« France Quand Même », Comité Français Libre de Chine
Bien que modeste par le nombre, notre section de Shanghaï maintient avec le siège Social des relations constantes. Elle se souvient qu’elle est la fille d’un Comité Français Libre « France Quand Même » qui fut, par l’intensité des sentiments et la matérialisation en fait de ces sentiments, remarquables.
Nous donnons ci-dessous de larges extraits de cette activité tirée d’un rapport très complet de M. R. Pontet… que nous ne pouvons malheureusement publier in extenso.
Le 22 juin 1940 avait lieu, au Cercle de la police de la municipalité française de Shanghaï, une réunion des Français, rassemblés sous l’égide de l’Association des anciens combattants. À la suite de cette réunion, le télégramme suivant était envoyé au gouvernement à Paris : « Les Français de Shanghaï réunis sur l’initiative des anciens combattants, ayant confiance la plus absolue dans les destinées de la France, émettent le vœu d’une étroite union entre les deux empires alliés, pour la continuation de la lutte qu’ils sont prêts à soutenir de leurs personnes et de leurs biens ».
Cette réunion coïncidait avec la signature de l’armistice. Le même jour, dans un discours radiodiffusé, le général de Gaulle annonçait la formation d’un Comité National Français, pour la continuation de la guerre aux côtés de l’Empire britannique…
À Shanghaï, il y a eu un moment de stupeur et d’effroi. Mais les autorités diplomatiques et consulaires, suivies par un grand nombre de Français, emboîtant le pas à Indochine, se rallièrent aussitôt au gouvernement du maréchal Pétain.
Cependant il se trouva un groupe ardent de patriotes, qui ne voulant pas accepter la défaite, alors que nos alliés britanniques continuaient la lutte, s’élevèrent contre la capitulation et décidèrent de se rallier au mouvement du général de Gaulle. Au début d’août 1940, les anciens combattants étaient réunis à nouveau au Cercle sportif français, sur l’initiative d’Égal, président de l’association et de membres du comité : MM. Benoist, Jaspar et Morelieras. La création d’un groupement était décidée, en vue de s’opposer à l’armistice, de servir la cause de la libération et de participer, dans toute la mesure possible à la lutte poursuivie par le général de Gaulle contre l’envahisseur. Il lui fut donné le nom de « France Quand Même », dénomination déjà adoptée par plusieurs groupements d’Amérique.
Égal, président de l’Association des anciens combattants et promoteur du mouvement, s’entoura de collaborateurs de bonne volonté : Meunier, directeur de la Banque Franco-Chinoise, Gilles, journaliste, J. Reynaud, A. Reynaud, Grosbois, Clément, Jaspar, Benoist, Morelieras, Bouvier et R. Pontet. Ainsi se constitua le comité auprès duquel travaillèrent activement d’autres personnes : Mme Jobez, MM. Jehl, Allera, Baumgarten, Martolini, Lebas, Fermigier et tant d’autres qu’il serait trop long de citer. Égal se mettait en rapport avec le général de Gaulle. Un bureau était organisé à Kiangse Road avec l’aide de M. Doodha. Une permanence y était établie avec MM. Gilles, Abily, Mme A. Reynaud, MM. May, Alera. Plus tard – en février 1941 – un bureau plus important devait être ouvert à Peking Road.
Des réunions avaient lieu d’autre part, chez Meunier, chez Jaspar et chez d’autres amis. Peu après l’organisation du mouvement, Égal recevait, par l’intermédiaire des autorités britanniques, une nomination formelle comme délégué du général de Gaulle en Chine. Il envoyait ensuite à ce dernier la liste du comité du groupe « France Quand Même » de Shanghaï. Le mouvement était définitivement lancé et consacré.
Si nous voulons résumer maintenant les activités du groupement, ces activités peuvent être groupées sur trois chapitres : la propagande ; l’envoi de volontaires ; les collectes et les envois de fonds. Des services de renseignements et d’espionnage étaient, d’autre part, assurés par deux groupes spéciaux de notre mouvement.
