Le groupe de bombardement n° 1
Les origines
Période juillet 1940 – 24 décembre 1940
Courant juillet 1940 le lieutenant-colonel Pijeaud, chef d’état-major des Forces armées françaises libres (F.A.F.L.) organise à Londres l’aviation de la France Libre : les équipages venus de France et d’Afrique du Nord se regroupent dans les camps de la R.A.F., s’initient aux méthodes et au matériel britanniques et sont reclassés.
Le 25 août une première unité quitte Liverpool pour l’Afrique sous les ordres du lieutenant-colonel de Marmier ; elle comprend six bombardiers bimoteurs Blenheim, quatre avions d’observation Lysander, deux chasseurs Dewoitine et deux avions de liaison Luciole. Le Cameroun s’étant rallié cette formation prend terre à Douala début octobre et en quelques jours est prête à agir sur l’axe des communications Côte occidentale d’Afrique Moyen-Orient maintenant vital pour les Alliés.
Le 18 octobre une deuxième formation quitte Glasgow pour l’Afrique sous les ordres du capitaine Astier de Villatte ; il s’agit cette fois d’une escadrille homogène de huit Blenheim qui, de Takoradi rejoint Maiduguri au nord-est de la Nigeria, toujours sur le grand axe ouest-est de l’Afrique centrale.
Entre temps, la totalité des territoires de l’Afrique équatoriale étant ralliés et réorganisés, le 10 décembre le général de Larminat, haut-commissaire et commandant en chef pour l’A.E.F. et le Cameroun, décidait de dissoudre la formation de Marmier.
Le lieutenant-colonel de Marmier rejoignait le général Catroux au Caire, il devait se charger de regrouper les aviateurs qui, comme leurs camarades d’Angleterre, avaient pu s’évader de Syrie, nous les retrouverons plus tard ;
– Les six Blenheim et un Luciole étaient constitués en escadrille et envoyés à Fort-Lamy ;
– Les quatre Lysander étaient répartis en A.E.F., sous les ordres du lieutenant-colonel Carretier commandant de l’air A.E.F. ;
– Les deux Dewoitine devaient théoriquement servir à l’entraînement à Bangui, en fait les pilotes de chasse disponibles furent dirigés sur l’Égypte, après s’être battus en formation R.A.F. ils devaient sous le commandement du commandant Tulasne constituer le noyau du groupe Alsace.
Cinq mois après l’armistice, à la veille de Noël 1940, la France Libre dispose en un point crucial des opérations de deux unités bien équipées, déjà familiarisées avec les difficultés africaines et impatientes d’agir.
Constitution du premier groupe des F.A.F.L.
Noël 1940 – Mars 1941
Opérations de Koufra
Le commandement décide de supprimer la menace que constituent Koufra et El Aouenat dans le sud de la Libye. De ces deux points l’aviation italienne fait peser une constante menace sur la route des avions que la R. A. F. envoie en toute hâte en Égypte et au Soudan pour renforcer les maigres forces dont dispose alors le général Wavell pour faire face aux Italiens de Cyrénaïque à l’ouest et aux Italiens d’Abyssinie au sud.
Le général de Larminat confie le commandement des forces françaises au colonel Leclerc ; les préparatifs sont commencés immédiatement à Fort-Lamy dans le cadre des plans antérieurement étudiés, en particulier par le lieutenant-colonel d’Ornano.
Le commandement décide la création du groupe réservé de bombardement N° 1 sous les ordres du commandant Astier de Villatte.
Le 24 décembre est né le premier groupe d’aviation de la France Libre. Sa formation est la suivante :
– première escadrille à Fort-Lamy sous les ordres du capitaine Lager avec six Blenheim et un Luciole de liaison ;
– deuxième escadrille à Maiduguri sous les ordres du lieutenant de Saint-Péreuse avec huit Blenheim.
