – il rejoint et passe la frontière du Nigeria, se fait reconnaître. Les Anglais le dirigent sur Fort-Lamy et le 15 janvier 1942, il est Français Libre.
Le 25 juin 1942, il est promu capitaine et son existence va se confondre avec la 12e portée du R.T.S.T. puis avec la 2e du R.M.T. de la division Leclerc.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 194, janvier-février 1972.