La propagande. – Cette propagande s’est exercée surtout par le bulletin « France Quand Même » et par la radio. Son but a été : de faire connaître à tous l’œuvre entreprise par le Comité National du général de Gaulle ; de donner à nos compatriotes des nouvelles qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs ; de rallier les Français au mouvement de la libération ; de resserrer nos liens d’amitié avec nos alliés ; en un mot de servir la cause de la France et la cause des Alliés.
Peu de jours après la réunion, tenue au début d’août 1940 au Cercle sportif, paraissait le premier numéro de notre bulletin « France Quand Même ». Les premiers numéros ronéotypés étaient suivis, à partir du n° 8 du 7 octobre 1940, par des numéros imprimés paraissant toutes les semaines sur plusieurs pages. Grosbois fut le principal animateur et rédacteur de ce bulletin, ayant été placé à la tête du comité de propagande dont firent partie MM. Le Pallud, May, Lebas, Abily, Brusset, Marcuse et Pierard.
Articles originaux, nouvelles sur les opérations de guerre, articles de la presse française libre et de la presse alliée, comptes rendus des activités françaises libres dans le monde, documentation, polémique et nouvelles diverses rendirent ce bulletin vivant et varié. Le service en était assuré à la plupart des Français à Shanghaï. Le bulletin était envoyé également dans les autres grandes villes de Chine, en Indochine, au Japon, à Hong-Kong, de même qu’aux autres groupements du Pacifique et d’Amérique. Cette publication a répandu la voix de la France Libre en Extrême-Orient et a fait honneur à tous ceux qui y ont contribué.
À côté du bulletin « France Quand Même » la propagande fut encore assurée par nos émissions à la radio. Tout d’abord, à la station anglaise X.C.D.N., « la voix de la démocratie », où nous donnions des émissions deux fois par jour, à midi et le soir. À compter du 26 novembre 1940, ces émissions furent complétées par une autre émission, à la station américaine X.M.H.A. À ces stations parlèrent notamment Mme Jobez, Mme Mackay, Abily, Morelieras, Gilles, J. Reynaud, May, Brusset, Deruelle, Hall, Lebas. Nos amis belges Marcuse et Pierrard furent aussi des speakers dévoués.
Certes, il y eut des moments où ces speakers n’étaient pas tendres. Le ton des émissions fut quelquefois violent. C’étaient en effet des convaincus qui parlaient et il s’agissait de secouer la torpeur qui régnait sur Shanghaï. En l’espèce, nos speakers n’ont pas manqué de cran.
Toute cette propagande, par le bulletin et par la radio, était complétée par notre participation aux réunions et cérémonies alliées, par des rassemblements au Dôme, à la Royal-Air-Force, où Égal ne manquait jamais l’occasion de faire réserver une place d’honneur à notre mouvement.
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Mais la propagande n’était pas et ne pouvait être l’objet essentiel de notre activité. Cette activité devait surtout viser à apporter une aide plus directe et plus efficace à l’œuvre de la libération, c’est-à-dire à assurer le plus de départs possible de volontaires pour les Forces Françaises Libres.
La tâche de l’organisation des départs de volontaires pour les armées du général de Gaulle ne fut pas aisée, en dehors du risque même que prenaient ceux qui s’en chargeaient. Notre liste comprend cinquante-deux noms ; l’holocauste de nos documents le 8 décembre 1941 ne nous a pas permis de garder ceux des cent trois marins français de la marine marchande et ceux des quatre-vingt-quatre légionnaires renvoyés d’Indochine qui, eux aussi, sont partis au secours du pays.
Sont donc partis de Shanghaï deux cent trente-neuf volontaires et ce chiffre peut nous donner une juste raison de fierté.
Deux hommes se sont chargés spécialement de ce travail : Égal et J. Reynaud.
