Jean Colonna d’Ornano, l’Africain
De Médéah 1914 à Mourzouk 1941 Compagnon de la Libération
Jean Colonna d’Ornano est né le 5 avril 1895 à Alger d’une famille corse qui avait déjà donné à la France des généraux et même un maréchal de France nommé par Napoléon, Antoine Philippe d’Ornano.
À 19 ans, à la déclaration de la Première Guerre mondiale, il s’engage au 1er spahis à Médéah et rejoint le front après avoir été muté au 6e Bataillon de tirailleurs sénégalais et nommé sergent. Sa vocation de « colonial » s’affirme sans doute à ce moment-là, au contact des troupes noires et correspond certainement à son tempérament fier et vif. Il se couvre de gloire dans différentes actions. Sa première citation, il l’obtient le 18 octobre 1916 au cours d’une contre-attaque qu’il mène à la tête de sa section. Six mois après, il est à nouveau cité et le 29 mars 1918 il est nommé sous-lieutenant. Son sang-froid, son énergie et son habileté seront encore distingués dans les textes des deux citations qui lui sont attribuées avant l’Armistice.
N’admettant pas de rester inactif, dès 1920, le lieutenant d’Ornano part en Syrie et une fois de plus il est cité pour son action dans la région de Mersine. Deux ans après, il est au Sénégal où il reste très peu de temps, car il va exercer pendant deux ans ses fonctions dans le désert mauritanien.
Le 29 novembre 1922, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.
Les longues randonnées dans le désert, les rencontres avec les populations nomades, le commandement de ces hommes si attachants font prendre conscience à d’Ornano de l’ampleur de sa mission mais aussi du caractère noble de la tâche qui lui est confiée. Il veut faire mieux et va alors suivre un cours aux « Affaires indigènes ». Ainsi, il peut de 1925 à 1927 retourner au Sahara où il prend le commandement de la compagnie de la Saoura. Le 1er janvier 1928, il est nommé capitaine et affecté au Soudan et en 1930 il dirige le cercle militaire de Nema Oualata à la frontière sud de la Mauritanie, alliant ainsi ses fonctions militaires aux fonctions civiles qu’exerçaient alors les commandants de cercle. Il commande également pendant deux ans la 7e compagnie du 2e régiment de tirailleurs sénégalais.
De 1932 à 1936, le capitaine d’Ornano appartient aux Affaires indigènes du Maroc et il est tout normalement affecté dans les confins du Sud où la pacification n’est pas complètement arrivée à son terme. De ce fait, il est volontaire pour prendre le commandement d’une harka et en février et mars 1934 les résultats des opérations qu’il mène lui valent encore une citation à l’ordre de l’armée.
Le 25 juin 1936, il est nommé chef de bataillon et quelques mois plus tard, il est désigné pour servir en Afrique Équatoriale Française.
En mars 1938, il arrive au Tchad, prend le commandement du groupe III du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad (RTST) et dirige le département du Borkou-Ennedi-Tibesti avec son PC à Faya. Pour connaître d’une façon très précise comment cet officier est estimé de ses principaux subordonnés, il suffit de se référer à ce que le général Jacques Massu, alors capitaine à Zouar (Tibesti) a écrit :
« De très haute taille, il avait une stature imposante, un monocle noir rivé à l’orbite droite, un grand front, une élégante décontraction sous une tenue soignée, une verve plaisante, une expérience saharienne consommée. Il savait donner des ordres, prendre des responsabilités et laisser ses capitaines très libres dans les détails de l’exécution. Il était très aimé, entretenant une correspondance personnelle avec ses subordonnés, placés à plusieurs centaines de kilomètres de lui.«
Après avoir fait demande sur demande pour rejoindre le front dès septembre 1939, le commandant d’Ornano passe son commandement en mars 1940 et prend la direction d’un détachement de renforts pour la métropole.
Mais la débâcle de juin 1940 le surprend à Brazzaville en instance d’embarquement. « Pas un instant il n’admet l’idée de la défaite et de l’abandon. » D’instinct, il adhère à l’Appel du général de Gaulle et répond le 18 août 1940 à la demande du colonel de Larminat pour se rendre à Lagos où il retrouve Leclerc, Hettier de Boislambert et Pleven arrivés d’Angleterre.
Rapidement les objectifs et les missions sont répartis : le 26 août, accompagné de Pleven, il atterrit à Fort-Lamy et le gouverneur Éboué proclame le rattachement du Tchad à la France Libre, au moment où Leclerc et Hettier de Boislambert débarquent à Douala et apportent la contribution du Cameroun au grand mouvement libérateur de l’Afrique.
Avec le grade de lieutenant-colonel d’Ornano devient l’adjoint du chef de corps du Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad.