C’est tout de suite la fièvre, avec mes deux adjoints, le capitaine Flury-Hérard et le lieutenant Roques, nous montons notre P.C. au terrain de Fort-Lamy et organisons l’attaque de Koufra ; le terrain de départ sera Ounianga en plein Sahara à 600 kilomètres au sud de Koufra :
– à travers la partie la plus rébarbative du Sahara il faut acheminer des tonnes de vivres, de carburants, de rechanges et de munitions ; sur 450 kilomètres de Fort-Lamy à Faya les carcasses des camions attestèrent tout de suite que vaincre le désert n’était pas la plus aisée des victoires ; sur 150 km de Faya à Ounianga les chameaux relayaient les camions ;
– à Ounianga terrain prévu pour des Potez 25, il faut aménager un aérodrome pour que puissent partir des bombardiers chargés à la limite de bombes et d’essence ;
– il faut en outre reconnaître l’objectif ; ce sera le travail du capitaine Lager qui part avec deux Blenheim le 28 décembre ; l’un d’eux ne rentre pas mais Lager rapporte de précieuses photos et des renseignements qui serviront de base au plan d’attaque.
Tout est prêt et le 30 janvier les deux escadrilles rejoignent Ounianga ; c’est la première réunion du groupe sur un même terrain, des 14 équipages pas un seul ne doute que le départ sait enfin pris pour le grand retour.
Le 2 février première mission ; le terrain d’aviation de Koufra est bombardé en semi-piqué et mitraillé. Le 5 février le groupe renouvelle son attaque sur le terrain. Le 10 février dernière mission : cette fois c’est le fort où se sont réfugiées les troupes italiennes qui est bombardé. Les résultats sont : un dépôt de carburant brûlé, les avions au sol détruits, l’aviation italienne se replie au nord sur un terrain à 100 kilomètres de Koufra. Les Italiens ne pouvaient comprendre cette attaque venant du sud, elle désorganisa complètement leurs plans et 15 jours plus tard Koufra tombait, l’audace du colonel Leclerc avait vaincu dans des conditions qui auraient fait reculer le plus audacieux.
Il ne reste plus d’essence, plus de bombes, plus de cartouches, et, à part quatre avions tous les Blenheim sont en panne. L’ordre de retour est donné mais le groupe a payé très cher son premier contact avec l’ennemi :
– quatre tués, un mutilé et trois prisonniers ;
– quatre avions perdus, six nécessitant de grosses réparations.
Campagne d’Abyssinie
20 mars 1941 – août 1941
Le groupe est alors affecté au 203e Group de la K.A.F. à Karthoum, il devient le Free French Squadron de Gordon Tree, terrain à quelques kilomètres au sud de Karthoum en bordure du Nil Blanc. À partir du 24 mars les missions se succèdent chaque jour sur Debra-Marcos, Asmara, Adoua, Amba-Alaghi, Debra-Thabor, Bahar-Dhar, Gondar au fur et à mesure que l’étau allié se referme sur les troupes du duc d’Aoste dans la région du Lac Tana.
Le 13 mai première victoire aérienne, l’équipage Astier de Villatte-Lager-Jean descend un CR 42 près de Gondar. Le 20 juin premier vol de nuit du groupe par l’équipage Astier de Villatte-Hughes-Rat qui attaque au lever du jour le terrain d’Azozo-Gondar mitraillant et bombardant avions et hangars.
Fin juillet la campagne d’Abyssinie prend fin et le groupe reçoit l’ordre de rejoindre la Syrie ; cette deuxième prise de contact lui a encore coûté très cher puisque aux camarades tombés lors des opérations de Koufra il faut ajouter : neuf tués et que sans le parc de Karthoum il n’y aurait plus qu’un seul avion.
Le lieutenant-colonel Astier de Villatte prend le commandement des F.A.F.L. du Moyen-Orient, il est remplacé à la tête du groupe par le lieutenant-colonel Pijeaud, en l’attendant c’est le capitaine de Saint-Péreuse qui le commande par intérim.
Campagne de Libye
1er août 1941 – 2 mars 1942
Le colonel Valin prend la décision de donner aux groupes des F.A.F.L. des noms de provinces françaises ; je lui propose pour mon G.R.B.1 le nom de Lorraine en souvenir des 11e et 12e d’aviation de Metz et Nancy qui incarnaient toute l’aviation de bombardement née de la grande guerre et aussi parce que c’est là que j’avais volé pour la première fois.