Travail risqué en ce qui concerne les militaires français et les marins de la marine de guerre, si risqué même que, si le départ des militaires n’a amené que des plaintes plus formelles qu’effectives, le départ des marins a enflammé la rage du commandant Ruynaud de Saint-Georges, lequel a décidé l’arrestation d’Égal ; J. Reynaud n’y échappant que de justesse.
Travail difficile aussi : Difficultés matérielles. Au début il aurait fallu payer des passages à 80 livres par personne, ce qui nécessita de nombreuses négociations ; puis il ne fallait plus avancer la somme nécessaire que pour le passage jusqu’à Hong-Kong ; il fallait aussi donner un petit pécule, 5 livres à 15 dollars U.S. Il fallait une organisation des visites médicales par un docteur agréé par l’Ambassade britannique, visites qu’il fallait prévoir de manière à éviter les indiscrétions; l’achat de vêtements civils et la création d’un véritable vestiaire pour les soldats ou marins ; l’installation des partants dans un lieu sûr et secret en attendant le bateau ; le camouflage des bagages.
À ces difficultés matérielles s’en ajoutaient d’autres : il y avait peu de résistance de la part des chefs de la police et de la municipalité, mais il serait exagéré de dire qu’on y trouvait la meilleure volonté. Il a fallu toute l’énergie d’Égal, soutenu par l’attaché militaire et par l’attaché de presse, pour briser cette passivité. Il a fallu même qu’Égal, dans une réunion avec l’ambassadeur britannique, prenne très courageusement sur lui toutes les responsabilités et tous les risques. « Le général de Gaulle, a-t-il dit, me demande des hommes. J’enverrai des hommes, quoi qu’il arrive ».
L’ardeur magnifique des volontaires et leur cran ; l’aide apportée par des Français comme Meunier, dont la maison à Hongjao a caché bien des volontaires en transit ; comme Jehl ; comme May, le spécialiste des bagages, étaient pour nous le meilleur encouragement pour la continuation de notre œuvre.
L’aide aussi de nos amis étrangers : vous connaissez tous le nom d’Eric Davies et il faudrait des pages pour relater tous les services rendus par lui et par ses amis. Citons Hubert, de la Canadian Pacific, qui arrangea pour les volontaires des séjours discrets à la Y.M.C.A. ; citons Carrière, qui embarqua trois militaires français comme marins hollandais sur un de ses bateaux ; citons Georges Guhl, le patron de la Brasserie Suisse Broadway, qui donna souvent un abri bien utile aux nôtres.
Une note comique : Eric Davies, commandant la Police spéciale, habilla un jour des volontaires en policiers bien spéciaux et ils passèrent tous cet uniforme devant d’autres policiers – des vrais – chargés de les repérer.
Rendons aujourd’hui hommage à tous ceux qui ont activement participé à l’organisation de ces départs ; envoyons le témoignage de notre admiration aux volontaires dont l’action a sauvé notre pays.
L’organisation du mouvement, la propagande, l’envoi de volontaires nécessitaient des fonds et l’établissement d’un service financier. Furent chargés de ce service, successivement Meunier, R. Pontet, Bouvier et enfin Andrefouet. Notre caisse fut approvisionnée par les contributions mensuelles des adhérents ; par des souscriptions faites dans des réunions ou, dans certaines circonstances, par des versements exceptionnels effectués soit par des membres du groupement, soit par des amis étrangers.
En présence de cette activité et de l’ampleur prise de jour en jour par notre mouvement, les autorités locales françaises s’impatientèrent. Les dénonciations, délations et calomnies étaient à l’ordre du jour, tandis que nos autorités s’efforçaient de contrecarrer nos efforts et notre propagande. Le recrutement des volontaires fut notamment leur bête noire. L’armée et surtout la marine, s’élevèrent violemment contre ce recrutement qui, disaient-elles, affaiblissaient leurs effectifs, mais qui en réalité ne faisait que jeter l’opprobre sur ceux qui restaient insensibles à l’appel de la patrie. De même pour le recrutement des policiers et des employés municipaux. Tout ce personnel était considéré comme intangible et comme nécessaire à une administration qui, pourtant, devait bientôt être rendue.