Le but de la France Libre c’est le combat. L’ennemi italien est en Libye, au nord du Tchad. Pour montrer la détermination de d’Ornano, il faut relire un extrait de la lettre qu’il adressait au capitaine Massu, toujours à Zouar, le 13 novembre 1940 :
« Il y a une semaine environ, un certain major anglais du nom de Bagnold était notre hôte. C’est un spécialiste des raids sahariens en automobile. En 1932, il est allé au Caire à Jef-Jef : c’était en temps de paix, mais entre nous ce n’était pas mal. Ce qui est mieux, c’est qu’il y a un mois environ, trois de ses voitures sont à nouveau parties du Caire, sont allées se balader à Koufra, au puits de Sara, à Aquenat et à Tekro, tout cela à la barbe des Italiens et à la nôtre… Or donc le « sire » Bagnold est venu me dire qu’il avait l’intention de revenir dire bonjour aux Italiens de la Libye occidentale. Il partirait du Caire avec 25 voitures (deux patrouilles de 12 et 13), traverserait tout le territoire italien et viendrait se ravitailler chez nous au Tibesti, pour commencer le vrai travail, c’est-à-dire remonter sur Wig el Kébir, tâcher de faire sauter ce pénitencier et de lâcher dans le bled les salopards qui y sont gardés. Il pourrait s’y trouver des prisonniers politiques intéressants. Puis aller faire un tour du côté de Mourzouk et, si le morceau n’est pas trop gros, tâcher de s’y amuser un brin. Tenter de barboter quelque convoi de ravitaillement ou courrier. Dire bonjour au passage à Gatroun et Tedjere et revenir à Zouar par Toummo.
Lorsque le « sire » Bagnold m’eut exposé sa petite affaire, j’ai boudé, lui disant qu’il me coupait l’herbe sous les pieds, puisque j’avais sollicité l’autorisation de faire quelques choses dans les environs de Tedjere et je lui ai demandé la participation d’un petit élément français, histoire de se faire la main et de prendre une petite leçon de raid motorisé. Il m’a aussitôt répondu que cela allait tout à fait dans ses idées et m’a proposé dix places. Il va sans dire que vous seriez le n° 1 des dix places… Je me suis mis également sur les rangs.«
Le 2 décembre 1940, le colonel Leclerc est nommé commandant militaire du Tchad et chef de corps du RTST.
Il trouve chez son adjoint un méhariste confirmé qu’il ne manquera pas d’écouter et en particulier il lui laissera la direction complète de ce raid sur Mourzouk dont il a préparé la participation française. En effet, le colonel Bagnold a tenu parole et lorsque le 15 décembre Leclerc et d’Ornano atterrissent à Zouar, la patrouille du Long Range Desert Groupe aux ordres du major Clayton a déjà commencé sa traversée du désert libyen d’Égypte vers le Tibesti.
Trois officiers, deux sous-officiers et cinq goumiers sont à pied d’oeuvre à Kayougue au nord d’Aozou le 6 janvier 1941, avec les chameaux transportant l’essence et l’eau nécessaires à l’opération. Les 25 voitures (camionnettes non blindées, découvertes, équipées de pneus basse pression et de compas solaires pour la navigation) sont au rendez-vous.
Le général Massu dans son livre « Sept ans avec Leclerc » fait un récit détaillé du raid qui devait se terminer tragiquement pour le lieutenant-colonel d’Ornano. En effet, c’est à la place qu’il occupe depuis le départ dans la voiture du major Clayton que le 11 janvier 1941 d’Ornano est mortellement touché par une rafale de mitrailleuse en attaquant le terrain d’aviation de Mourzouk.
C’est un grand soldat qui disparaît et le général de Gaulle, dès le 31 janvier 1941, le fait « Compagnon de la Libération ».
Son exemple et les enseignements tirés de cette « randonnée motorisée » portent en germe la réussite des autres expéditions dans le désert libyen. Deux ans après, jour pour jour, la colonne Leclerc, en marche vers la Méditerranée, s’empare de Mourzouk. Le 21 février 1943, une croix de Lorraine garnie de fleurs est déposée sur la tombe du colonel d’Ornano, elle est accompagnée du message suivant : « Le général Leclerc, les troupes en opérations, la population militaire et civile du Tchad. À la mémoire du colonel d’Ornano, cette humble croix de Lorraine faite avec des fleurs du Tchad. Signé : colonel Ingold, intendant Dupin, commandant Bonnafe.«
La famille d’Ornano a fait transférer en Corse les restes mortels du colonel. Il repose maintenant dans la chapelle familiale du « Canicci » à Ajaccio.
Il reste encore à écrire sa biographie pour mettre en valeur la grandeur morale et le sens de l’honneur qui se dégagent de toute cette vie, sacrifiée trop tôt à 45 ans, évoquée si brièvement dans sa dernière citation :
« Ne s’est jamais incliné devant la capitulation de nos armées. A encouragé de toutes ses forces l’adhésion des troupes de l’Afrique Équatoriale Française aux Forces Françaises Libres. Tombés le premier en entraînant ses troupes à l’attaque avec une magnifique bravoure. Sa mort est le couronnement d’une vie de soldat dans le désert et dans la brousse entièrement dévouée à l’Empire français.«
Fonds historique Maréchal Leclerc de Hauteclocque (d’après les documents et photos détenus en archives)
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 274, deuxième trimestre 1991.