En six mois les pertes avaient fait fondre les effectifs ; je ne parle pas du matériel qu’il fallait remplacer de A jusqu’à Z ; c’est à Damas que se reformera le groupe grâce à l’appoint :
– de six équipages engagés provisoirement sur Glenn Martin dans un groupe de la R.A.F. et retirés de Libye après quelques missions ;
– de six équipages formés avec les aviateurs ralliés à la France Libre en Syrie ;
– d’une centaine de spécialistes et divers ralliés en Syrie qui prennent la place des spécialistes anglais prêtés par la R.A.F. ; – d’une compagnie de chasseurs libanais, la guerre dans le désert nécessitant l’emploi de troupes à terre pour la garde des terrains et certaines servitudes, cette compagnie sera commandée par le capitaine Bourgoin.
Le 16 octobre le groupe quitte Damas pour Abu-Sueir près du Caire ; le 13 novembre il part pour le désert de Libye où les forces britanniques viennent de déclencher leur première grande offensive. En attendant l’arrivée imminente du lieutenant-colonel Pijeaud le groupe est commandé par le commandant Corniglion-Molinier, mon adjoint, qui a la charge des unités engagées.
Avec les trois autres groupes du Wing de la R.A.F. dont il fait partie, le groupe Lorraine est engagé le 21 novembre sur la frontière italo-égyptienne en pleine bataille de chars ; les missions solitaires sont maintenant du domaine du passé, il faut se plier à la discipline du vol de groupe, les Français prennent contact avec la guerre des matériels.
La bataille fut sévère, la D.C.A. des chars de l’Afrika-Korps et les Messerschmitt sont des obstacles redoutables. Le 17 décembre le lieutenant-colonel Pijeaud avait pris le commandement du groupe ; à sa première mission le 20 décembre, il était abattu, grièvement blessé, soigné comme prisonnier à l’hôpital de Benghasi, libéré par les Anglais il devait mourir en pleine conscience et en pleine sérénité à Alexandrie le 6 janvier 1942.
Au cours de ce combat aérien le groupe enregistrait sa deuxième victoire aérienne, l’équipage Ezzano-Patureau Rat descendait un Messerschmitt 109.
Sous le commandement du commandant de Saint-Péreuse le groupe basé à Cambut assure le nettoyage de la passe d’Halfaya par le haut, des unités des Forces françaises libres sous les ordres du général de Larminat assurant ce nettoyage par le bas. Le 26 janvier, la place est nette mais le groupe doit être retiré des opérations.
– La liste de ses morts s’est allongée de 13 noms.
– Huit Blenheim ont été détruits, les autres ne sont pas très brillants.
Le 2 mars à Rayak le groupe recevait des mains du général Catroux, en présence de M. Naccache, président de la République libanaise, la fourragère aux couleurs de la croix de guerre, en un an il avait jalonné l’Afrique de ses morts et de ses victoires. À cette date il était la première unité de la France Libre à avoir reçu trois citations :
– Pour Koufra :
« Sous les ordres du commandant Astier de Villatte a participé aux opérations de Koufra. A réalisé de nombreuses missions de reconnaissance et de bombardement rendues plus difficiles par l’éloignement des objectifs. »
Signé : de Gaulle
– Pour l’Abyssinie :
« Sous les ordres du commandant Astier de Villatte a effectué plus de 50 missions de reconnaissance, bombardements, attaques de convois, prises de vues photographiques dans des conditions très difficiles à grande distance de sa base. A notamment participé aux opérations de Bahar-Dahr, de Debareht et de Chilga dans la région du lac Tena. »
Signé : de Gaulle
– Pour la Libye :
« Sous les ordres du commandant Corniglion-Molinier a effectué en moins d’une semaine 33 missions de guerre contre les forces italo-allemandes en Libye. Le 23 novembre au cours d’une mission au sud de Tobrouk a attaqué une colonne de 100 chars allemands réussissant des coups directs et détruisant plus du tiers de l’effectif. Cette action, menée en dépit d’une très vive réaction de l’ennemi, permit à une colonne blindée britannique de remporter un succès définitif. »
Signé : de Gaulle
À ces mois de brûlante activité devaient succéder des mois de semi-repos, affecté au Coastal Command le groupe attendait l’ordre d’embarquement pour l’Angleterre où le général de Gaulle avait décidé de grouper toutes nos forces disponibles pour l’ultime effort celui qui devait nous permettre de reposer le pied sur notre terre de France.
Paris, 27 mars 1960.
Astier de Villatte
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 29, juin 1950.