C’est surtout à ce propos que se produisit le choc avec les autorités. Dès octobre 1940, des menaces étaient proférées à la suite d’un premier départ de militaires. Les départs continuant, les autorités décidèrent d’arrêter le chef du mouvement.
Le 5 avril 1941, vers 6 h. 30 du matin, sur les ordres du capitaine de corvette Ruynaud de Saint-Georges, Cdt le « Francis Garnier », le Lt. de vaisseau Blanchard et le Lt. de Beaufort, accompagnés de plusieurs matelots, procédaient à l’arrestation d’Égal, dans sa chambre au Clements Apartments. Égal fut conduit à bord du « Francis Garnier ». Aussitôt les papiers d’Égal étaient enlevés de son bureau par J. Reynaud et A. Reynaud et transportés à l’ambassade britannique où nous en prîmes possession.
Pendant ce temps, Égal était embarqué pour Saïgon à bord du « Kindia ». Une tentative de la marine anglaise pour arraisonner le bateau et délivrer Égal échoua ; et ce n’est que plus tard, après être passé en jugement, qu’Égal fut enfin délivré, grâce à l’intervention des autorités britanniques qui prirent des sanctions économiques vis-à-vis de l’Indochine. En définitive, Égal dut être échangé contre une cargaison de marchandises et il revenait à Shanghaï, pour quelques jours, en octobre 1941. Une réception enthousiaste lui était réservée, tandis que les autorités françaises lui interdisaient l’entrée de notre concession.
Restant sous la menace des autorités, notre comité estima toutefois ne pas devoir désigner un nouveau chef, qui aurait pu être l’objet de nouvelles mesures de la part de ces autorités. Après l’arrestation d’ Égal, nous fûmes en effet l’objet d’enquêtes, d’investigations et d’interrogatoires.
Le mouvement poursuivit sa tâche ; les volontaires continuèrent à partir ; la radio et le bulletin continuèrent la propagande ; les adhérents continuèrent à apporter leurs versements. Seules quelques précautions furent prises. De temps en temps, des incidents se produisaient ; et à ce propos, il convient de signaler ici l’appui – sans doute inattendu et non soupçonné de la plupart d’entre vous – que nous avons reçu, dans certaines circonstances, de quelqu’un du consulat. En septembre 1941, quatre marins du « Bernardin-de-St-Pierre » ayant été pris en consigne par nous, avaient été installés, en attendant leur départ, chez notre ami suisse Georges Guhl, qui tenait un bar à Hongkew, 610 Broadway East. Sur les indications du capitaine au long cours Daunes, Cdt le « Bernardin-de-St-Pierre », les autorités consulaires françaises décidèrent de procéder à l’arrestation de ces marins, et, bien qu’avec certaines difficultés, obtinrent au préalable du consul général de Suisse, l’autorisation nécessaire pour pénétrer dans les locaux de son ressortissant. Nous ne nous doutions de rien, lorsque vers 5 h. du soir, je reçus la visite d’un émissaire venant du consulat qui me fit connaître qu’un ordre avait été donné à 4 h. 30 pour l’arrestation de quatre marins dans un bar de Hongkew. En me donnant ce renseignement, on ajoutait que je savais sans doute ce qu’il restait à faire. Je n’avais pas de voiture disponible à ce moment et je téléphonai immédiatement à M. Le Rougetel, conseiller d’ambassade britannique. Celui-ci me répondit qu’il allait s’occuper lui-même de la chose ; prenant sa voiture il se rendit aussitôt à Hongkew et il déménagea nos marins pour les mettre en lieu sûr. J’ai pu me procurer dernièrement le procès-verbal de la perquisition faite par l’agent du consulat, accompagné de policiers et de détectives. Il rend compte que la maison a été visitée de fond en comble et que les chambres ne portaient aucune trace du passage des hommes recherchés, si ce n’est un paquet vide de cigarettes françaises « Bastos », que le commissaire du bord reconnut comme provenant de son bateau. La perquisition n’ayant donné aucun résultat, un procès-verbal de recherches infructueuses fut établi.
