Une évasion retentissante
“Mieux vaut crever libre que vivre sous la contrainte.”
Cette phrase lapidaire, combien de jeunes gens, ou de moins jeunes, l’ont répétée pendant les sombres années où la France n’était plus qu’une prison ?
D’une prison l’on s’évade. Et c’est ce que firent les plus audacieux, les plus forts… ou les plus heureux.
L’évasion était un sport passionnant et terrible. La récompense en était la liberté. L’échec équivalait le plus souvent la mort.
Quoi d’étonnant, dans ces conditions, si les aviateurs de notre armée de l’air se taillèrent la part du lion dans ces aventures.
Parmi tant et tant d’évasions par air, celle de Denis Boudard et de Jean Hébert vaut d’être contée.
Dans l’art difficile de l’évasion, ces deux jeunes sergents aviateurs ont réussi un chef-d’œuvre.
Tout jeunes pilotes en 1940, Denis Boudard et Jean Hébert se retrouvèrent sans avoir pu combattre, dans l’armée d’armistice.
La vie proposée à ces garçons épris d’héroïsme était d’une telle inanité que, dégoûtés, ils désertèrent, profitant d’une permission.
Nous les retrouvons bientôt dans leur pays natal, la Normandie, complotant leur évasion définitive vers la liberté.
La fortune ne sourit, paraît-il, qu’aux audacieux. Jean Hébert et Denis Boudard devaient le savoir, car leur plan comprenait – tout simplement – le vol d’un avion allemand sur l’aérodrome de Carpiquet, près de Caen, et la liaison directe Caen-Angleterre, en passant à travers le rideau des chasseurs ennemis… et Alliés. Pas moins.
La difficulté majeure était de se faire admettre sur l’aérodrome et, une fois dans la place, de se fondre dans le paysage en habituant peu à peu les sentinelles et le personnel de la base à la présence des deux complices autour des appareils.
L’affaire n’alla pas sans mal, mais nos deux sergents réussirent à se faire embaucher comme manœuvres dans une équipe d’ouvriers français employés à la réfection des pistes.
Le plus gros restait à faire.
Bientôt, Jean et Denis furent des habitués du terrain et, revêtus de combinaisons noires, ils pouvaient passer, en n’y regardant pas de trop près, pour des mécaniciens de la Luftwaffe.
L’avion rêvé fut vite repéré et ce choix, à lui seul, décida peut-être du succès de l’expédition.
Il s’agissait, en effet, d’un petit biplan de liaison Bucher, propriété d’un inspecteur de la Luftwaffe que des affaires de service amenaient périodiquement sur le terrain de Carpiquet, de sorte qu’un décollage impromptu pourrait ne pas se remarquer, l’inspecteur n’étant pas soumis aux consignes générales régissant la base.
Le moment était venu de tenter le grand coup.
Le sort désigne Jean Hébert pour piloter l’appareil. Renseignements pris, le plein d’essence et d’huile a été fait.
Ils peuvent partir.
À 11 heures, le 29 avril, Jean Hébert et Denis Boudard se dirigent d’une allure paisible vers le Bucher réfrénant l’envie de courir qui les pousse aux reins.
Hébert monté dans la carlingue, Boudard lance l’hélice. La chance est avec eux, le moteur « parle » du premier coup.
Mais le bruit a attiré un groupe d’Allemands qui regardent avec intérêt le Herr Inspector qui décolle.
Et c’est ce moment-là que choisit le moteur pour caler.
Hébert, fébrile parvient à le rattraper, et donnant toute la gomme, il arrache l’appareil du terrain. Ouf !
Quelques minutes plus tard, l’alerte est donnée à Carpiquet et des chasseurs décollent à la poursuite du Bucher.
Avec ses 250 kilomètres/heure, le petit avion n’en a pas pour longtemps à vivre si les chasseurs le découvrent.
Mais les dieux sont avec Hébert et Boudard. En quelques secondes, ils ont pu gagner les nuages. Autant pour les chasseurs allemands chercher une aiguille dans une balle de coton.
Tenant un cap impeccable, Hébert sortit des nuages une heure après au-dessus de l’Angleterre… pour se faire intercepter par une patrouille de la R.A.F.
Ce n’était vraiment pas le moment de se faire descendre. Boudard, brandit un chiffon blanc.
Les chasseurs, encadrant l’avion à croix noire, eurent vite fait comprendre à Hébert qu’un atterrissage rapide était à l’ordre du jour.
Justement, le petit terrain de Christchurch était en vue. Hébert s’y posa. L’évasion était terminée, les ennuis commençaient.
Car, allez donc faire avaler cette histoire invraisemblable à un “Intelligence Officer” soupçonneux par définition.
Tout s’arrangea heureusement et, sans transition, Jean Hébert et Denis Boudard – c’est une impression que tous les évadés de France en Angleterre ont connue – passèrent des affres de l’enquête à l’état heureux d’hôtes choyés.
Ils furent reçus à dîner, quel honneur pour les deux petits sergents, par Winston Churchill, enthousiasmé par leur audace. C’était la célébrité.
Hébert et Boudard n’en demandaient pas tant.
Leur seul désir était de combattre. La R.A.F. les accueillit.
Jean Hébert devait tomber glorieusement le 9 juin 1943.
Jean Billon
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 49, juin 1952 (repris du « Journal du Combattant » du 11 août 1951)