Pour activer et développer le recrutement, M. Baron, représentant du général de Gaulle à Singapore (qui lui-même était déjà venu nous voir) envoya en octobre 1941, à Shanghaï, M. Jacosta qui devait former une compagnie composée d’éléments étrangers. M. Jacosta fut aidé principalement par M. May dans cette tâche.
Il convient de rappeler encore certaines de nos activités complémentaires et certaines de nos manifestations. Par exemple, notre participation à la création et au développement de l’« Argus », organe de propagande alliée, hebdomadaire illustré en langue anglaise ; la création avec les autorités britanniques du club « Parlons Français », où se tenaient les réunions hebdomadaires, où les sujets les plus divers étaient discutés, en français, par nos Alliés et nous-mêmes ; notre participation aux « Night Follies », œuvre de guerre alliée, avec une soirée française qui eut un immense succès ; notre participation à l’organisation du « Nine fifteen Club », donnant plusieurs séances cinématographiques par semaine, dans une magnifique salle du Cathay Hotel. À côté de cela, l’action et la propagande des Alliés étaient coordonnées et placées sous la direction d’un comité interallié, créé en mai 1941, comité comprenant des représentants de chacune des nations alliées et où nous figurions en bonne place. Dans toutes les circonstances, nous étions ainsi appelés à soutenir le point de vue français. Nos amis alliés, d’autre part, participèrent à la plupart de nos manifestations, nous donnant leur appui en toutes occasions. En dehors des cérémonies habituelles pour le 14 juillet et le 11 novembre, ce fut le cas notamment pour la cérémonie du 31 octobre 1941, à la mémoire des otages français assassinés par les nazis à Nantes et à Bordeaux. Ainsi que le disait alors notre speaker à la radio, « cette cérémonie, commencée le matin à l’aube, se prolongea tard dans la soirée, jusqu’à ce que le dernier bouquet et la dernière couronne aient été déposés sur le Bund au pied du monument aux morts que décoraient, parmi ces amas de fleurs, six grandes croix de Lorraine ». Français, Hollandais, Anglais, Norvégiens, Polonais, Grecs, Belges, Russes, chacun était venu, à son heure, déposer son offrande de fleurs, sachant que partout les Français et les amis de la France s’inclinaient devant les otages tombés sous les balles allemandes.
Les communications avec Londres demeurant difficiles, et la liaison encore insuffisante, manquant de directives de la part de nos chefs trop affairés ailleurs, en butte aux persécutions de nos autorités et de quelques-uns de nos compatriotes, nous maintenions ainsi le prestige français et luttions, dans la mesure de nos moyens, pour la cause de la libération.
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Nous arrivâmes de la sorte au 8 décembre 1941, date du déclenchement de la guerre du Pacifique. À ce moment Égal, après être resté quelque temps parmi nous, après sa libération d’Indochine, était reparti. La guerre devait le surprendre à Hong-Kong, où, s’étant mis à la disposition des forces britanniques, il fut fait prisonnier par les Japonais et interné dans les conditions que vous connaissez tous. Jacosta, parti également, devait se faire tuer quelques jours plus tard en essayant de s’évader. À Shanghaï, nous fûmes avisés du déclenchement des hostilités le 8 au matin de très bonne heure. Tous nos dossiers étaient déposés depuis longtemps à l’ambassade britannique, par mesure de sûreté. À notre bureau de Peking Road se trouvaient des archives et les documents de la propagande. May, Brusset, Pierrard et Marcuse se chargèrent de faire disparaître le plus possible des archives et documents de Peking Road. M. R. Pontet se rendit à l’ambassade britannique appelé par M. Alexander. Tous les coffres et les tiroirs de l’ambassade étaient vidés et le contenu était jeté dans des fours crématoires, approvisionnés par une vingtaine de personnes. Nos archives disparurent dans ce brasier et M. R. Pontet sortit de l’ambassade vers 8 h. du matin, au moment où les premières sentinelles japonaises étaient postées.
Après les menaces d’arrestation par les autorités françaises, ce furent alors les menaces d’arrestation par les autorités japonaises.
Avec la guerre du Pacifique, nos activités précédentes ont évidemment dû cesser ou plutôt être réduites et camouflées. Nos relations avec l’extérieur étaient coupées et nos réunions n’étaient plus possibles.
Par ailleurs, deux des nôtres travaillaient dans des services spéciaux, dans des postes dangereux, l’un en contact constant avec l’Intelligence Service britannique, dont un représentant se cachait à Shanghaï, l’autre avec les services chinois. Dans ce domaine, des collaborations ont été apportées même par des personnes n’appartenant pas au mouvement. Des officiers français ont participé à des reconnaissances dans les lignes japonaises autour de Shanghaï. Ces activités restaient secrètes, comme on peut s’en douter.
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Il va sans dire que nous avons pensé à établir en même temps une liaison avec l’ambassade de France à Tchonking, où se trouvaient les seuls chefs que nous puissions reconnaître.
Notre rapport apportait à l’ambassade tous renseignements utiles sur l’état de la colonie – officiels, civils, militaires. Il signalait le danger d’un coup de force imprévu des Japonais et prévoyait déjà ce qui allait se passer le 10 mars. Enfin, nous signalions nos efforts pour établir une liaison radiotélégraphique et nous demandions qu’on nous aide.
Dans un autre document, de la même date, nous exposions de manière très complète la situation financière difficile de la communauté française locale et nous prévoyions déjà l’application d’un régime communautaire.
Ces deux documents, qui étaient de première importance, furent envoyés en duplicata le 29 janvier 1945 avec un long rapport complémentaire signalant nos interventions auprès des autorités consulaires ; les difficultés nouvelles qui surgissaient dans la colonie française ; nos relations enfin avec les groupes chinois de services spéciaux et de l’armée.
La capitulation du Japon survint quelques jours après et, le 27 août, nous pouvions envoyer le dossier complet de toute notre correspondance. En même temps nous demandions instamment qu’un représentant de l’ambassade et, si possible, l’ambassadeur lui-même, vînt à Shanghaï.
L’arrivée de M. Pignol, puis de M. de Montousse et enfin de M. Filliol, nous a permis les contacts directs qui nous ont tant manqué et ce n’est pas sans un vif plaisir que nous avons reçu l’approbation entière de ces divers représentants de la France au sujet de la politique que nous avions suivie.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 35, février 1951.
À propos de « France Quand Même », Comité Français Libre de Chine
Nous avons reçu le 8 février une lettre de notre camarade Paul Chevillard, qui tient à situer l’action du Comité F.F.L. de Hong-Kong, parallèlement à celle du comité de Shanghaï, dont notre camarade Pontet avait retracé l’activité dans l’article « France Quand Même », Comité Français Libre de Chine, paru dans l’avant-dernier numéro de notre revue. C’est bien volontiers que nous publions certains extraits de cette lettre, qui témoignent des efforts et des réalisations du Comité F.F.L. de Hong-Kong :
« Monsieur le Secrétaire Général de l’A. F. L.
« Je vous serais fort obligé de vouloir bien faire insérer dans le Bulletin de mars 51 ma réponse à l’article de ce mois: « France Quand Même ».
« C’est avec un vif étonnement que j’ai lu les extraits d’un rapport consacré au « Comité Français Libre de Chine ».
« Certes, je ne méconnais pas le travail fait par nos camarades de Shanghaï pendant les années noires de 40-41 ; je tiens seulement à m’élever contre l’absence de toute mention de ce qui a été fait à la même époque par les Français Libres de Hong-Kong.
« Car, dans ce rapport « in extenso », pas une ligne où l’on reconnaisse ce qui a été fait pour la cause par le groupement que nous avions formé là-bas !
« Ignorerait-on toutes les difficultés que nous avons eues à surmonter ? et en particulier la campagne de haine et de calomnies en provenance de l’Indochine.
« Oui, nous avons eu à surmonter tout cela… eh bien, malgré toute la mauvaise volonté, la haine, malgré toutes les attaques, nous avons tenu bon et avons fait ce que nous voulions faire… nous avons rendu coup pour coup, intensifiant nôtre propagande…, faisant rejoindre les F.F.L., tous ceux qui, comme nous, voulaient continuer le bon combat…, certains d’entre nous ont même traversé la Chine pour, rôdant près de la frontière indochinoise, faire passer et ramener ceux qui s’évadaient de là-bas.
« Et cependant, nos moyens étaient limités car, nous n’étions pas riches…, je peux même dire que, du fait des hostilités, certains d’entre nous étaient réduits à la portion congrue…, nous nous sommes donc privés, saignés aux quatre veines pour continuer la lutte…
« Vint décembre et l’attaque brusquée japonaise sur Hong-Kong ! Les trois quarts des Français Libres de là-bas, auxquels se joignirent des marins du commerce évadés d’un navire vichyste, se mirent à la disposition du commandant de la forteresse.
« Ce détachement, dont je m’honore d’avoir fait partie, a tenu pendant plus de deux semaines (plus que Singapore) un poste avancé de la défense…, en l’espèce les bâtiments de la « Hong-Kong Electric » à North Point, près de la « Lyemoon pass ».
« Deux semaines de bombardement incessant par moyen et gros calibre !… Deux semaines d’attaques nocturnes continuelles, de coups de main !… Deux semaines d’alertes, presque sans nourriture !… Presque sans sommeil !… Nous avons néanmoins tenu bon et seule la reddition d’un fortin tenu par des Hindous sur notre droite nous a forcés à évacuer la place… Entre-temps, nous avions été félicités par le commandement et par le gouverneur de la place : Mark Young !
« Au cours de notre retraite, pour éviter l’encerclement, Égal, ce bon camarade, fut fait prisonnier presque à mes côtés et seule ma parfaite connaissance des lieux me permit de forcer mon chemin à travers les lignes nippones – le reste des Français Libres fut tué ou pris.
« Puis vint la reddition de la place du fait de manque d’eau (les réservoirs ayant été crevés par des bombes d’avion) ; je ne m’étendrai pas sur la dureté de l’occupation japonaise…, elle fut odieuse, j’ajouterai seulement ceci : qu’ayant réussi à m’évader de la place, à passer à travers l’enclave vichyste de Kwan Tcheou Wan, je traversai la Chine pour rejoindre Kunning où se trouvait le capitaine May…, puis les Forces Françaises Libres.
« Je termine en disant simplement ceci : si ce que j’ai écrit, si ce qui précède peut faire sortir de l’oubli ce que nous avons fait à Hong-Kong en 1940 et en 1941, si cela peut mettre en relief les caractères de tous les bons Français, qui ont œuvré là-bas pour le bien de la France, alors je m’estimerai heureux. »
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Il va de soi que nous n’avions nullement cherché, pas plus que l’auteur de l’article précité, à passer sous silence l’action valeureuse de nos camarades de Hong-Kong. Seul, un manque d’informations, et nous nous en excusons, est à l’origine de cette omission, que nous sommes très heureux d’avoir ainsi pu réparer.
Extrait de la Revue de la France Libre, n°37, avril 1951.